Le cousin Henry

Chapitre 7RECHERCHE DU TESTAMENT

La recherche fut poursuivie jusqu’à neufheures du soir ; M. Apjohn retourna à Carmarthen, endisant qu’il enverrait deux personnes pour continuer ce travailpendant la journée du mardi, et qu’il reviendrait lui-même lemercredi lire ce que l’on pourrait alors considérer commel’expression de la dernière volonté du vieillard, le derniertestament fait, si l’on pouvait le trouver, et le précédent, si larecherche était infructueuse. « Il va sans dire, ajouta-t-ilen présence des deux cousins, que l’acte de lire le testamentn’ajoutera rien à sa valeur. Des documents trouvés déjà, le dernieren date sera le bon – jusqu’à ce qu’on en trouve un autre plusrécent. Il sera bon, pourtant, de prendre certaines dispositions,et l’on ne peut rien faire jusqu’après cette lecture. » Ilprit ensuite congé et retourna à Carmarthen.

Isabel ne s’était pas montrée tout cetaprès-midi. Après l’exposé de M. Apjohn, et au moment où lesrecherches furent commencées, elle s’était retirée dans sa chambre.Il lui était impossible de prendre part à cette opération ; illui était presque aussi impossible de rester, sans paraître prendreun intérêt trop vif à ce qui se serait fait sous ses yeux. Touts’expliquait clairement pour elle, jusqu’aux moindres détails. Ellene doutait pas que son oncle, sous l’empire du double sentiment quelui faisaient éprouver la présence de l’homme qu’il n’aimait pas etl’absence de celle qu’il chérissait si tendrement, ne fût revenusur la décision qu’il avait prise. Voici comment elle s’expliquaitla chose : l’affection de son oncle pour elle avait étouffé,pendant ces derniers jours d’affaiblissement physique et moral, cequ’il croyait être la voix de sa conscience. C’était regrettable,bien regrettable ! Que n’avait-il eu près de lui quelqu’un quile soutînt et le fortifiât dans ce déplorable moment de faiblesse,qui avait produit un si triste résultat ! Un testament,pensait-elle, doit être l’expression d’une volonté ferme et nonl’acte d’un esprit irrésolu. Puisqu’il avait obéi à sa conscience,il aurait dû continuer à le faire. Mais ce qui était fait étaitfait. Isabel ne doutait pas qu’un autre testament n’eût été écriten bonne forme. Et alors même qu’il n’eût pas été fait en bonneforme et ne dût pas être valable, il devait avoir existé à uncertain moment. Où était-il maintenant ? Toutes ces penséesassiégeant son esprit, il lui était impossible d’assister auxrecherches qui se poursuivaient dans la maison. Il lui répugnaitd’être témoin de l’anxiété de son cousin et du tremblement nerveuxqui secouait tous ses membres. Qu’il frissonnât, qu’il fût baignéde sueur sous l’influence d’un trouble si violent, elle le trouvaitassez naturel. Ce n’était pas sa faute si la nature ne lui avaitpas donné le courage d’un homme. La lâcheté le lui rendait plusantipathique qu’auparavant ; mais elle ne se croyait pasencore le droit de le soupçonner d’un crime.

Immédiatement avant de partir, M. Apjohneut une entrevue avec elle dans sa chambre.

« Je ne puis partir sans vous dire unmot, c’est que je ne puis encore exprimer une opinion arrêtée surl’affaire qui nous occupe.

– Ne supposez pas, monsieur Apjohn, quej’éprouve la moindre anxiété au sujet de l’existence d’un autretestament.

– Alors, ce n’est pas comme moi ;mais cela ne fait rien à la chose. Qu’il ait fait un testamentqu’ont signé avec lui les deux Cantor, cela, je crois, ne peut êtremis en doute. Qu’il l’ait ensuite détruit sans le dire aux deuxtémoins qui devaient certainement raconter plus tard ce qu’ilsavaient été appelés à faire, cela me semble tout à faitincompatible avec le caractère réfléchi et prudent de votre oncle.Mais l’affaiblissement de ses facultés a été rapide à ce moment. Ledocteur Powell croit qu’il était sain d’esprit le jour où il a faitle testament, mais il croit possible qu’il l’ait détruit un ou deuxjours après, alors qu’il n’avait plus l’esprit assez lucide pourpouvoir juger ce qu’il faisait. Si ce dernier testament n’est pastrouvé, nous devons, je crois, expliquer comme je viens de le fairece qui s’est passé. Je vous le dis avant de partir, pour que vouspuissiez, vous aussi, vous faire une opinion. »

Et il s’en alla.

Il était impossible à Isabel de ne pas êtrecertaine qu’elle en savait plus là-dessus que M. Apjohn et ledocteur Powell. C’était à elle que le vieillard avait confié sesdernières pensées. N’avait-il pas murmuré à son oreille cesparoles : « Tout va bien. C’est fait. » Alors mêmeque son intelligence eût été très obscurcie et que sa force l’eûtdéjà abandonné, il ne lui aurait pas dit ces paroles, s’il avaitdétruit le testament. M. Apjohn lui avait parlé de se faireune opinion ; mais cette opinion, elle ne pouvait pas ne pasl’avoir toute faite déjà. Elle ne pouvait faire le vide dans sonesprit. M. Apjohn avait dit que si l’on ne trouvait pas letestament, il conclurait que le vieillard avait encore changéd’idée et l’avait détruit. Pour elle, elle était certaine que celan’était pas. Elle seule avait entendu ses dernières paroles.Était-ce pour elle un devoir de dire à M. Apjohn qu’ellesavaient été prononcées ? Si c’était une autre personnequ’elles dussent concerner, sans doute ce serait un devoir pourelle. Mais dans l’état des choses, elle ne savait que faire. Ellene voulait pas que l’on pût lui attribuer la pensée d’unerevendication de droits. De quelle utilité d’ailleurs pouvait êtrela révélation de ces paroles ? Elles ne seraient considéréespar aucun tribunal comme établissant une évidence. Tout bienconsidéré, elle prit le parti de ne plus se tourmenter à ce sujetet de ne rien dire à M. Apjohn. Si son cousin devait vivredans la propriété comme seigneur et maître de Llanfeare, pourquoichercherait-elle à le déconsidérer en mettant en doute la validitédu testament qui lui conférait la qualité d’héritier ? Elledécida donc qu’elle ne ferait connaître à personne les dernièresparoles de son oncle.

Mais quelle devait être son opinion sur toutecette affaire ? À ce moment, elle ne pouvait s’empêcher depenser que l’acte cherché serait trouvé. Cette solution luisemblait être la seule qu’elle pût considérer sans terreur. Uneautre, celle de la destruction du testament par son oncle lui-même,elle la repoussait absolument ! Et alors ne serait-il pasévident qu’une fraude avait été commise ? Dans ce cas, parqui ? Et tandis que ces réflexions se pressaient dans sonesprit, elle ne pouvait s’empêcher de penser à cette figure livide,à ces mains tremblantes et aux grosses gouttes de sueur qui detemps en temps perlaient sur le front de son cousin. Il étaitnaturel qu’il souffrît ; il était naturel que, se sentantl’objet des sentiments hostiles de tous ceux qui l’entouraient, ilfût dans un trouble extrême. Mais cela n’expliquait passuffisamment les signes de frayeur qu’il lui avait été impossiblede ne pas remarquer sur son visage, dans la salle à manger, pendantque M. Apjohn rappelait les circonstances dans lesquellesavaient été faits les deux testaments. Un innocent aurait-iltremblé ainsi, parce qu’il se serait trouvé dans une situationdifficile ? De si vives émotions ne trahissaient-elles pas uneâme coupable ? Si des mains humaines avaient fait disparaîtrele testament, n’étaient-ce pas les siennes ? Quel autre étaitintéressé à le faire ? Quel autre, à Llanfeare, n’était pasintéressé à la conservation d’un testament qui la faisait elle-mêmehéritière ? Elle ne lui enviait pas la propriété. Elle avaitreconnu la force des raisons qui avaient déterminé le vieillard àlaisser sa succession à son neveu ; mais elle se disait que,si le dernier document ne se trouvait pas, c’est qu’un acte infâmeavait dû être commis par son cousin. Ces pensées, qui l’obsédaientet l’oppressaient, la tenaient éveillée pendant les longues heuresde la nuit.

M. Apjohn était parti, les domestiquesétaient allés se coucher, le sommelier avait fermé la porte avecdeux barres de fer, comme il le faisait tous les jours ; lecousin Henry était encore assis, seul dans la chambre aux livres.Après avoir répondu aux questions de M. Apjohn, il n’avaitplus parlé à personne, mais s’était assis, éclairé par une bougie,près de laquelle il était accoudé. Le sommelier était venu deuxfois lui demander s’il n’avait besoin de rien, et insinuer qu’ilferait mieux de se mettre au lit. Mais l’héritier – s’il étaithéritier – n’avait vu dans cet acte du sommelier qu’uneindiscrétion, et avait répondu qu’on pouvait bien le laisser seul.On l’avait laissé seul, et il restait là, assis.

Son esprit était alors soumis à une cruelletorture. Il pouvait prendre, à son choix, l’un des deuxpartis ; il s’agissait de se décider. « L’honnêteté estla meilleure politique ! L’honnêteté est la meilleurepolitique ! » Il se répéta cent fois à lui-même cetteparole bien connue, sans remuer les lèvres, sans articuler un son.Il était là, assis, essayant de fixer sa pensée. Il était là,assis, ne cessant de trembler, dans son horrible agonie, tandis queles heures succédaient aux heures. Tantôt il était décidé à agirselon la maxime, de la vérité de laquelle il cherchait à seconvaincre, que l’honnêteté est la meilleure politique ;tantôt il se rasseyait, irrésolu comme avant, se déclarant àlui-même que l’honnêteté ne l’obligeait pas à accomplir l’acte quivenait d’être l’objet de ses méditations. « Qu’ils letrouvent, disait-il enfin à haute voix, qu’ils le trouvent. C’estleur affaire, non la mienne. » Et il restait toujours assis,les yeux fixés sur la rangée de livres qui était devant lui.

Minuit était passé depuis longtemps déjà. Ilse leva et marcha de long en large dans la chambre, tout enessuyant son front, comme s’il était échauffé par le mouvement,mais ne quittant pas les livres de l’œil. Il se pressait lui-mêmed’agir, il se faisait un devoir de mettre en pratique cettehonnêteté. Enfin, il s’élança vers l’un des rayons, et, tirant unvolume des œuvres de Jérémie Taylor, il le jeta sur la table.C’était le volume dans lequel son oncle lisait le sermon qui devaitêtre sa dernière préparation au passage dans un monde meilleur. Ilouvrit le livre : entre les feuilles était le derniertestament que le vieillard avait écrit.

À ce moment il entendit marcher dans la salled’entrée, puis le bruit léger d’une main qui se posait sur laporte. D’un mouvement rapide, il cacha le testament sous lelivre.

« Il est bientôt deux heures,M. Henry, dit le sommelier. Que faites-vous si tard ?

– Je lis, dit l’héritier.

– Il est bien tard pour lire. Vous feriezmieux de vous coucher. Il n’aimait pas les gens qui lisentà ces heures indues. Il aimait qu’on secouchât. »

Qu’un homme qui était, pour ainsi dire, sonserviteur, invoquât contre lui l’autorité d’un mort, c’était tropde sans-gêne et d’inconvenance. Henry sentit qu’il devait bienétablir sa situation, sous peine de baisser de plus en plus dansl’estime de ceux qui l’entouraient. « Je resterai aussi tardqu’il me plaira, dit-il. Allez, et ne me dérangez pasdavantage.

– On devrait bien lui obéirencore ; il n’y a pas vingt-quatre heures qu’il estsous terre, » dit le sommelier.

– Je serais resté à lire aussi longtempsqu’il m’aurait plu, de son vivant même, » dit le cousin Henry.Le sommelier murmura et partit en tirant la porte derrière lui.

Pendant quelques minutes, le cousin Henrydemeura immobile ; puis il se leva doucement, silencieusement,et regarda si la porte était fermée. Elle l’était, et c’était laseule porte qui donnât entrée dans la pièce. Les fenêtres étaientfermées par des volets. Il regarda autour de lui et s’assura qu’iln’y avait pas dans la chambre d’autres yeux que les siens. Il tiral’acte de l’endroit où il l’avait caché, le replaça exactemententre les feuilles où il était enfermé auparavant, et remit lelivre à sa place sur le rayon.

Il n’avait pas caché le testament. Il nel’avait pas dérobé ainsi aux regards de ceux qui avaient intérêt àce qu’il fût trouvé. Il n’avait rien soustrait, rien dissimulé. Ilavait simplement pris le livre sur la table de son oncle, où ill’avait aperçu, et, en le remettant à sa place sur les rayons, il yavait trouvé le papier. C’était ce qu’il se disait en ce moment, cequ’il s’était dit mille fois. Était-ce son devoir de produire auxyeux de tous cet acte, preuve de l’injustice monstrueuse dont ilétait victime ? Qui d’ailleurs pourrait mettre en doute cetteinjustice, parmi ceux qui savaient qu’on l’avait fait venir deLondres, pour l’installer à Llanfeare comme héritier de lapropriété ? Ne commettait-il pas envers lui-même, en livrantle papier, une iniquité plus grande qu’en le laissant là où lehasard le lui avait fait trouver ?

Il n’avait pas eu la pensée qu’il agît mal,jusqu’au moment où M. Apjohn lui avait demandé si son onclelui avait parlé de ce nouveau testament. Il avait menti alors. Sononcle lui avait annoncé en effet son intention, avant de l’écrire,et, après le départ des Cantor, lui avait dit que la chose étaitfaite. Le vieillard n’avait pas ménagé l’expression de ses regrets,mais le jeune homme était resté impassible, sombre, anéanti, ilavait ressenti vivement, mais en silence, l’affront qu’on luifaisait. Il n’avait pas osé soumettre d’observations, ni même seplaindre de ce traitement injuste.

Et le testament était en son pouvoir ! Ilcomprenait très bien la force de sa position, mais il n’ignoraitpas quel en était le point faible. S’il se déterminait à laisserl’acte enfermé dans le livre, personne ne pourrait l’accuser demalhonnêteté. Ce n’était pas lui qui l’avait mis là. Il n’avaitrien fait. Quant au désarroi occasionné par la disparition dutestament, il n’en était pas la cause ; mais c’était lanégligence d’un homme usé par la vieillesse, et qui avait atteintl’âge où l’on n’est plus en état de prendre des décisions siimportantes. Il lui semblait que la justice, l’honnêteté,exigeaient qu’un tel acte demeurât éternellement soustrait à tousles yeux. Pourquoi irait-il faire connaître la cachette ?C’était à ceux qui désiraient trouver que revenait le soin dechercher. N’avait-il pas assez servi déjà la cause de l’honnêtetéen ne détruisant pas le papier qu’il pouvait si facilementanéantir ?

Mais, s’il restait là, ne serait-il pascertainement trouvé ? Y restât-il des semaines, des mois, desannées même, ne serait-il pas fatalement découvert un jour, etn’établirait-il pas que Llanfeare ne lui appartenait pas ? Àquoi lui servirait la propriété ? Quel bien-être pourrait-iléprouver, avec cette pensée, presque cette certitude, que tôt outard, un accident, un hasard l’en dépouillerait à jamais ? Sonimagination était assez vive pour lui dépeindre la vied’appréhension et de misère qu’il allait mener. Il tremblerait,quand un visiteur de passage entrerait dans la chambre. Il seraitépouvanté si une servante se trouvait être trop soigneuse. Queferait-il, si les sentiments religieux de sa femme future laportaient à se livrer aux mêmes lectures que son oncle ?

Plus d’une fois, il s’était dit qu’il seraitfou de laisser le testament où il l’avait trouvé. Il fallait enfaire connaître l’existence à ceux qui le cherchaient, ou ledétruire. Son bon sens lui disait qu’il lui était impossible desortir de cette alternative. Il pouvait assurément le détruire,sans que personne en fût plus avancé. Il pouvait le réduire, dansla solitude de sa chambre, en cendres presque impalpables, qu’ilavalerait ensuite. Il sentait que, malgré tous les soupçons quepourraient concevoir Apjohn, Powell, les fermiers, Isabelelle-même, personne n’oserait l’accuser d’un tel acte. Et alorsmême qu’ils l’accuseraient, il n’y aurait aucune preuve contrelui.

Mais il ne pouvait se décider à détruire letestament. Plus il y pensait, plus il était forcé de reconnaîtrequ’il était incapable de montrer tant de résolution. Brûler unmorceau de papier ; – oh ! chose bien facile ! Maisil savait que ses mains se refuseraient à le faire. Déjà il y avaitrenoncé ; il était décidé à tirer le testament du livre, àfaire lever Isabel au milieu de la nuit et à le lui remettre. Illui serait facile de dire qu’il avait ouvert les livres l’un aprèsl’autre. Ce serait là, pensait-il, une grande et généreuse action.Puis il avait été interrompu, insulté par le sommelier, et, dans sacolère, il avait décidé que le papier resterait caché encore unjour.

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