Le cousin Henry

Chapitre 8LA LECTURE DU TESTAMENT

Pendant tout le jour suivant, on continua larecherche. Quoiqu’il eût pris peu de repos les nuits précédentes,le cousin Henry se leva tôt, ne s’occupa en rien des investigationsqui se faisaient dans les autres pièces, et resta, commeauparavant, assis au milieu des livres. Les deux hommes queM. Apjohn avait envoyés de son bureau, et avec eux lesommelier et M. Griffiths, commencèrent l’opération par lachambre à coucher du vieillard et la continuèrent par la salle àmanger. Quand ils arrivèrent à la bibliothèque, qui était à lasuite, le cousin Henry prit son chapeau et descendit au jardin. Ilallait et venait sur l’allée sablée, voulant s’imposer à lui-mêmede ne pas s’approcher de la fenêtre, mais il n’y réussissait pas.Il ne pouvait se tenir dans un endroit d’où il lui eût étéimpossible de voir ce qui se passait dans la pièce. Il craignait,et cette crainte le faisait trembler, que l’on ne mît la main surle fatal volume. Et pourtant, il se répétait et s’affirmait àlui-même qu’il désirait qu’on le trouvât. N’était-ce pas ce quipouvait lui arriver de plus heureux ? Puisqu’il n’avait pasl’énergie de se résoudre à le détruire, sans aucun doute, tôt outard, il serait trouvé.

On tirait tous les livres des rayons,évidemment pour regarder dans l’espace vide laissé par-derrière. Àtravers la fenêtre, il pouvait voir tous les mouvements. Parhasard, la partie de la bibliothèque qui contenait le fatal rayon –celui sur lequel était le volume – fut la dernière que l’on visita.On n’examinait pas les livres un à un ; mais ce volume, siépais qu’il attirait les yeux, s’ouvrirait certainement delui-même. Il l’avait si souvent ouvert que les deux partiess’écarteraient seules. Eh bien ! Il pouvait s’ouvrir !Personne ne dirait alors qu’il eût connaissance de ce qu’ilcontenait. Il savait pourtant qu’il serait incapable de parler,qu’il balbutierait, et qu’il démontrerait sa culpabilité par sonsilence et sa consternation.

On tirait les livres trois par trois, et onles replaçait. On était arrivé au rayon. Pourquoi ne pouvait-ils’éloigner de la fenêtre, près de laquelle il était commefixé ? Il n’avait rien fait, rien, rien ; et pourtant, ilétait là tout tremblant, immobile, le visage baigné de sueur,impuissant à détourner un instant les yeux de ce qui se faisaitdans la chambre. Enfin descendirent les trois volumes, au milieudesquels était celui qui contenait le testament. Il s’appuya contreun arbre, incapable de se soutenir, tandis que ses yeux suivaientl’opération. On regarda dans l’espace vide derrière les livres,puis on les replaça. On ne pensa pas à les examiner. Les hommes quidirigeaient la recherche ne savaient évidemment pas que ces volumesavaient été sans cesse entre les mains du vieillard. Ils furentreplacés, et la perquisition, dans cette pièce au moins, futterminée. Quand les clercs furent sortis, le cousin Henry retournadans la chambre et y demeura pendant le reste de la journée. Ce quel’on faisait dans les autres parties de la maison ne l’intéressaitplus.

Sans doute, la disparition du testamentcauserait un préjudice à d’autres ; sans doute il y auraitquelqu’un qui souffrirait plus particulièrement de cepréjudice ; mais celui-là, pensait-il, ne serait pas l’objetd’un traitement aussi cruel que celui qu’on lui avait infligé àlui-même. Le testament dût-il ne jamais être trouvé, de quelleinjustice n’était-il pas la victime ! Il n’avait pas demandéd’être fait héritier de la propriété. Il avait été invité à venirpour être reçu en qualité d’héritier, et, depuis son arrivée, onn’avait eu pour lui que de mauvais procédés. Les fermiers l’avaienttraité avec dédain ; les domestiques mêmes avaient étéinsolents ; sa cousine Isabel, à qui il avait offert departager avec lui la propriété, lui avait déclaré qu’elle éprouvaitde la haine pour lui ; son oncle lui-même avait entasséinsulte sur injustice, et avait aggravé l’injustice parl’expression du plus profond mépris.

« Oui, mon intention avait été de fairede vous mon héritier, et c’est pour cela que je vous ai fait venir.Je vois maintenant que vous êtes un si pauvre sire que je changed’intention. » Voilà ce que son oncle avait dit et avait fait.Après cela, qui pouvait attendre de lui qu’il agît contre sesintérêts, et qu’il voulût faire de la grandeur d’âme ? Qu’ilstrouvent le testament, s’ils désirent tant l’avoir. Quand même ilrenoncerait à tous ses droits sur la propriété, quand même ilrenoncerait au bénéfice de tout testament fait en sa faveur, il neleur dirait pas où était le testament valable. Pourquoi lesaiderait-il dans leur embarras ?

Tous les tapis furent enlevés, tous lesmeubles déplacés, toutes les malles et toutes les boîtesexaminées ; mais il ne vint à l’esprit de personne d’ouvrirtous les livres. On était encore en juillet, et les jours étaientlongs. On chercha de six heures du matin à neuf heures du soir, etquand la nuit vint, les hommes déclarèrent qu’on avait fouillé lamaison dans tous ses recoins.

« Je pense, mademoiselle, que mon vieuxmaître l’a détruit. Il avait des absences à la fin. » C’estainsi que Mrs. Griffith exprima son opinion à Isabel.

Isabel était convaincue du contraire ;mais elle ne répliqua rien.

Que ne pouvait-elle quitter encore Llanfeareet en avoir fini avec tout cela ! Llanfeare lui était devenuodieux et éveillait en elle des pensées et des soupçons dont elleétait effrayée. Elle avait hâte d’en partir et de se laver lesmains de tout ce qui pourrait s’y passer. Elle savait pourtantcombien sa situation allait être triste. M. Apjohn lui avaitdéjà expliqué qu’il ne restait pas de fonds sur lesquels on pût luipayer le legs de son oncle. Elle avait dit à M. Brodrick,pendant son dernier séjour à Hereford, que son oncle avait pris desdispositions pour qu’elle ne fût pas à la charge de sa proprefamille. Elle devait maintenant retourner chez son père les mainsvides. Dénuée de toutes ressources, comme elle l’était,pouvait-elle penser à épouser un homme qui n’avait que le modiquerevenu de sa position ? Ne serait-ce pas une bassesse, unemauvaise action ? Tout devait être rompu entre elle etM. Owen. Si son père ne pouvait pourvoir à ses besoins, ellese placerait comme gouvernante, et si elle ne trouvait pas cetemploi, comme femme de charge. Même l’asile des pauvres lui seraitun séjour moins désagréable que Llanfeare, si Llanfeare devait êtrela propriété du cousin Henry.

M. Apjohn lui avait dit qu’elle nepourrait pas partir le mercredi, comme elle en avait eul’intention. Il revint ce jour-là à Llanfeare, et elle le vit avantqu’il procédât à l’opération pour laquelle il était venu. Ilvoulait lire le dernier testament qui avait été trouvé, et dire àceux qui assisteraient à cette lecture, qu’il se proposait, ainsique le docteur Powell, exécuteur testamentaire adjoint, d’exécuterles dispositions de ce testament, mais à la condition que, si unautre acte postérieur était trouvé dans la suite, il annuleraitcelui-ci. Quoique ce testament eût été l’occasion d’une querelleentre lui et le vieillard, celui-ci l’avait désigné comme exécuteurtestamentaire, ainsi qu’il l’avait fait toutes les fois qu’il avaitécrit ses dernières volontés. Il expliqua tout cela à Isabel danssa chambre et comprit sa répugnance à assister à la lecture del’acte.

« Cela me serait impossible, »dit-elle ; « à quoi bon d’ailleurs ? Je saisd’avance tout ce qu’il contient ? Je souffriraistrop. »

Se rappelant le peu d’importance du legs quilui était fait, et la nécessité où il serait d’expliquer que lesfonds manquaient pour le payer, M. Apjohn n’insista pas pourqu’elle fût présente.

« Je partirai demain, »dit-elle.

Il lui demanda alors s’il ne lui était paspossible de rester jusqu’au commencement de la semaine suivante,disant que sa présence pourrait être utile, lorsqu’il s’agirait deremettre définitivement l’héritage aux mains de son cousin ;mais il ne put changer son intention. « La propriété deLlanfeare va lui être délivrée, » dit-elle ; « lamaison deviendra la sienne, et il pourrait m’en chasser si cela luiplaisait.

– Il ne le ferait pas.

– Il n’aura toujours pas l’occasion de lefaire. – Je ne puis vous le dissimuler, nous ne nous aimons pas.Depuis qu’il est ici, une sorte d’aversion m’a tenue éloignée delui. Il est certain qu’il me hait, et je ne veux pas lui devoirl’hospitalité. D’ailleurs, pourquoi resterais-je ?

– Le testament ne sera pas encorevalidé.

– Il le sera un jour ou l’autre.Naturellement, mon cousin aura les clefs et sera seul maître detout. Voici les clefs. Et elle tendit à M. Apjohn plusieurstrousseaux. « Vous pourrez les lui remettre après la lecturedu testament, afin que je n’aie pas à lui parler. J’ai quelqueslivres que mon oncle m’a donnés. Mrs. Griffith les emballeraet me les enverra à Hereford – à moins qu’il n’y trouve à redire. –Quant aux autres objets qui m’appartiennent, je puis les prendreavec moi. Vous aurez la bonté de me faire envoyer une voiture quime conduise à temps au train du matin. »

Les choses furent ainsi réglées.

Lecture fut faite du testament – de cetestament que nous savons n’avoir pas été écrit le dernier, enprésence du cousin Henry, du docteur Powell et des fermiers, réuniscomme la première fois.

Cette lecture fut longue et fastidieuse. Letestateur s’étendait sur les raisons qui l’avaient déterminé àprendre de nouvelles dispositions au sujet de la propriété. Aprèsavoir longuement réfléchi, il avait pensé que la propriété devaitpasser à l’héritier mâle. Ainsi, quoique son affection pour sanièce Isabel Brodrick fût toujours aussi tendre, quoique saconfiance en elle fût toujours la même, il avait considéré comme undevoir de laisser la vieille propriété de famille à son neveu HenryJones. Puis, dans toutes les formes voulues, le testament étaitfait en faveur de son neveu. Il y avait d’autres legs ; unesomme peu considérable était attribuée à M. Apjohn lui-même, àtitre d’exécuteur testamentaire, une année de gages à chacun desserviteurs ; suivaient d’autres détails du même genre. ÀIsabel, il laissait cette somme de quatre mille livres, dont il adéjà été fait mention. Quand l’homme d’affaires eut achevé lalecture, il déclara qu’à sa connaissance, cette somme n’existaitpas. Le testateur avait pensé, sans nul doute, que ces legsseraient payés par la propriété, tandis que la propriété ne pouvaitsubir une telle charge, qu’en vertu d’un acte spécial.

« Mais, » dit-il,« M. Henry Jones, une fois devenu propriétaire, regarderaprobablement comme un devoir de régler cette affaire conformémentaux vœux de son oncle. »

Là-dessus, le cousin Henry, qui n’avait pasencore prononcé un mot depuis le commencement de la cérémonie, serépandit en promesses. Si la propriété devenait sienne, ilaviserait à ce que les désirs de son oncle fussent accomplis en cequi concernait sa chère cousine. M. Apjohn l’écouta dire, etcontinua ses explications. Quoique le testament qu’il venait delire dût être exécuté, comme s’il était l’expression des dernièresvolontés du défunt, quoique, à défaut de celui que l’on avaitinutilement cherché, il fût entièrement valable, les raisons qu’ilavait exposées le lundi précédent, et d’après lesquelles il y avaitlieu de supposer que le vieillard avait fait un autre testament,conservaient toute leur force. À ce moment, Joseph Cantor le jeunemanifesta, par une mimique expressive, sa disposition à rouvrir ladiscussion sur ce sujet ; mais il fut arrêté par les effortsréunis de son père et de l’homme de loi. Si ce testament postérieurétait trouvé, il devait être considéré comme le testament valable,à la place de celui dont lecture venait d’être donnée. Après cela,toutes les formalités ayant été dûment accomplies, M. Apjohnprit congé et retourna à Carmarthen.

Les clefs furent remises au cousin Henry, quise trouva, de fait, seigneur et maître de la maison, et possesseurde tout ce qui en dépendait. Le sommelier, Mrs. Griffith et lejardinier l’avertirent qu’ils quittaient son service. Ilsresteraient encore, s’il le désirait, pendant trois mois ;mais ils ne pensaient pas pouvoir être heureux dans la maison,maintenant que leur vieux maître était mort et queMlle Isabel allait partir. Certainement, iln’éprouva à ce moment aucune des jouissances d’une entrée enpossession. Il aurait volontiers, croyait-il, renoncé à Llanfeare,s’il avait pu faire cette renonciation avant tous les événements dudernier mois. Il aurait voulu que Llanfeare n’eût jamaisexisté.

Mais les choses étaient ce quellesétaient ; il fallait prendre un parti. Il fallait mettre lepapier dans quelque cachette plus profonde et plus sûre, ou ledétruire, ou en révéler l’existence. Il pensa qu’il pouvait jeterle livre avec le testament à la mer, quoiqu’il ne pût se résoudre àle brûler lui-même. Le livre lui appartenait maintenant ; ilpouvait en disposer à son gré. Mais ce serait folie de laisser làle papier.

Alors, il eut de nouveau la pensée que lemieux pour lui et pour Isabel serait que la propriété fût partagéeentre eux deux. À un point de vue, elle lui appartenait àlui ; elle était devenue sienne sans qu’il eût commis aucunacte frauduleux. C’est du moins ce qu’il se disait à lui-même. À unautre point de vue, elle était à Isabel, quoiqu’elle ne pûtappartenir à sa cousine qu’en vertu d’un acte de lui, qui seraitplus qu’un acte de générosité ordinaire. Le mieux était évidemmentde la partager. Mais quel autre moyen pour cela qu’unmariage ? Rien ne pouvait donner prétexte à un partage d’unautre genre, comme celui qui aurait consisté à faire une part desterres, une autre des revenus ; le fatal papier n’en seraitpas moins toujours là, entre les feuilles du livre. Tandis que siIsabel consentait à l’épouser, il trouverait, pensait-il, lecourage de détruire le testament.

Il devait voir sa cousine cette après-midi,quand ce n’eût été que pour lui dire adieu et lui promettre qu’elleaurait certainement la somme qui lui était léguée ; si celaétait possible, il toucherait un mot de l’autre affaire.

« Vous n’avez pas entendu lire letestament ? lui dit-il.

– Non, répondit-elle brusquement.

– Mais on vous en a dit lesdispositions ?

– Sans doute.

– Celle qui est relative aux quatre millelivres ?

– Il n’y a pas lieu de parler des quatremille livres ; qu’il n’en soit pas question – du moins entrevous et moi.

– Je suis venu vous annoncer, »dit-il, sans comprendre en aucune façon les sentiments d’Isabel, etmontrant, par l’altération de sa voix, qu’il croyait que cetteouverture serait favorablement accueillie, « je suis venu pourvous dire que le legs sera intégralement payé. J’y aviseraimoi-même, aussitôt que je pourrai tirer quelque argent de lapropriété.

– Ne vous inquiétez pas de cela, je vousprie, cousin Henry.

– Oh ! si, certainement, je leferai.

– Ne vous en inquiétez pas. Soyez assuréque rien au monde ne me déciderait à accepter un sou de vous.

– Et pourquoi ?

– On accepte un don de ceux qu’on aime etqu’on estime, et non de ceux qu’on méprise.

– Pourquoi me méprisez-vous ?demanda-t-il.

– Trouvez-en la raison vous-même ;mais, soyez-en bien convaincu, je mourrais de faim, que jen’accepterais rien de vous. »

Elle se leva alors et, se retirant dans sachambre, le laissa seul. Il était évident qu’Isabel n’accepteraitpas le moyen de partage auquel il avait pensé.

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