Le cousin Henry

Chapitre 22LE COUSIN HENRY QUITTE LLANFEARE

Ce fut un moment de triomphe pourM. Apjohn, de consternation pour le cousin Henry. Les deuxhommes, tandis que M. Brodrick examinait le papier, luttaientsur le plancher. Le cousin Henry se débattait comme un furieux pouréchapper à son adversaire et saisir le testament, sans réfléchirque cela ne lui servirait à rien maintenant. M. Apjohn, de soncôté, était déterminé à donner à M. Brodrick le temps demettre en sûreté les papiers qu’il pourrait trouver, et, échauffépar la lutte, tenait sa proie de plus en plus étroitement serrée.« La date y est, » dit M. Brodrick, qui s’étaitretiré avec le papier dans le coin le plus éloigné de la chambre.« C’est sans aucun doute le dernier testament de monbeau-frère, et, autant que je puis le voir à première inspection,il est absolument régulier.

– Chien ! » s’écriaM. Apjohn en repoussant loin de lui le cousin Henry.« Misérable, voleur ! » Il se releva alors etcommença à réparer le désordre de sa toilette, remettant sa cravateet lissant ses cheveux avec sa main. « La brute m’a enlevé larespiration, dit-il. Mais comment penser que nous serions réduits àle prendre de cette façon ! » Et il y avait dans sa voixcomme un cri de triomphe qu’il ne pouvait comprimer. C’était ungrand succès pour lui que d’avoir restitué à Isabel Brodrick lapropriété qu’il avait, de tout temps, été si désireux de luiassurer ; mais, en ce moment, il triomphait bien plus encored’avoir trouvé, par son intelligence et, en quelque sorte, par sonflair, l’endroit précis où le testament était caché.

Toute l’ardeur belliqueuse du cousin Henryétait tombée. Il n’essaya pas de renouveler la lutte, il n’essayapas de nier sa faute, il ne répondit rien aux injures queM. Apjohn ne lui ménageait pas. Il se releva lui aussi, ets’assit sur la chaise la plus proche, cachant son visage dans sesmains.

« C’est le cas le plus extraordinaire quej’aie jamais connu, dit M. Brodrick.

– Que ce misérable ait caché letestament ? demanda M. Apjohn.

– Pourquoi dites-vous que je l’aicaché ? gémit le cousin Henry.

– Reptile ! s’écriaM. Apjohn.

– Non pas qu’il l’ait caché, dit l’avouéd’Hereford, mais que vous l’ayez trouvé, et trouvé sansperquisitions, que vous l’ayez en quelque sorte suivi à la tracejusque dans le livre où le vieillard l’avait laissé.

– Oui, dit le cousin Henry ; il l’yavait laissé. Je ne l’ai pas caché.

– Voulez-vous nous faire croire, »dit M. Apjohn en le regardant avec toute la sévérité dont ilétait capable, « voulez-vous nous faire croire que, pendanttout ce temps, vous n’avez pas su où était letestament ? » Le malheureux ouvrit la bouche et essaya deparler, mais les mots ne vinrent pas. « Nous direz-vous quequand vous avez refusé, il y a un instant de nous laisser chercherdans cette chambre, tout en nous permettant de chercher ailleurs,vous ne connaissiez pas la cachette ? Quand je vous ai demandél’autre jour, dans mon cabinet, si vous saviez où était letestament, et que la peur vous a empêché de me répondre, voussaviez bien jurer que vous n’aviez pas caché vous-même le papier,mais ignoriez-vous ce que contenait le livre ? Quand vous avezdit à M. Griffiths, à Coed, que vous aviez quelque chose àrévéler, n’était-ce pas votre couardise et la crainte du jugementqui vous réduisaient à dire la vérité ? Et n’est-ce pas parlâcheté encore que vous vous y êtes refusé, après votrepromesse ? Vil poltron ! Oseriez-vous nous dire que,quand nous sommes entrés dans cette chambre ce matin, vous nesaviez pas ce qu’il y avait dans le livre ? » Le cousinHenry ouvrit encore la bouche, sans pouvoir articuler un son.« Répondez, monsieur, si vous voulez échapper au châtiment quevous avez mérité.

– Il ne faut pas lui demander des’accuser lui-même, dit M. Brodrick.

– Non ! cria le cousin Henry ;non ! il ne devrait pas demander à un homme de parler contrelui-même. C’est de la cruauté ; n’est-ce pas, oncleBrodrick ?

– Si je ne vous avais pas amené d’unefaçon ou d’une autre à parler contre vous-même, dit M. Apjohn,le testament serait encore là, et nous ne saurions rien. Il y a descirconstances où il faut extorquer d’un homme la vérité. C’est ceque nous avons fait pour vous, misérable créature ! Brodrick,voyons le papier. Je suppose que tout est en règle. » Ilpouvait à peine contenir sa satisfaction et sa joie. Ce n’était pasqu’il eût la perspective d’un profit dans l’affaire. Il pouvaitmême se faire que tous les frais, y compris les honoraires deCheekey, dussent être payés par lui. Mais il était trop fier de sonsuccès pour s’arrêter à des considérations de ce genre. Pendanttout un mois, il n’avait eu dans l’esprit que cette affaire dutestament : y avait-il, ou non, un testament ? S’il y enavait un, où était-il caché ? Et voici que cette fatigued’esprit, ces méditations, cette anxiété de tout un mois étaientcouronnées par un triomphe ! Peu lui importait d’avoir à payerla carte.

« Autant que je puis le voir, ditM. Brodrick, tout est en règle.

– Voyons. » M. Apjohn, étendantla main, reçut le papier, et, s’asseyant sur le fauteuil du cousinHenry, à la table où était encore le déjeuner, il le lutattentivement du commencement à la fin. Le vieillard avait copiéavec une exactitude merveilleuse le testament précédent, dans lesmêmes termes, avec les mêmes signes de ponctuation, et,quelquefois, avec le même défaut de signes de ponctuation.« C’est mon œuvre, jusqu’à la moindre virgule, » ditM. Apjohn avec satisfaction. « Mais pourquoi n’a-t-il pasbrûlé le testament intermédiaire qu’il avait fait en faveur de cecoquin – il désignait le coquin par un mouvement de tête – etprévenu ainsi toutes ces difficultés ?

– Il y a des gens qui pensent qu’untestament, une fois fait, ne doit pas être détruit, ditM. Brodrick.

– Voilà pourquoi, sans doute. C’était unbon vieillard, mais entêté comme une mule. Eh bien, qu’allons-nousfaire maintenant ?

– Mon neveu devra s’entendre avec sonhomme d’affaires pour savoir s’il veut, ou non, contester cetestament.

– Je ne veux rien contester, dit enpleurnichant le cousin Henry.

– Naturellement, nous lui laisserons letemps d’y penser, dit M. Apjohn. Le temps ne lui manquera pas,puisqu’il est en possession. Il aura aussi à répondre à quelquesquestions de M. Cheekey, qui l’embarrasseront un peu.

– Oh non ! cria la victime.

– Je crains bien que ce ne doiveêtre ! Oh si. M. Jones ! Comment vous retirerez-vousdu procès ? Vous êtes tenu de poursuivre M. Evans, de laGazette de Carmarthen, pour diffamation. Naturellement, onsaura, au cours du procès, que nous avons trouvé cet acte. Il n’y apas de raison pour que je tienne la chose secrète, M. Brodricknon plus, je suppose.

– Je pensais que vous agissiez comme monavoué.

– J’ai agi, j’agis encore et j’agiraicomme votre avoué. Tant que l’on vous supposait un honnête homme,ou, plutôt, qu’il a été possible que l’on vous supposât un honnêtehomme, je vous ai dit ce que vous étiez tenu de faire, à titred’honnête homme. La Gazette de Carmarthen savait que vousn’étiez pas un honnête homme, et elle l’a dit. Si vous êtes prêt àparaître devant la cour et à jurer que vous ne saviez rien del’existence de ce testament, que vous ignoriez qu’il fût caché dansce livre, que vous n’aviez rien fait ce matin pour nous empêcher dele chercher, je serai votre avoué. Si l’on m’appelle comme témoincontre vous, je devrai déposer selon la vérité, et M. Brodrickdevra faire comme moi.

– Mais pourquoi le procès seferait-il ?

– Il ne se fera pas, si vous êtes disposéà admettre qu’il n’y avait pas de diffamation dans les articles dujournal. Si vous reconnaissez que ce qui a été écrit était vrai,alors vous aurez à payer les frais pour les deux parties, et lapoursuite sera annulée. Il me semble difficile qu’on puissedescendre jusque-là ; mais on peut tout attendre d’un homme devotre caractère.

– Je vous trouve bien dur pour lui, ditM. Brodrick.

– Moi ? Peut-on être trop dur pourl’homme qui n’a pas eu honte d’agir ainsi ?

– Il est bien dur, n’est-ce pas,M. Brodrick ?

– Dur ? Oui, je le suis, je veuxl’être ; je piétinerai sur vous jusqu’à ce que je voie votrecousine, miss Brodrick, mise en pleine possession de cettepropriété. Je ne veux pas que, par pitié, on vous ménage quelquemoyen d’échapper aux conséquences de votre conduite. En ce moment,vous êtes Henry Jones, propriétaire de Llanfeare, et vous le serezjusqu’au moment où la loi, bien autrement dure que moi, vous enchassera. Imaginez quelque chose pour votre défense, si vous levoulez ; dites que ce testament est un faux.

– Non, non !

– Que M. Brodrick et moi sommesentrés avec le testament, et que nous l’avons mis dans lelivre.

– Je ne dirai rien de semblable.

– Qui l’a mis là ? » Le cousinHenry soupira, gémit, mais ne dit rien. « Qui l’a mislà ? Si vous voulez nous mieux disposer en votre faveur, sivous voulez que nous essayions de vous sauver, dites la vérité. Quia mis le testament dans ce livre ?

– Comment puis-je le savoir ?

– Vous le savez ! Qui l’a mislà ?

– Je suppose que c’est l’oncleIndefer.

– Et vous l’aviez vu ? Le cousinHenry soupira et gémit de nouveau.

– Ne lui faites pas de semblablesquestions, dit M. Brodrick.

– Si ! Si nous pouvons quelque chosepour lui, c’est de lui faire comprendre qu’il doit nous aider etrendre notre tâche facile. Vous l’y aviez vu ? Dites-le, etnous ferons tout notre possible pour vous laisser échapper.

– Oui, accidentellement, dit-il.

– Vous l’aviez vu, alors ?

– Oui, par hasard.

– Ainsi, vous l’avez vu. Alors le démons’est mis à l’œuvre et vous a suggéré de le détruire ? »Il s’arrêta après cette question ; mais le cousin Henry netrouva rien à répondre. « Pourtant le démon n’a pu vous amenerà le faire ? N’est-ce pas cela ? Vous n’étiez pasabsolument sans conscience ?

– Oh ! non.

– Mais votre conscience n’a pu vouscontraindre à livrer le testament, quand vous l’avez eutrouvé ? » Le cousin Henry éclata en sanglots.« C’est ainsi que les choses se sont passées, je suppose. Sivous pouvez vous décider à tout expliquer, vous rendrez votreposition meilleure.

– Puis-je m’en aller à Londres ?demanda-t-il.

– Quant à cela, il faut y réfléchir unpeu. Mais je crois pouvoir dire que, si vous rendez notre tâchefacile, nous rendrons votre situation moins mauvaise. Vousreconnaissez que c’est bien là le dernier testament de votreoncle ?

– Oui.

– Vous reconnaissez que M. Brodrickl’a trouvé dans le livre que je tiens à la main ?

– Je le reconnais.

– Voilà tout ce que je vous demande designer de votre nom. Quant au reste, il suffit que vous ayez avouéla vérité à votre oncle et à moi. J’écrirai quelques lignes quevous signerez, et nous retournerons à Carmarthen, où nous feronsnotre possible pour arrêter le procès. » Là-dessus,M. Apjohn sonna et demanda à Mrs. Griffith de luiapporter du papier et de l’encre. Il écrivit une lettre, adressée àlui-même, qu’il invita le cousin Henry à signer, après l’avoir lueà haute voix à lui et à M. Brodrick. Le cousin Henryreconnaissait les deux faits mentionnés plus haut, et autorisaitM. Apjohn, comme avoué du signataire, à retirer la poursuiteintentée contre le propriétaire de la Gazette deCarmarthen, « en conséquence, disait la lettre, de lamanière dont la possession de Llanfeare se trouvait, par unedécouverte inattendue, être réglée à nouveau. »

La lettre achevée, les deux avoués partirent,laissant le cousin Henry à ses méditations. Il resta assis quelquetemps, confondu par la soudaineté des événements qui venaient de sesuccéder, et incapable de recueillir ses pensées. Ainsi, ladécouverte du testament mettait un terme à cette agitation, faisaittomber toutes ces ardeurs. Il n’avait plus à se demander maintenantce qu’il devait faire. Tout était fini. Il redevenait un employéayant quelque argent en dehors de son salaire de clerc ; ilretournait à son humble, mais tranquille position. Si seulement sesadversaires pouvaient être discrets ; si seulement sescamarades de Londres pouvaient croire que le testament avait ététrouvé sans qu’il en connût la cachette, il serait satisfait. Ilavait été frappé d’un coup terrible ; mais ce serait uneconsolation pour lui, si, en même temps qu’il perdait la propriété,il était déchargé des responsabilités et des accusations quiavaient pesé si lourdement sur lui. Le terrible M. Apjohn luiavait presque promis qu’on lui ménagerait une retraite facile. Toutau moins, il n’aurait pas à subir l’interrogatoire deM. Cheekey ; tout au moins, il n’aurait pas à paraître enjustice. M. Apjohn avait promis aussi qu’il parlerait le moinspossible. Il aurait à faire, pensait-il, une sorte de renonciationlégale ; il était tout disposé à la signer au plus tôt, à laseule condition qu’on lui permît de partir, sans revenir surl’affaire. N’avoir pas à voir les fermiers, n’avoir pas à dire unmot d’adieu aux domestiques, n’avoir pas à aller à Carmarthen,n’avoir pas à affronter M. Cheekey et la cour de justice –voilà tout ce qu’il souhaitait maintenant.

Vers deux heures, Mrs. Griffith entradans la chambre, en apparence pour desservir la table du déjeuner.Elle avait vu le visage triomphant de M. Apjohn, et comprisqu’il avait remporté une victoire. Mais quand elle vit que lecousin Henry n’avait pas touché au déjeuner, elle s’attendrit unpeu. Le moyen d’attendrir une Mrs. Griffith, c’est de ne pasmanger. « Eh quoi ! M. Jones, vous n’avez pas mangéune bouchée ! Voulez-vous que je vous fasse unerôtie ? » Il accepta la rôtie, et la mangea avec plusd’appétit qu’il n’en avait jamais eu depuis la mort de son oncle.Peu à peu, il en vint à sentir que son cœur était soulagé d’ungrand poids. Le testament n’était plus caché dans le livre. Iln’avait rien fait dont il ne pût se repentir. Il n’avait plus laperspective d’une vie à jamais flétrie par une grande faute et,s’il ne pouvait être propriétaire de Llanfeare, il ne serait pas uncriminel, à ses propres yeux du moins. En somme, bien qu’il n’enconvînt pas encore avec lui-même, les transactions de la matinéeavaient amélioré sa condition.

« Vous ne m’approuvez pas dans tout ceque j’ai fait ce matin ? » dit M. Apjohn, aussitôtque les deux avoués furent remontés en voiture.

– J’admire la justesse de votre coupd’œil.

– Ah ! C’est que j’ai concentrétoutes mes pensées dans cette seule affaire. Je l’ai retournée dansmon esprit, jusqu’à ce qu’enfin j’y visse clair. C’est curieux,n’est-ce pas, que je vous aie dit à l’avance tout ce quiarriverait, que j’aie presque désigné le volume ?

– Vous l’avez désigné.

– Oui, le volume de sermons. Votrebeau-frère ne lisait que des sermons. Mais vous pensez que jen’aurais pas dû poser ces questions à votre neveu ?

– Je n’aime pas à forcer un homme às’accuser lui-même, dit M. Brodrick.

– Moi non plus, quand j’ai déjà àl’accuser moi même. Je veux le laisser partir. Mais il nous fallaitbien pour cela connaître exactement et ce qu’il savait et ce qu’ilavait fait. Vous dirai-je la pensée qui m’est venue, tandis quevous faisiez tomber le testament du livre ? Que serait-ilarrivé, s’il avait déclaré que nous avions apporté le testamentavec nous ? S’il avait été assez rusé pour cela, le fait quenous sommes allés droit au livre aurait témoigné contre nous.

– Il n’était pas de force à trouvercela.

– Non, le pauvre diable ! À monavis, il a déjà le châtiment qu’il mérite. Il aurait pu lui arriverbien pire : Nous lui devons d’ailleurs de la reconnaissancepour n’avoir pas détruit le testament. Sa cousine aura à lui donnerles 4.000 livres qu’il devait lui payer à elle.

– Certainement, certainement.

– Il a été maltraité, vous le savez, parson oncle ; et, sur ma foi, il a passé un bien triste mois. Jene voudrais pas, pour deux fois Llanfeare, avoir été haï et insultécomme il l’a été par tout le monde. Je crois que nous l’avonsmaté ; il filera doux. S’il en est ainsi, nous le laisseronspartir tranquillement. Si je l’avais traité moins durement, il seserait enhardi et aurait fait une résistance plus longue. Il auraitfallu alors l’écraser complètement. Je me demandais, pendant toutela fin de l’entrevue, par quel moyen nous pourrions lui ménager undépart facile.

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