Le Roman de Miraut – Chien de chasse

Chapitre 10

 

 

C’était un soir calme de fin d’automne. Lanuit, à grands pas, venait, noircissant par degrés la chape bleuedu ciel qui s’étoilait lentement. Pas un souffle de vent netroublait la tiédeur enveloppante ; les fumées montaientcalmes des cheminées, formant sur les carapaces bigarrées destoitures un léger manteau vaporeux. Les clarines tintaient joyeusesau cou des vaches qui rentraient des champs et marchaient d’unevive allure vers l’abreuvoir ; le marteau du forgeron Martinsonnait par intervalles sur l’enclume argentine, et tous ces bruitsformaient une rumeur paisible et chantante qui était comme larespiration vigoureuse ou la saine émanation sonore du village.

Point trop las de sa journée, les deux jambesde part et d’autre de l’enclume à « chapeler » les faux,fixée dans le vieux tronc de poirier sur lequel il était assis àcalifourchon, Lisée le chasseur, Lisée le braco, rêvait en fumantsa pipe. Plus fatigué, lui, d’une longue randonnée en plein champ,Miraut s’était gravement assis sur son derrière, et, impassible etclignant des yeux par moments, regardait son maître, tirantd’énormes bouffées de son éternel brûle-gueule.

Un pas sonna dans le sentier de l’enclos, etle chien, le reconnaissant pour celui d’un familier, se levaaussitôt, frétillant et aimable, pour saluer, en lui sautant à lapoitrine et en lui léchant les mains, l’ami Philomen, maître deBellone.

– Salut, ma vieille branche ! s’exclamaLisée.

– Je suis venu en bourrer une près de toi,histoire d’attendre le moment de la soupe, expliqua Philomen enchoisissant pour siège le bout équarri d’une grosse poutre noirciepar les intempéries et qui servait de banc rustique.

Et les deux hommes se mirent à deviser destravaux de la saison, du blé qu’on commençait à battre et quirendait pas mal, des labours et des semailles qui s’achevaient dansde bonnes conditions, du bois qu’ils couperaient aux premièresheures de liberté et des défrichements qu’ils entreprendraient aucours de l’hiver prochain.

Miraut s’était rassis. Les rumeurs s’étaienttues. La conversation un instant tomba. Un silence se fit, puis sixheures sonnèrent à la tour du vieux clocher et vinrent ensuite lestrois tintements consécutifs et alternés de trois coups chacunannonçant la volée de l’angélus du soir.

Presque aussitôt, en effet, le lourd marteaud’airain battît à pleins coups les pans de sa jupe de bronze et unerafale de sons s’éparpillèrent en roulements pressés.

Toujours assis sur son derrière, Mirautfrémit ; ses oreilles se soulevèrent et il secoua la tête àplusieurs reprises ; puis, levant le nez au ciel, il se mit àhurler à pleine gorge lui aussi, poussant jusqu’à épuisement saplainte désespérée.

– Tais-toi, mon petit, tais-toi, ce n’estrien, voulut consoler Lisée.

Mais, à chaque bordée de sons, il se reprenaitde plus belle, et le hurlement mourant se regonflait en sanglotspour finir en petite plainte triste et désolée comme un pleurd’enfant.

– C’est drôle, constata Lisée ; iln’avait pas encore pleuré en entendant les cloches.

– Il ne les avait peut-être jamais remarquéescomme ce soir. Écoute comme l’air est calme, on n’entend que ça, ondirait que ça vous imbibe le crâne comme de l’eau qui entreraitdans une éponge ; c’est une douche sonore qu’on prend, et nosoreilles en sont comme ravinées par un torrent. Ça ne m’étonne pasque cela fasse mal à Miraut. Tous les chiens pleurent en entendantles cloches, mais ce n’est pas par sentiment religieux. Ah !fichtre non ! ils s’en fichent pas mal, des religions, eux, ets’ils pleurent, c’est parce qu’ils souffrent.

– Heureusement, continua Lisée, qu’ils ne lesentendent pas souvent : la moindre chose, la moindre odeursurtout, quelquefois le moindre spectacle, mais plus rarement (carchez eux l’oreille est meilleure que l’œil), arrivent à les endistraire. Il a fallu que nous ne disions rien, que l’air fûtcalme, qu’il ne vînt de la cuisine aucun fumet de fricot, que riendans notre attitude ni dans nos gestes ne l’intriguât pour que cepauvre Mimi ait écouté et entendu cette sonnerie de malheur quinous annonce d’ailleurs, par surcroît, la pluie pour demainpeut-être ou pour après-demain au plus tard. Tant qu’ils sontjeunes, une seule sensation les accapare tout entiers : cen’est que dans la suite, lorsqu’ils sont plus âgés, qu’ils arriventà partager leur attention et, comme nous, à voir, entendre etrenifler tout ensemble.

– Ce ne peut pas être, comme le croit laPhémie, parce qu’ils pensent aux morts qu’ils se lamentent au sondes cloches, puisqu’ils poussent les mêmes tristes hurlements, ou àpeu près, en apercevant la pleine lune se lever derrière les arbresdu mont de la Côte. Mais peut-on savoir au juste la cause de cescris !

– C’est bien difficile, vraiment, car nous nepouvons entrer dans leur peau et peut-être qu’ils ne le savent paseux-mêmes de façon précise ; toutefois, ce n’est dans aucuncas un cri de joie.

– Je crois, reprit Philomen, que le son descloches doit leur faire mal aux oreilles ou au nez et que c’est lamarche de la lune dans les rameaux et son ascension dans lesbranches qui doit les épouvanter, car, dans le premier cas, ilsrestent immobiles sur place, et dans le second ils courent enhurlant, agités et inquiets. D’ailleurs, quand la lune est hautdans le ciel et qu’ils n’ont plus de point de repère pour contrôlersa marche, ils n’y font plus attention.

– J’ai remarqué aussi, dit Lisée, que ce sontsurtout les chiens de garde qui aboient à la lune, tandis que cesont les nôtres, les chiens de chasse, qui hurlent à la voix descloches.

– Ça ne m’étonne pas non plus, expliquaPhilomen. Les chiens de garde qui ne bougent guère d’autour de leurniche sont, plus que les autres, sensibles à ce qui remue ;quant aux nôtres, ils ont le nez et l’oreille extrêmementdélicats ; d’ailleurs l’oreille et le nez, ça doit communiquerpar un canal. Quand le bruit des cloches, comme ce soir, est venutaper sur le tympan de Miraut, ça a dû lui ébranler par contre-couples membranes du nez et lui produire le même effet qu’une odeur debête féroce, d’un loup par exemple, ou même aussi l’odeur d’unhomme mort. Peut-être encore que ça lui a fait comme un pincementdouloureux ; nous éternuons bien, nous autres, en regardant lesoleil, et nous ne le regardons pas pourtant avec notre nez.

– Heureusement, plaisanta Lisée, que luin’éternue pas en nous regardant. Mon vieux, chacun de nous, surterre, a quelque chose de bien : les aigles, c’est leursyeux ; les chiens, leur nez ; les lièvres, leursoreilles ; et les femmes leur…, pas leur intelligence, en toutcas. Tout de même, ce serait un sacré type que l’homme quiréunirait l’œil de l’aigle, le nez du chien et l’oreille du lièvre,à condition qu’il ait le cerveau en conséquence.

– Vingt dieux ! nous vois-tu reniflant lelong des tranchées ou aux brèches des murs de lisière pour trouverl’endroit où le lièvre a fait sa rentrée.

– J’ai pourtant connu un type de Velrans quile faisait ; il prétendait être au moins aussi malin que sonchien, et où l’autre trouvait du fret il se foutait à quatre patteslui aussi, fouinant, humant et reniflant, pour apprendre,disait-il. Mais on ne lui en a pas laissé le temps, car on areconnu qu’il était louf et on a été obligé de l’emmener à l’asilede Dôle, où il est « clapsé ». On a même raconté, dans letemps, que ce serait un gardien de l’établissement qui lui auraitfait son affaire un jour qu’il avait soif. Ce gardien-là étaitalcoolique, il se saoulait, il buvait tout ce qu’il gagnait, etcomme il touchait trente sous par macchabée qu’il enterrait, il enzigouillait un de temps à autre pour avoir de quoi licher. En été,naturellement, il claquait un mec par jour, au moins : lesbons docteurs disaient que c’était l’effet du chaud. On ne s’estaperçu de ce petit manège qu’au bout d’un assez long temps ;alors, pour étouffer l’affaire, le bonhomme, de gardien, est passépensionnaire, et voilà tout.

– Mais as-tu déjà purgé Miraut ?interrompit Philomen.

– Non, avoua Lisée, il se purge toutseul ; il ne passe pas un jour sans manger du chiendent.

– C’est très bon, en effet, mais ce n’est passuffisant ; à ta place, je craindrais pour lui la maladie, etil sera d’autant mieux tenu qu’il est plus âgé et de bonnerace.

– Je sais bien, mais qu’y faire ?

– Il n’y a, tu l’as dit, pas grand’chose àtenter, et souvent les meilleures précautions ne servent derien ; tout de même, à ta place, je lui ferais, de temps entemps, prendre un peu de fleur de soufre dans du lait ou du cafénoir. Ils arrivent très bien à avaler le tout.

– Le meilleur remède est encore qu’ils soientforts et robustes, mais cela non plus n’empêche rien biensouvent.

– La soupe est trempée, vint annoncer laGuélotte.

– La manges-tu avec nous ? invitaLisée.

– Merci bien, mon vieux, mais la bourgeoisem’attend ; ce sera pour une autre fois. Bonne nuit et à larevoyure.

– « À revoir », mon vieux, réponditLisée secouant sa pipe et rentrant dans la cuisine, précédé de sonchien.

Il arriva ce que Philomen avait prédit et queLisée craignait. Malgré les purges de café noir et de fleur desoufre, un beau matin, à l’appel de son maître, au lieu de bondiren écartant sa paille des quatre pieds, Miraut se leva lentement etavec hésitation. Ses bons yeux, si clairs et si vifs, étaienttristes et rouges, et du nez suintait une vague mucosité incolorecomme une salive trop épaisse.

– Nom de Dieu de nom de Dieu ! mâchonnaLisée. Voilà que ça y est ! Pourvu que ce ne soit pas tropgrave et qu’il n’en crève pas !

Miraut mangea tout de même la moitié de saterrine de soupe à laquelle le braconnier avait ajouté, pour larendre meilleure, un peu de lait ; ensuite il ne cherchapoint, comme d’ordinaire, à gagner la rue, mais s’en vintlentement, le poil légèrement hérissé et rêche, se coucher en rondderrière le poêle allumé de la chambre.

Le lendemain, le nez coulait plus abondamment,les yeux devenaient chassieux et l’appétit disparaissait avec lafièvre qui l’avait envahi : bien que la température fût douce,Miraut grelottait.

Le maître essaya de lui faire avaler de lafleur de soufre dans du lait : le chien, presque à contrecœur,but le lait, mais laissa au fond de l’assiette la poussièrejaune.

Alors Lisée chercha à se rappeler les vieuxremèdes usités en pareille circonstance : il en connaissaitplusieurs et commença par se rendre chez le cordonnier Julot, quilui prépara un emplâtre de poix. Revenu au logis, il rasa lederrière du crâne de Miraut sous l’os pointu qui fait saillieau-dessus des vertèbres cervicales et appliqua l’emplâtre, quiadhéra aussitôt.

On dit que ça les guérit, avait reconnuJulot ; en tout cas, c’est bien à ton service, et si ça ne luifait pas de bien, ça ne peut pas non plus lui faire grand mal.

Mais la poix n’opéra guère. Mirautmaigrissait, souffrait, paraissait de plus en plus lent et triste.Son museau toujours frais devenait chaud, sa langue sèche ; ilventait, disait Lisée, c’est-à-dire respirait comme un souffletviolemment pressé. Et il avait toujours froid. De temps en temps,il se levait douloureusement de son sac de toile, venait poser sespattes sur la platine du fourneau, le poitrail devant le feu, etlà, triste comme un petit enfant malade, il laissait pencher sapauvre tête dolente de côté, tandis que ses yeux rouges, troubleset perdus, vaguaient dans le vide ou fixaient les choses sans lesvoir.

Il eut des constipations opiniâtres, puis desdiarrhées épuisantes, et passait presque toutes les heuresimmobile, couché en rond, serré sur lui-même, les musclescontractés par un perpétuel grelottement, l’échine rugueuse, commeun petit vieux maniaque qui craint tout des hommes et des choses.Puis ce fut la complète indifférence, et rien ne pouvait le tirerde sa somnolence ou de son marasme. Mitis et Moute et la vieilleMique, le voyant affaissé et souffrant, n’essayaient point dejouer, mais venaient de temps à autre le flairer : toutefois,comme il n’avait pas conservé sa bonne odeur de santé, ils ne leléchaient plus ; mais souvent ils se couchèrent tout contreson poitrail pour le réchauffer. Lui, les regardait de ses yeuxd’où nulle lueur ne jaillissait et qui semblaient désespérés.

Il se taisait obstinément. C’est que son malétait en lui et que toute souffrance dont les bêtes ne voient pasla cause, ou qui persiste cette cause étant disparue, les laissemuettes. Qu’un chien ou un chat ou une autre bête domestique, carles sauvages, eux, savent presque toujours se taire, crie oupleure, ou hurle, ou gronde quand on le heurte, ou qu’on le frappe,ou qu’on le brûle, ou qu’on le mouille, ou qu’on lui marche dessus,cela s’entend : son cri est un appel, une plainte, un défi ouune lutte ; si la source de douleur disparaît, si la causen’est plus apparente, il se tait.

Tout le monde n’a pu voir mourir un chienempoisonné ; mais qui n’a vu de misérables animaux écrasés pardes automobiles, des tramways ou des voitures ! Ils hurlentépouvantablement sous le choc, mais cinq minutes après, quand onles a ramassés, mis sur la paille, ils se lèchent s’ils le peuventencore et souffrent et meurent sans se plaindre.

Ils n’ont pas besoin, ceux-là, de philosophespour leur enseigner le stoïcisme.

Si grand que fût le désarroi physique et moralde Miraut, il ne se plaignit jamais, même le jour où la Guélotte,qui n’avait point désarmé et souhaitait de tout cœur sa crevaisonprochaine, profita d’une absence de Lisée pour le jeter brutalementdehors.

Violemment, à coups de savate, elle te lebalaya, comme elle disait, de son plancher, espérant qu’elle enserait pour tout de bon débarrassée bientôt.

Il ne faisait pas froid, ce jour-là,heureusement, et la rentrée du braconnier provoqua la rentrée duchien.

Cependant, Lisée se désespérait. Il passait delongues heures à côté de son Miraut, lui prenant la tête dans lesmains, le caressant, le recouvrant d’un vieux tricot, le bordantcomme un gosse, lui desserrant les mâchoires pour le contraindre àavaler quelques gorgées de lait ou quelques bouchées de viande quela pauvre bête, souvent, revomissait presque aussitôt.

Mais ni soins ni remèdes n’agissaient. Il n’ya rien à faire contre la maladie ! La maladie, mot vague etindéfini comme les troubles qu’elle provoque ! D’oùvient-elle ? on ne sait pas. Comment la guérit-on ? On nesait pas non plus. Les vétérinaires, médicastres ou potards ontbien inventé des sirops, fabriqué des pilules, composé des poudres,mais tout ça, c’est de la foutaise dont le plus clair résultat estde faire passer les écus de votre profonde dans leur escarcelle.Autant croire sur ce point les paysans et les bracos qui se sontlivrés, au sujet de ce mal mystérieux, aux suppositions les plusbaroques, aux conjectures les plus bizarres. D’après les uns, ceserait un ver qui produirait ces troubles, un ver que nul n’a vu etqui tiendrait ses diaboliques assises non point dans l’estomac,mais au bout de la queue. Il s’agit de l’extraire, de l’extrairesans danger pour la bête, et là est le hic ! Pour d’autres, lamaladie, c’est le sang qui mue ( ?). Comment ?pourquoi ? Mystère. Enfin, d’aucuns veulent encore que ce soitsimplement de la bronchite ; mais affection de la moelleépinière, crise de croissance ou bronchite, nul n’a jamais étécapable d’indiquer une cause précise ni de fixer un remède.

Miraut filait un mauvais coton, semblait-il,quand un jour, un Velrans qui passait par là et qui le vitconseilla à Lisée de le conduire immédiatement à son compatrioteKalaie, lequel était possesseur du « secret » pour guérirles chiens de la maladie.

En ce moment, la peau de Miraut présentait parendroits des taches roussâtres, se boutonnait, devenait pustuleuseet croutelevée, tellement, disait la Guélotte, que c’était unedégoûtation de garder une pareille charogne dans la chambre dupoêle.

Le Velrans insista.

Kalaie ne demandait rien pour sa peine :il gardait le chien une huitaine, le soignait dans le plus grandmystère et, au bout de ce temps, vous le rendait parfaitementguéri. C’était un secret, un secret qu’il tenait de son grand-père,lequel reboutait aussi les entorses et arrêtait les dartres, et quise perpétuait dans la famille.

Pas plus que les autres paysans quiconnaissent d’autres secrets pour d’autres guérisons, pourvu qu’onait la foi, il ne consentait à le confier à personne et nedemandait pas qu’on lui amenât des bêtes ; mais il n’avaitjamais refusé d’en soigner une et – ceci faisait partie sans doutedes règles à observer pour obtenir la guérison – ne voulait jamais,jamais, en aucun cas, accepter d’argent comme rétribution.

L’après-midi même, Lisée attela Cadi à lavoiture de Philomen et conduisit Miraut à Velrans. Il alla remiserle cheval dans l’écurie de Pépé, qui lui confirma les dires duvoyageur, et tous deux menèrent Miraut chez le miraculeuxguérisseur.

Kalaie, paysan aisé et rieur, examina lechien, auquel il fit dresser aussitôt un petit matelas sous lepoêle de la cuisine ; ensuite il offrit la goutte aux deuxvisiteurs et parla de la pluie et du beau temps et des semailles etdes engrais et de la politique.

Étant bon catholique et pratiquant, il n’étaitpas d’accord avec Lisée, mais ce n’était point une raison pour malsoigner Miraut qui, lui, n’était pas socialiste ni réactionnaire etn’avait pas, heureusement, d’opinions touchant la Séparation desÉglises et de l’État.

La discussion fut donc courtoise ; ontomba d’accord sur un point : que tous les députés etsénateurs, radicaux comme cléricaux, n’étaient que des menteurs etdes fripouilles, et sur cette conclusion qui marquait leur bon senset leur rectitude d’esprit, on se sépara en se serrant la main.

– Tu viendras le chercher dans neuf jours,fixa Kalaie, et tu n’auras pas besoin de prendre une voiture pourl’emmener : il pourra marcher tout seul, je te le promets.

Lisée, plein de craintes et d’espérances,retourna à Longeverne, où la semaine lui parut démesurémentlongue.

Soit que l’éruption cutanée eût été un heureuxdérivatif, soit en effet que le remède de Kalaie fût vraimentsouverain, au bout de la huitaine Miraut était guéri ; il selevait, marchait, mangeait ; l’œil redevenait limpide, vif etjoyeux ; le poil se relustrait, l’appétit reprenait.

– Tu n’as qu’à lui faire boulotter de bonnessoupes et, avant quinze jours, il sera gras comme un cochon,affirma Kalaie à Lisée et à Pépé.

– À propos, comment va Caffot ?s’inquiéta ce dernier. Tu ne m’as jamais reparlé de ton goret.

– Il va bien, très bien, comme un bon Siamqu’il est : pourvu qu’il bouffe, il est content. Cependant, jene crois pas que Miraut sympathise jamais avec lui.

– Ah !

– Oui, la première fois que le chien s’estapproché de l’auge, où il barbotait, pour le flairer, il lui a« pouffé » et reniflé au nez comme un grossier qu’il est,et Miraut, qui est une bête polie, ne lui pardonnera pas desitôt ; après tout, ça n’a pas d’importance, mais nous allonsboire un litre. Kalaie, mon vieux, je sais que tu n’accepterais pasde sous et je ne t’en offre pas, mais, ma parole, tu viens de merendre un sacré service. Tu ne peux pas refuser de trinquer avecnous à l’auberge ; malgré que nous ne soyons pas, enpolitique, du même bord, ça n’empêche que tu es un bon bougre etque je serais vexé si tu n’entrais pas prendre un verre et revoirton malade quand tu passeras à Longeverne.

– C’est rien, c’est rien, affirmait Kalaie.C’est des petits services qu’on se doit entre pays.

On s’en fut à l’auberge où, la politiqueaidant, d’un litre on en but plusieurs, ensuite de quoi Pépé voulutqu’on allât chez lui goûter sa vendange et puis Kalaie exigea qu’onfît une troisième pause dans sa maison pour juger de la qualité dela sienne, si bien que ce ne fut qu’assez tard que les troiscompères, parfaitement d’accord et amis comme cochons, seséparèrent, saouls comme des Polonais. La joie entrait, disons-letout de suite à sa décharge, pour une bonne part dans la cuitemagistrale de Lisée.

À Longeverne, cependant, la Guélotte,anxieuse, énervée comme au premier soir, attendait le retour de sonhomme, espérant bien que le chien, nonobstant remèdes etsorcelleries, serait enfin crevé.

Elle pâlit de male rage en voyant, absolumentcomme l’autre fois, son mari, plein comme un boudin, ramener, plusgaillard que jamais, le petit chien qui, affamé par la marche, vintsans tarder flairer toutes les gamelles et toutes les marmites dela cuisine.

– Tas de cochons ! mâchonna-t-elle.Ah ! ce qui ne vaut rien ne risque rien. Je n’ai jamais eu dechance dans ma vie.

Et sans rien ajouter, sombrement rageuse,laissant l’homme et le chien se débrouiller comme ilsl’entendraient, elle monta seule se coucher à la chambre dudessus.

Lisée, pour se venger, prépara aussitôt àMiraut une soupe plantureuse et magnifique dans la confection delaquelle il ne ménagea ni la graisse ni le pain. Puis, jugeant que,pour un convalescent, ce n’était peut-être pas suffisant, il ouvritle buffet où il découvrit un bout de lard d’une bonne demi-livremis en réserve par sa femme pour le repas du lendemain.

– Tiens, s’exclama-t-il en le jetant à Miraut,mange-le, mon petit : ça lui apprendra, à la vieille, à fairela gueule ! C’est elle qui fera maigre demain.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer