Le Roman de Miraut – Chien de chasse

Chapitre 7

 

 

Cependant l’aboi de Miraut et son passage dansle pays n’avaient pas été sans être remarqués. La Guélotte, entrain de sarcler le jardin qu’ils avaient en dehors du village,dans les clos de la fin dessous, fut avisée de l’événement par laPhémie qui accourut à elle, les bras levés, comme pour annoncer ungrand malheur. Cette grande bringue pourtant, comme disait Lisée,n’avait plus rien à craindre pour ses poules, puisque, depuis fortlongtemps, le chien avait renoncé à ce gibier stupide ; maisils n’étaient toujours point camarades et elle avait conservé pourMiraut une haine farouche. La Phémie, donc, vint aviser la Guélottede ce retour et de la joie non dissimulée de Lisée.

Immédiatement, craignant toujours pour lasécurité du marché et redoutant la restitution des trois centsfrancs, elle rentra à la maison afin de rappeler à son mari que lechien n’était plus à lui et lui remettre en mémoire les promessesqu’il avait faites à son acquéreur.

Elle les trouva tous deux, l’homme et lechien, dans la chambre du poêle, en train de se caresser et de setenir des discours réciproques qui devaient être d’ailleursparfaitement inutiles.

Miraut était heureux : il ignorait ce quec’est qu’un marché ; du moment que Lisée le recevait bien, ilpouvait croire que l’ère de la séparation était révolue et que c’enétait fini du cauchemar du Val : l’arrivée de la patronne jetaune ombre sur sa joie et lui fit se souvenir qu’il avait toujoursen elle une ennemie. Par politesse toutefois, par bonté de cœur,pour montrer qu’il ne gardait à personne rancune du méchant tourqu’on lui avait joué, il vint à elle et voulut la caresser, maiselle le repoussa brutalement en disant :

– Qu’est-ce qu’elle revient faire ici, cettesale charogne ?

Et s’adressant à son mari :

– Tu sais, ce n’est pas honnête ce que tu faislà. Tu avais promis à M. Pitancet de ne pas le rattirer s’ilrevenait et je me demande ce qu’il dirait s’il venait vous trouverici tous les deux, comme des idiots, à vous faire des mamours. Tuas fait un marché avec cet homme, il t’a payé largement ; situ agis de telle sorte que le chien se sauve toujours de sa maison,c’est comme si tu le volais.

– Si Miraut ne veut pas rester là-bas, je nepeux pourtant pas… et puis, enfin, je ne suis pas allé le chercher,il est là, ce chien, et je ne veux pas le tuer puisqu’il n’est pasà moi. Il ne veut pas s’en aller tout seul ; les premièresfois on est toujours obligé de venir les rechercher. D’ailleurs, sice monsieur ne veut pas qu’il se sauve, il n’a qu’à le soigner et àmieux le garder.

– Tu vas lui écrire tout de suite qu’ilrevienne le reprendre le plus tôt possible, exigea la patronne.

– Ça ne presse pas, atermoya Lisée.M. Pitancet pensera bien qu’il s’en est venu ici, et ilviendra le chercher sans qu’on ait à le prévenir.

– Eh bien ! si tu n’écris pas, c’est moiqui vais écrire. S’il allait rechasser ici, ce serait peut-êtrenous encore qui écoperions.

– Écris, si tu veux, concéda Lisée ;c’est trois sous de foutus tout simplement.

Le soir même, une lettre à l’adresse deM. Pitancet le prévenait de l’équipée de son chien, et lelendemain après-midi il remontait la côte avec son cheval et savoiture.

Miraut avait écouté d’une oreille attentive ladiscussion : le nom de l’homme du Val, prononcé à plusieursreprises, l’avait très inquiété ; pourtant, comme la patronnen’avait pas trop crié, qu’elle n’avait pas fait d’éclats, qu’ellene l’avait ni chassé, ni battu, il put croire qu’elle consentait àsa réintégration au foyer et ne condamnait pas trop son retour. Ileut, le soir, le plaisir de voir Philomen et Mirette qui, ayantappris son retour, vinrent lui faire une petite visite d’amitié ets’enquérir, chacun à sa façon, des péripéties de son voyage et deson arrivée.

Les deux hommes ne purent s’entretenir seul àseul : leur conversation se ressentait de cette gêne, car laGuélotte, soupçonnant entre eux – qui sait ? – peut-être unvague projet d’entente au sujet de Miraut, ne les quitta pointd’une semelle et accompagna même son homme lorsqu’il reconduisitjusqu’au seuil le chasseur qui allait se coucher.

Lisée néanmoins avait dit son émotion et sajoie à voir que le chien ne l’avait point oublié et avait su, sanss’égarer, franchir les vingt ou trente kilomètres qui séparent lacommune du Val du territoire de Longeverne.

Ils se souvinrent des beaux jours vécus, desgrandes randonnées précédentes, des longues parties de jadis :on évoqua la mémoire de Bellone et de Fanfare ; on parla de lajambe de Pépé qui allait de mieux en mieux et, sans qu’on en eûtsoufflé mot, à la seule idée de la nouvelle séparation et duprochain départ du chien, on se sépara tout tristes.

Cependant Miraut dormait derrière le poêle,Moute d’un côté, Mique de l’autre, car Mitis, depuis quatre jours,tenté par le soleil et s’ennuyant au village, avait déserté lamaison et vadrouillait, disait Lisée, à travers champs où ilfaisait une chasse terrible aux nids de cailles et aux compagniesde perdreaux. Les deux chattes étaient toutes contentes, ellesaussi, d’avoir retrouvé leur camarade. Ils s’étaient parlébrièvement. La vieille Mique avait eu l’air d’interroger :Rron ? Miraut avait répondu : Bou ! et toute unehistoire tenait dans ces syllabes lourdes de sens et profondémentnuancées. On s’était fait des gros dos et des frôlements, ons’était donné des coups de pattes et des coups de langue et l’on setrouvait heureux tout simplement.

Miraut se tranquillisait ; il passa uneexcellente nuit, une matinée meilleure encore, espérant l’heure oùLisée l’emmènerait faire un tour par le village ou dans leschamps.

Mais comme il s’étirait, du devant d’abord, duderrière ensuite, pour indiquer qu’il s’ennuyait, le pas terribleet qu’il ne connaissait que trop déjà, le pas de M. Pitancetretentit sur le pavé de la cour et le fit tressaillir d’étonnementet d’angoisse.

De saisissement, il n’aboya pas, mais commepour chercher un refuge, il se précipita vers Lisée.

À ce moment, la porte s’ouvrait et la voix dumaître, souhaitant le bonjour à la Guélotte, retentit.

– Mon pauvre Mimi ! s’apitoya le chasseuren posant sa main sur le crâne de son ami.

L’homme entra et le chien, en le voyant, eutun instinctif mouvement de recul. Pourtant, comme il étaitimpossible d’éviter la rencontre et que ce nouveau maître n’avaitjamais été méchant pour lui, il ne fuit pas, s’approcha en rampantà son appel et, étendu à ses pieds, le regarda de ses yeuxsuppliants qui semblaient dire : « Je t’en prie,laisse-moi ici, ou reste avec nous : je ne sauraism’accoutumer à habiter au Val. » M. Pitancet le caressa,lui reprocha doucement avec de petits mots d’amitié sa fuguehypocrite, et, sans rancune, lui offrit un petit bout de sucre.Miraut n’y toucha point et le laissa tomber, mais, reconnaissanttout de même de ce geste de générosité, il lécha les doigts dubourreau et se coucha docilement, comme résigné à son sort.

Miraut avait son idée.

Sans en avoir l’air, il guettait la porte etprofita d’une minute d’inattention pour gagner la cuisine ;malheureusement pour lui, l’ouverture du dehors était close et ilne put, agissant vite, avant qu’on ne le remarquât, que gagner laremise et l’écurie où il se disposa à se cacher habilement.

Lisée offrit un verre à M. Pitancet quivoulut à toute force régler la dépense de Miraut ; parpolitesse celui-ci accepta de trinquer, puis, la chose faite, iltira de sa poche une chaîne d’acier pour attacher le chien.

Le croyant à la cuisine, il l’appela ;mais Miraut ne vint point. Lisée, estimant qu’il obéirait mieux àsa voix, l’appela à son tour, mais il ne parut pas davantage.

– Il n’est pas sorti pourtant, affirmait laGuélotte : la porte n’a pas été ouverte ; il est sansdoute allé dormir à la remise.

On s’en fut à la remise et l’on alla jeter uncoup d’œil à l’écurie, mais pas plus à un endroit qu’à un autre onaperçut de Miraut ; on l’appela, on cria son nom : il nerépondit ni n’accourut.

– Sapristi, s’étonnait M. Pitancet, maisil est pourtant quelque part, et si rien n’a été ouvert il ne peutêtre que dans la maison.

Pour être puissamment déduit, ce raisonnementne faisait toujours pas retrouver le chien.

– Il est probablement monté à la grange,hasarda la Guélotte.

La grange fut visitée, explorée et sondée danstous les recoins accessibles : Miraut n’y était pas.

– Il ne peut être qu’à la remise ou àl’écurie, conclut la Guélotte qui, prise d’un soupçon, regardaitd’un œil sévère son mari. Tu n’aurais pas ouvert la porte en allantà la cave, tout à l’heure ? demanda-t-elle.

– En fait de porte, je n’ai ouvert que cellede l’armoire pour prendre la bouteille de goutte, répliquaLisée ; je n’ai pas quitté un seul instant M. Pitancetqui n’a pas voulu que je descende.

– Enfin, ce chien n’est pas rentré sous terre,tout de même. Il n’aurait pas eu l’idée de se cacher, émit cedernier.

Lisée hocha la tête, indiquant par ce gesteque Miraut était au contraire bien capable de cela et de touteautre chose encore, par exemple d’avoir réussi à prendre tout seul,et par des moyens de lui seul connus, la clef des champs. Ilrappela le carreau cassé de jadis, et l’on refit sur sa demande uneminutieuse inspection des ouvertures qui n’amena rien denouveau.

À la fin des fins, on se résolut à tenir endétail et dans tous les coins et recoins l’écurie et la remise.

On commença par l’écurie : on visita lescrèches dessus et dessous, on retourna l’amas de paille entasséedans un coin ; on regarda entre le mur et la cage à lapins,sur la brouette, derrière les portes : nulle part on ne trouvatrace de son passage.

Dans la remise l’inspection se continuaminutieusement ; on bouscula toutes les caisses, on cherchadans tous les recoins ; tout avait été chambardé ; il nerestait plus qu’un endroit qui n’avait pas été exploré, mais ilsemblait impossible que le chien y fût. C’était un amas hétéroclitede vieilles planches et de vieux paniers, d’outils au rebut, demanches cassés, de vieilles hardes, de cuirs de jougs pourris,entassés au petit bonheur contre une vieille crèche, elle-mêmepleine de débris très antiques et sans aucune valeur.

– C’est idiot de penser qu’il est là derrièreou là-dessous, disait M. Pitancet. Qu’est-ce qu’il y foutraitet comment aurait-il pu s’y fourrer ? Un chat aurait déjà dumal à s’y frayer un passage.

Comme il n’y avait plus que cet endroit-là quin’avait pas été mis à nu, on continua tout de même de le déblayer.Ce ne fut qu’à la dernière planche soulevée et quand on désespéraitqu’on découvrit bel et bien Miraut qui s’était réfugié là-dessous.Comment ? au prix de quels travaux ? Il avait dû sefaufiler, s’allonger, s’aplatir, se raser. Et il était là devanttous, couché vaguement, plutôt accroupi, rattroupé sur lui-même. Iln’essaya d’ailleurs point de feindre davantage et de simuler lesommeil : il n’était pas si stupide ; mais il se contentade battre lentement son fouet et de contempler de son regardprofond et si triste le trio qui le déterrait de là. Il eut pourLisée surtout un coup d’œil impressionnant comme un reproche muet,un coup d’œil qui semblait lui demander raison de cet abandon, uncoup d’œil tel que l’autre n’y put tenir et, laissant la Guélotteet M. Pitancet se débrouiller avec lui comme ilsl’entendraient, le cœur chaviré d’une douleur plus vive encorequ’au premier jour, il alla par les rues du village comme une âmeen peine et s’en vint échouer chez Philomen.

Quand il ne vit plus son vieux maître, quandil se sentit seul, abandonné aux mains de ces deux êtres dont l’unle détestait, dont l’autre lui imposait l’exil, Miraut compritqu’il n’avait pas de sursis à attendre ni de grâce à espérer. Il selaissa passer la chaîne et conduire à la voiture où, attaché denouveau, il fut bientôt emporté au galop du cheval qui filaitderechef sur la route du Val.

Lisée, entendant les grelots sonner dans lefracas des roues, eut un geste d’accablement.

– C’est plus fort que moi, affirma-t-il, maisje ne peux pas m’y faire, je peux pas me raisonner, une si bonnebête ! Bon Dieu, que les hommes sont lâches et les femmesmauvaises !

– Quand Mirette fera des petits, je t’enélèverai un, offrit Philomen qui ne savait que trouver pourconsoler un peu son ami.

– Merci, mon vieux, merci, non ! C’estMiraut, vois-tu, qu’il me faut, je ne pourrais plus rien faire avecun autre.

À Velrans, Pépé revit encore passer la voiturefatale emportant Miraut qui sans doute le reconnut, car il jappa enpassant : peut-être un adieu, peut-être un appel. Le chasseuren fut tout retourné ; il avait interrogé des gens et avaitappris l’histoire des procès-verbaux et la surprise de lavente.

En bon camarade, il se désolait de n’avoir purencontrer Lisée, car il se doutait des terribles étamines parlesquelles il avait dû passer avant de s’avouer vaincu et decéder.

« Peut-être aurais-je pu l’aider ?se disait-il. Pourquoi n’est-il pas venu me voir non plus ? Sic’étaient des sous qui lui manquaient, il n’aurait eu qu’à dire unmot ; j’ai toujours quelque part, dans un bas de laine, uncent d’écus de réserve en cas de malheur, que personne ne sait, pasmême la bourgeoise, pour me tirer d’un mauvais pas ou pour obligerun ami. »

Et il enrageait en pensant qu’il n’était pasencore tout à fait assez valide pour accomplir seul, aller etretour, le voyage à pied de Longeverne ; mais il se promit,dès qu’une voiture irait là-bas, de saisir l’occasion par lescheveux, d’aller demander lui-même des explications à son copain etlui offrir, s’il en était encore temps, ses services.

Miraut, assurément très triste d’être remmenéau Val, n’était cependant pas aussi désespéré que le premier jour,car il avait au cœur le secret espoir de s’échapper encore etbientôt, surtout maintenant qu’il savait la manière de s’y prendre,et de revenir de nouveau à Longeverne.

Rien n’aurait su le distraire de ce projet nipersonne l’empêcher de le réaliser. Un chien qui s’est mis en têteune idée n’en démord pas et Miraut était un vrai chien, un fameuxchien, un sacré chien, comme on disait. Il se jura donc, chaquefois qu’il serait libre, de filer bon gré mal gré, de lasser lapatience de son acheteur, de lui éreinter son cheval et de vaincrecoûte que coûte l’indifférence ou la faiblesse de Lisée. Iln’habiterait qu’à Longeverne, cela seul était certain ; il yvivrait comme il pourrait, mais il resterait là et rien ni personnene saurait l’en empêcher.

Ce fut pour cela qu’il n’opposa aucunerésistance, simula l’obéissance, rentra dans la maison du Val commes’il revenait chez lui, accepta toutes les caresses et les rendit,mangea autant qu’on voulut, suivit docilement en promenadeM. Pitancet jusqu’au jour où, bien convaincu de sonaccoutumance, le patron lui retira la laisse et le laissa libredans la maison.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer