Les Louves de Machecoul – Tome II

LXXXVI – La plaque de cheminée

Voyons maintenant ce qui se passait à Nantes,dans cette nuit que nous avons vue s’ouvrir par la mort de JosephPicaut et se continuer par l’arrestation de M. Michel de laLogerie.

Vers neuf heures du soir, un homme auxvêtements trempés d’eau et souillés de boue s’était présenté chezle préfet, et, sur le refus de l’huissier de l’introduire auprès dece magistrat, lui avait fait porter une carte toute-puissante, à cequ’il paraît, car immédiatement le préfet avait quitté sesoccupations pour recevoir cet homme, qui n’était autre que M.Hyacinthe.

Dix minutes après cette entrevue, une forteescouade de gendarmes et d’agents de police se dirigeait vers lamaison que maître Pascal habitait rue du Marché, et se présentait àla porte donnant sur cette rue.

Nulle précaution n’était prise pour assourdirle bruit des pas de cette colonne, pour donner le change sur sesintentions ; si bien que maître Pascal, qui l’avait vue venir,put à loisir s’assurer que la porte de la ruelle n’était pas gardéeet sortir par celle-là, avant que les agents de l’autorité eussentachevé d’enfoncer celle de la rue du Marché, que l’on refusait deleur ouvrir.

Il se dirigea vers la rue du Château et entraau n°3.

M. Hyacinthe, qu’il n’avait pas aperçu, cachéqu’il était dans l’ombre d’une borne, le suivit avec toute laprécaution dont se sert le chasseur pour la proie qu’ilconvoite.

Pendant cette opération préliminaire, dusuccès de laquelle M. Hyacinthe avait probablement répondu,l’autorité avait pris de fortes dispositions militaires, et,aussitôt que le juif eut rendu compte de ce qu’il avait vu aupréfet de la Loire-Inférieure, douze cents hommes, mis sur pied, sedirigèrent vers la maison dans laquelle l’espion avait vudisparaître maître Pascal.

Les douze cents hommes étaient divisés entrois colonnes.

La première descendit le Cours, laissant dessentinelles jalonnées le long des murs du jardin de l’évêché et desmaisons contiguës ; longea les fossés du château et se trouvaen face du n° 3, où elle se déploya.

La seconde, se dirigeant par la rue del’Évêché, traversa la place Saint-Pierre, descendit la grande rue,et vint rejoindre la première par la rue basse du Château.

La troisième se relia aux deux autres par larue haute du Château, en laissant, comme celle-ci, un long cordonde baïonnettes derrière elle.

L’investissement était complet ; tout lepâté de maisons dans lequel se trouvait le n° 3 était cerné.

Les soldats entrèrent au rez-de-chaussée,précédés des commissaires de police, qui marchaient le pistolet aupoing. La troupe se répandit dans la maison, fut placée à toutesles issues ; sa mission était accomplie, celle des policierscommençait.

Quatre dames étaient, en apparence, les seuleshabitantes de la maison : ces dames appartenant à la hautearistocratie nantaise, respectables autant par leur honorabilitéque par leur position sociale, furent mises en étatd’arrestation.

Au-dehors, le peuple s’amassait et formait uneseconde enceinte autour des soldats. La ville tout entière étaitdescendue dans ses places et dans ses rues. Cependant, aucun signeroyaliste ne se manifestait ; c’était une curiosité grave etvoilà tout.

Les perquisitions étaient commencées àl’intérieur et le premier résultat des recherches confirmal’autorité dans la conviction que Mme la duchesse deBerry était dans la maison ; une lettre à l’adresse de SonAltesse royale fut trouvée tout ouverte sur une table ; ladisparition de maître Pascal, que l’on avait vu entrer et que l’onne retrouvait plus, prouvait qu’il y avait une cachette. Le toutétait de la trouver.

Les meubles furent ouverts lorsque les clefss’y trouvaient, défoncés lorsqu’elles manquaient. Les sapeurs etles maçons sondaient les planchers et les murs à grands coups demarteau ; des architectes, amenés dans chaque chambre,déclaraient qu’il était impossible, d’après leur conformationintérieure comparée à leur conformation extérieure, qu’ellesrenfermassent une cachette, ou bien trouvaient les cachettesqu’elles renfermaient. Dans une de celles-ci, on mit la main surdivers objets, entre autres, des imprimés, des bijoux et del’argenterie appartenant au propriétaire de la maison, mais qui,dans ce moment, ajoutèrent à la certitude du séjour de la princessedans cette maison. Arrivés aux mansardes, les architectesdéclarèrent que là, moins que partout ailleurs, il pouvait y avoirune retraite.

Alors on passa aux maisons voisines, où lesrecherches continuèrent. On sondait les gros murs avec une telleforce, que des morceaux de maçonnerie se détachèrent et qu’unmoment il y eut crainte que ces murs tout entiers nes’écroulassent. Pendant que ces choses se passaient en haut, lesdames que l’on avait arrêtées montraient un grand sang-froid, et,quoique gardées à vue par des soldats, elles s’étaient mises àtable.

Deux autres femmes – et l’histoire devra allerchercher les noms de celles-là dans leur obscurité pour lesconserver à la postérité – deux autres femmes encore étaient, de lapart de la police, l’objet d’une surveillance toute spéciale ;ces femmes, les servantes de la maison, nommées Charlotte Moreau etMarie Boissy, furent conduites au château, et, de là, à la casernede la gendarmerie, en voyant qu’elles résistaient à toutes lesmenaces, on tenta de les corrompre ; des sommes de plus enplus fortes leur furent successivement offertes, mais ellesrépondirent constamment qu’elles ignoraient où était Mmela duchesse de Berry.

Après ces recherches infructueuses, lesperquisitions se ralentirent ; le préfet donna le signal de laretraite, laissant, par précaution, un nombre d’hommes suffisantpour occuper toutes les pièces de la maison, ainsi que descommissaires de police qui s’établirent au rez-de-chaussée. Lacirconvallation fut continuée, et la garde nationale vint en partierelever la troupe de ligne qui alla prendre un peu de repos.

Par la distribution des sentinelles, deuxgendarmes se trouvèrent dans les deux mansardes que l’on venaitd’explorer. Le froid était si vif, que ces gendarmes n’y purentrésister : l’un descendit et remonta avec des mottes àbrûler ; dix minutes après, un feu magnifique flambait dans lacheminée, et, au bout d’un quart d’heure, la plaque devintrouge.

Presque en même temps, et quoiqu’il ne fîtpoint encore jour, les travaux des ouvriers perquisiteursrecommencèrent ; les barres de fer et les madriers frappaientà coups redoublés sur le mur de la mansarde et l’ébranlaient.

Malgré ce vacarme effroyable, l’un des deuxgendarmes s’était endormi ; son compagnon, réchauffémomentanément, avait cessé d’entretenir le feu. Enfin, les ouvriersabandonnèrent cette partie de la maison, que, par instinct dedémolisseurs, ils avaient si minutieusement explorée.

Le gendarme qui veillait, désirant profiter dumoment de silence qui venait de succéder au fracas et au mouvementdiabolique qui se faisait depuis la veille, secoua son camarade,afin de dormir à son tour. L’autre s’était refroidi dans sonsommeil et se réveilla tout gelé. À peine eut-il les yeux ouverts,qu’il songea à se réchauffer ; en conséquence, il ralluma lefeu ; puis, comme les mottes ne brûlaient pas assez vivement,il jeta dans le brasier une énorme quantité de paquets deQuotidienne qui se trouvaient dans la chambre, jetéspêle-mêle sous une table.

Ce feu produit par les journaux donna unefumée plus épaisse et une chaleur plus vive que les mottes nel’avaient fait la première fois. Le gendarme, enchanté, sedélassait de son ennui en lisant des Quotidienne, lorsque,tout à coup, son édifice pyrotechnique s’écroula et les mottesqu’il avait appuyées contre la plaque roulèrent au milieu de lamansarde.

En même temps, il entendit derrière la plaqueun bruit qui fit naître en lui une singulière idée : il sefigura qu’il y avait des rats dans la cheminée, que la chaleurallait les forcer de déloger ; il réveilla son camarade, ettous deux, ils se mirent en devoir de leur donner la chasse avecleur sabre.

Pendant qu’ils concentraient toute leurattention dans cet affût d’un nouveau genre, l’un d’eux s’aperçutque la plaque avait fait un mouvement. Il s’écria :

– Qui est là ?

Une voix de femme lui répondit :

– Nous nous rendons, nous allons ouvrir :éteignez le feu !

Les deux gendarmes s’élancèrent aussitôt surle feu, qu’ils dispersèrent à coups de pied. La plaque de lacheminée, pivotant sur elle-même, démasqua une ouverture béante, etune femme, le visage pâle, la tête nue, les cheveux hérissés sur lefront comme ceux d’un homme, vêtue d’une robe de napolitaine,simple, de couleur brune, sillonnée de larges brûlures, sortit decette ouverture en posant ses pieds et ses mains sur le foyerardent.

Cette femme, c’était Petit-Pierre, c’était SonAltesse royale madame la duchesse de Berry.

Ses compagnons la suivirent. Il y avait seizeheures qu’ils étaient enfermés dans cette cachette sans aucunenourriture.

Le trou qui leur avait donné asile avait étépratiqué entre le tuyau de la cheminée et le mur de la maisonvoisine, sous le toit, dont les chevrons lui servaient decouverture.

Au moment où les troupes s’ébranlaient pourcerner la maison, Son Altesse royale était occupée à écouter maîtrePascal, lequel faisait en riant le récit de l’alerte qui venait dele chasser de sa maison. À travers les fenêtres de l’appartement oùelle se trouvait, la duchesse voyait, sur un ciel calme, la lune selever, et, sur sa lumière, se découper, comme une silhouette brune,les tours massives, immobiles et silencieuses du vieux château.

Il y a des moments où la nature semble sidouce et si amie que l’on ne peut croire qu’au milieu de ce calmeun danger veille et vous menace.

Mais, tout à coup, maître Pascal, ens’approchant de la fenêtre, vit reluire les baïonnettes.

À l’instant même, il se rejeta en arrière, encriant :

– Sauvez-vous, madame !sauvez-vous !

Madame s’était précipitée aussitôt surl’escalier et chacun l’avait suivie.

Arrivée à la cachette, elle appela sescompagnons. Comme il avait été reconnu que l’on pouvait y tenir parrang de taille, les hommes qui accompagnaient Son Altesse royale yétaient entrés les premiers ; puis, comme la demoiselle quiétait venue retrouver Madame ne voulait point passer avantelle :

– En bonne stratégie, lui dit la duchesse enriant, lorsqu’on opère une retraite, le commandant doit marcher ledernier.

Les soldats ouvraient la porte de la ruelorsque celle de la cachette se refermait.

Nous avons vu avec quel soin minutieux lesperquisitions avaient été opérées : chaque coup frappé contrela muraille retentissait dans l’asile où se trouvaient la duchessede Berry et ses compagnons ; sous les marteaux, sous lesbarres de fer, sous les madriers, les briques se détachaient, leplâtre tombait en poussière et les prisonniers étaient menacésd’être ensevelis sous les décombres.

Lorsque les gendarmes firent du feu, la plaqueet le mur de la cheminée, en s’échauffant, communiquèrent à lapetite retraite une chaleur qui allait toujours augmentant. L’air ydevenait de moins en moins respirable, et ceux qu’elle renfermaiteussent péri asphyxiés, étouffés, s’ils ne fussent parvenus àdéranger quelques ardoises du toit pour renouveler l’air.

C’était la duchesse qui souffrait leplus ; car, entrée la dernière, elle se trouvait appuyéecontre la plaque ; chacun de ses compagnon ; lui avaitoffert à plusieurs reprises d’échanger sa place avec elle, maisjamais elle n’y avait voulu consentir.

Au danger d’être asphyxiés était venu, pourles prisonniers, s’en joindre un nouveau, celui d’être brûlésvifs ; la plaque était rouge et le bas des vêtements desfemmes menaçait de s’enflammer. Deux fois déjà, le feu avait pris àla robe de madame, et elle l’avait étouffé à pleines mains, au prixde deux brûlures dont elle conserva longtemps les marques.

Chaque minute raréfiait encore l’air intérieuret l’air extérieur fourni par les trous du toit entrait en troppetite quantité pour le renouveler suffisamment. La poitrine desprisonniers devenait de plus en plus haletante ; rester dixminutes de plus dans cette fournaise, c’était compromettre lesjours de la duchesse. Chacun l’avait suppliée de sortir ; elleseule ne le voulut pas ; ses yeux laissaient échapper degrosses larmes de colère qu’un souffle ardent séchait sur sesjoues. Le feu avait pris encore une fois à sa robe, une fois encoreelle l’avait éteint ; mais, dans le mouvement qu’elle fit ense relevant, elle avait soulevé la gâchette de la plaque, quis’était entrouverte et avait ainsi attiré l’attention desgendarmes.

Supposant que cet accident avait dénoncé saretraite, prenant en pitié les souffrances de ses compagnons,madame avait alors consenti à se rendre et était sortie de lacheminée ainsi que nous l’avons raconté précédemment.

Ses premières paroles furent pour demanderDermoncourt. Un des gendarmes descendit le chercher aurez-de-chaussée, qu’il n’avait point voulu quitter.

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