Les Louves de Machecoul – Tome II

L – Un peu d’histoire ne gâte rien

Le voyageur fut conduit, par un mauvaisescalier qui semblait collé contre la muraille, jusqu’au premierétage de la maison ; son conducteur ouvrit une porte etaperçut une grande chambre de construction récente dont les paroissuaient l’humidité et dont les boiseries montraient leur bois blancà travers le mince badigeon qui les couvrait.

Dans cette chambre, couchée sur un lit desapin grossièrement équarri, il aperçut une femme, et dans cettefemme il reconnut madame la duchesse de Berry.

L’attention de maître Marc se concentra toutentière sur elle.

Les draps de sa misérable couchette étaient debatiste très fine ; ce luxe de linge blanc et soyeux était laseule chose qui rappelât son rang dans le monde.

Un châle à carreaux rouges et verts servait decouverture.

Une mauvaise cheminée en plâtre, garnie d’unelégère boiserie, chauffait l’appartement, qui n’avait pour tousmeubles qu’une table couverte de papiers sur lesquels était poséeune paire de pistolets.

Deux chaises où étaient jetés un costumecomplet de jeune paysan et une perruque brune, se trouvaientplacées l’une près de la table, – c’était celle où était laperruque – l’autre au pied du lit, – c’était celle où étaient lesvêtements.

La princesse portait sur sa tête une de cescoiffes de laine comme en portent les femmes du pays et dont lesboucles retombaient sur ses épaules.

À la lueur des deux bougies posées sur unetable de nuit de bois de rose fortement éraillée, débris évident dequelque mobilier de château, la duchesse dépouillait sacorrespondance.

Un assez grand nombre de lettres placées surcette même table de nuit, et maintenues en guise de serre-papierpar une seconde paire de pistolets, n’était pas encoredécacheté.

Madame paraissait attendre avec impatiencel’arrivée du voyageur ; car, en l’apercevant, elle sortit àmoitié du lit pour tendre vers lui ses deux mains.

Celui-ci les prit, les baisa respectueusement,et la duchesse sentit une larme qui tombait des yeux du fidèlepartisan sur celle des deux mains qu’il avait gardée dans lessiennes.

– Une larme, monsieur ! dit laduchesse ; m’apportez-vous de mauvaises nouvelles ?

– Cette larme sort de mon cœur, madame,répondit maître Marc ; elle n’exprime que mon dévouement et leprofond regret que j’éprouve de vous voir ainsi isolée et perdue,au fond d’une métairie de la Vendée, vous que j’ai vue…

Il s’arrêta ; les larmes l’empêchaient deparler.

La duchesse reprit sa phrase où il l’avaitlaissée et continua :

– Oui, aux Tuileries, n’est-ce pas, sur lesmarches d’un trône ? Eh bien, cher monsieur, j’y étais, à coupsûr, plus mal gardée et moins bien servie qu’ici ; car, ici,je suis servie et gardée par la fidélité qui se dévoue, tandis quelà-bas, je l’étais par l’intérêt qui calcule… Mais arrivons au but,que je ne vous vois pas éloigner sans inquiétude, je l’avoue. Desnouvelles de Paris, vite ! M’apportez-vous de bonnesnouvelles ?

– Croyez, Madame, répondit maître Marc, croyezà mon profond regret, moi, homme d’enthousiasme, d’avoir été forcéde me faire le messager de la prudence.

– Ah ! ah ! fit la duchesse, pendantque mes amis de Vendée se font tuer, mes amis de Paris sontprudents, à ce qu’il paraît. Vous voyez bien que j’avais raison devous dire que j’étais ici mieux gardée et surtout mieux serviequ’aux Tuileries.

– Mieux gardée peut-être, oui, Madame ;mais mieux servie, non ! Il y a des moments où la prudence estle génie du succès.

– Mais, monsieur, reprit la duchesseimpatiente, je suis aussi bien renseignée sur Paris que vous, et jesais qu’une révolution y est instante.

– Madame, répondit l’avocat de sa voix fermeet sonore, nous vivons depuis un an et demi dans les émeutes, etaucune de ces émeutes n’a pu monter encore à la hauteur d’unerévolution.

– Louis-Philippe est impopulaire.

– Je vous l’accorde ; mais cela ne veutpas dire qu’Henri V soit populaire, lui.

– Henri V ! Henri V ! mon fils nes’appelle pas Henri V, monsieur, dit la duchesse ; ils’appelle Henri IV second.

– Sous ce rapport, madame, repartit l’avocat,il est bien jeune encore, permettez-moi de vous le dire, pour quenous sachions son vrai nom ; puis, plus on est dévoué à unchef, plus on lui doit la vérité.

– Oh ! oui, la vérité ! je lademande, je la veux ; mais la vérité !

– Eh bien, madame, la vérité, la voici. Parmalheur, les souvenirs des peuples se perdent dans un horizonétroit ; pour le peuple français, c’est-à-dire pour cetteforce matérielle et brutale qui fait les émeutes, et quelquefoismême, quand l’haleine d’en haut souffle sur elle, les révolutions,il y a deux grands souvenirs dont le premier remonte àquarante-trois ans et le second à dix-sept : le premier, c’estla prise de la Bastille, c’est-à-dire la victoire du peuple sur laroyauté, victoire qui a donné le drapeau tricolore à lanation ; le second, c’est la double restauration de 1814 et de1815, victoire de la royauté sur le peuple, victoire qui a imposéle drapeau blanc au pays. Or, madame, dans les grands mouvements,tout est symbole ; le drapeau tricolore, c’est laliberté ; il porte écrit sur sa flamme : Par cesigne, tu vaincras ! le drapeau blanc, c’est la bannièredu despotisme ; il porte sur sa double face : Par cesigne, tu as été vaincu !

– Monsieur !

– Ah ! vous voulez la vérité,madame ; alors laissez-moi donc vous la dire.

– Soit ; mais, quand vous aurez dit, vousme permettrez de vous répondre.

– Oui, madame, et je serai bien heureux sicette réponse peut me convaincre.

– Continuez.

– Vous avez quitté Paris, le 28 juillet,madame ; vous n’avez donc pas vu avec quelle rage le peuple amis en pièces le drapeau blanc et foulé aux pieds les fleurs delis…

– Le drapeau de Denain et deTaillebourg ! les fleurs de lis de saint Louis et de LouisXIV !

– Par malheur, Madame, le peuple ne sesouvient, lui, que de Waterloo ; le peuple ne connaît queLouis XVI : une défaite et une exécution… Eh bien, savez-vous,madame, la grande difficulté que je prévois pour votre fils,c’est-à-dire pour le dernier descendant de saint Louis et de LouisXIV ? C’est justement le drapeau de Taillebourg et de Denain.Si Sa Majesté Henri V ou Henri IV second, comme vous l’appelez siintelligemment, rentre dans Paris avec le drapeau blanc, il nepassera pas le faubourg Saint-Antoine : avant d’arriver à laBastille, il est mort.

– Et… s’il rentre avec le drapeautricolore ?

– C’est bien pis, madame ! avantd’arriver aux Tuileries, il est déshonoré.

La duchesse fit un soubresaut ; pourtantelle resta muette.

– C’est peut-être la vérité, dit-elle aprèsune minute de silence ; mais elle est dure !

– Je vous l’ai promise tout entière, et jetiens ma promesse.

– Mais, si telle est votre conviction,monsieur, demanda la duchesse, comment restez-vous attaché à unparti qui n’a aucune chance de succès ?

– Parce que j’ai fait serment des lèvres et ducœur à ce drapeau blanc, sans lequel et avec lequel votre fils nepeut revenir, et que j’aime mieux être tué que déshonoré.

La duchesse redevint muette un instantencore.

– Ce ne sont point là les renseignements quej’avais reçus et qui m’ont déterminée à revenir en France,dit-elle.

– Non, sans doute, madame ; mais il fautsonger à une chose : c’est que, si la vérité arrivequelquefois jusqu’aux princes régnants, elle n’arrive jamaisjusqu’aux princes détrônés.

– Permettez-moi de vous dire qu’en votrequalité d’avocat, monsieur, vous pouvez être soupçonné de cultiverle paradoxe.

– Le paradoxe, en effet, Madame, est une desfaces de l’éloquence ; seulement, ici, avec Votre Altesseroyale, il s’agit, non pas d’être éloquent, mais d’être vrai.

– Pardon… vous disiez tout à l’heure que lavérité n’arrivait jamais aux princes détrônés : ou vous voustrompiez tout à l’heure, ou vous me trompez maintenant.

L’avocat se mordit les lèvres ; il étaitpris par son propre dilemme.

– Ai-je dit jamais, Madame ?

– Vous avez dit jamais.

– Alors supposons qu’il y a une exception, etque, cette exception, Dieu a permis que j’en sois lereprésentant.

– Je le suppose, et je vous demande :pourquoi la vérité n’arrive-t-elle jamais aux princesdétrônés ?

– Parce que les princes sur le trône peuvent,à la rigueur, être entourés d’ambitions satisfaites, mais que lesprinces détrônés le sont nécessairement d’ambitions à satisfaire.Sans doute, madame, il y a autour de vous quelques cœurs généreuxqui se dévouent avec une complète abnégation ; mais il y aaussi pas mal de personnes qui voient, dans votre retour en France,une voie frayée à votre suite, et par laquelle elles monteront à laréputation, à la fortune, aux honneurs ; il y a aussi lesmécontents qui ont perdu leur position et qui veulent tout à lafois la reconquérir et se venger de ceux qui la leur ont prise. Ehbien, tous ces gens-là voient mal les faits, apprécient mal lasituation ; leur désir se traduit en espérances, leursespérances en certitude ; ceux-là rêvent sans cesse unerévolution qui viendra peut-être, mais qui, à coup sûr, ne viendrapas à l’heure où ils l’attendent. Ils se trompent et voustrompent ; ils commencent par se mentir à eux-mêmes et ensuitevous mentent, à vous ; ils vous attirent dans un danger où ilssont prêts à se jeter ; de là l’erreur ! erreur fatale,qu’ils vous ont fait partager, madame, et qu’il faut que vousreconnaissiez être une erreur, en face de la vérité incontestableque je dévoile brutalement, peut-être, mais fidèlement à vosregards.

– En somme, dit la duchesse d’autant plusimpatiente que ces paroles confirmaient celles qu’elle avait déjàentendues au château de Souday, qu’apportez-vous dans les plis devotre toge, maître Cicéron ? est-ce la paix ? est-ce laguerre ?

– Comme il est entendu que nous restons dansles traditions de la royauté constitutionnelle, je répondrai à SonAltesse royale qu’en sa qualité de régente, c’est à elle qu’ilappartient d’en décider.

– Oui, n’est-ce pas ? quitte à mesChambres à me refuser des subsides, si je ne décide pas comme illeur convient. Oh ! maître Marc, je connais toutes lesfictions de votre régime constitutionnel, dont le principalinconvénient, à mon avis, est de faire surtout les affaires, nonpas de ceux qui parlent le mieux, mais de ceux qui parlent le plus.Enfin, vous avez dû recueillir les opinions de mes fidèles et fauxconseillers sur l’opportunité de la prise d’armes. Quelleest-elle ? qu’en pensez-vous vous-même ? Nous avonsbeaucoup parlé de la vérité ; c’est parfois un spectreterrible. N’importe ! quoique femme, je n’hésite pas àl’évoquer.

– C’est parce que je suis bien convaincu qu’ily a l’étoffe de vingt rois dans la tête et dans le cœur de Madameque je n’ai point hésité non plus à me charger d’une mission que jeregarde comme douloureuse.

– Ah ! nous y voilà enfin !… Allons,moins de diplomatie, maître Marc ; parlez haut et ferme, commeil convient que l’on parle à ce que je suis ici, c’est-à-dire à unsoldat.

Puis s’apercevant que le voyageur, après avoirarraché sa cravate, cherchait à la découdre pour en tirer unpapier :

– Donnez, donnez, dit-elle avecimpatience ; j’aurai plus tôt fait que vous.

C’était une lettre écrite en chiffres.

La duchesse y jeta les yeux ; puis, larendant à maître Marc :

– Je perdrais du temps à l’épeler,dit-elle ; lisez-la-moi : cela doit vous êtrefacile ; car vous savez sans doute ce qu’elle contient.

Maître Marc prit le papier des mains de laduchesse, et, en effet, lut sans hésitation ce qui suit :

« Les personnes en qui l’on a reporté unehonorable confiance ne peuvent s’empêcher de témoigner leur douleurdes conseils en vertu desquels on est arrivé à la criseprésente ; ces conseils ont été donnés, sans doute, par deshommes pleins de zèle, mais qui ne connaissent ni l’état actuel deschoses, ni la disposition des esprits. »

» On se trompe quand on croit à lapossibilité d’un mouvement dans Paris : on ne trouverait pasdouze cents hommes non mêlés d’agents de police qui, pour quelquesécus, fissent du bruit dans la rue et se risquassent à combattre lagarde nationale et une garnison fidèle.

» On se trompe sur la Vendée, comme ons’est trompé sur le Midi : cette terre de dévouement et desacrifices est désolée par une nombreuse armée aidée de lapopulation des villes, presque toute anti-légitimiste ; unelevée de paysans n’aboutirait désormais qu’à faire saccager lescampagnes et à consolider le gouvernement par un triomphefacile.

» On pense que, si la mère d’Henri Vétait en France, elle devrait se hâter d’en sortir après avoirordonné à tous les chefs de se tenir tranquilles. Ainsi, au lieud’être venue organiser la guerre civile, elle serait venue demanderla paix ; elle aurait eu la double gloire d’accomplir uneaction de grand courage et d’arrêter l’effusion du sangfrançais.

» Les sages amis de la légitimité, quel’on n’a jamais prévenus de ce que l’on voulait faire, qui n’ontjamais été consultés sur les partis hasardeux que l’on voulaitprendre, et qui n’ont connu les faits que lorsqu’ils étaientaccomplis, renvoient la responsabilité de ces faits à ceux qui enont été les conseillers et les auteurs : ils ne peuvent nimériter l’honneur ni encourir le blâme dans les chances de l’une oude l’autre fortune. »

Pendant cette lecture, Madame avait été enproie à une vive agitation ; sa figure, habituellement pâle,s’était couverte de rougeur ; sa main tremblante passait etrepassait dans ses cheveux et repoussait en arrière le bonnet delaine qu’elle portait sur sa tête. Elle n’avait pas prononcé unmot, elle n’avait point interrompu le lecteur ; mais il étaitévident que son calme précédait une tempête. Pour la détourner,maître Marc se hâta de dire en lui rendant la lettre, qu’il avaitrepliée :

– Ce n’est point moi, Madame, qui ai écritcette lettre.

– Non, répondit la duchesse incapable de secontenir plus longtemps ; mais celui qui l’a apportée étaitbien capable de l’écrire.

Le voyageur comprit qu’avec cette nature viveet impressionnable, il ne gagnerait rien en courbant la tête ;il se redressa donc de toute sa hauteur.

– Oui, dit-il ; et il rougit d’un momentde faiblesse, et il déclare à Votre Altesse royale que, s’iln’approuve pas certaines expressions de cette lettre, il partage aumoins le sentiment qui l’a dictée.

– Le sentiment ! répéta laduchesse ; appelez ce sentiment-là de l’égoïsme, appelez-le dela prudence qui ressemble fort à de la…

– Lâcheté, n’est-ce pas, Madame ? Et, eneffet, il est bien lâche, le cœur qui a tout quitté pour venirpartager une situation qu’il n’avait pas conseillée ! Il estvraiment égoïste, celui qui est venu vous dire : « Vousvoulez la vérité, Madame, la voici ! mais, s’il plaît à VotreAltesse royale de marcher à une mort inutile autant que certaine,elle va m’y voir marcher à ses côtés ! »

La duchesse resta quelques instantssilencieuse ; puis elle reprit avec plus de douceur :

– J’apprécie votre dévouement, monsieur ;mais vous connaissez mal l’état de la Vendée ; vous n’en êtesinformé que par ceux qui sont opposés au mouvement.

– Soit ; supposons ce qui n’est pas,supposons que la Vendée va se lever comme un seul homme ;supposons qu’elle va vous entourer de ses bataillons, supposonsqu’elle ne vous marchandera ni le sang, ni les sacrifices : laVendée n’est pas la France !

– Après m’avoir dit que le peuple de Parishait les fleurs de lis et méprise le drapeau blanc, voulez-vous enarriver à me dire que toute la France partage les sentiments dupeuple de Paris ?

– Hélas ! Madame, la France est logique,et c’est nous qui poursuivons une chimère en rêvant une allianceentre le droit divin et la souveraineté populaire, deux mots quihurlent en se sentant accouplés. Le droit divin semble fatalementconduire à l’absolutisme, et la France ne veut plus del’absolutisme.

– L’absolutisme ! l’absolutisme ! ungrand mot pour effrayer les petits enfants.

– Non, ce n’est point un grand mot ;c’est tout simplement un mot terrible. Peut-être sommes-nous plusprès de la chose que nous ne le pensons ; cependant j’airegret de vous l’avouer, madame, je ne crois point que ce soit àvotre royal fils que Dieu réserve le dangereux honneur de muselerle lion populaire.

– Et pourquoi, monsieur ?

– Parce que c’est de lui surtout qu’il sedéfie, parce que, d’aussi loin qu’il le verra venir, le lionsecouera sa crinière, aiguisera ses griffes et ses dents, et ne lelaissera approcher que pour bondir à lui. Oh ! l’on n’est pasimpunément le petit-fils de Louis XIV, madame.

– Alors, d’après vous, tout serait dit pour ladynastie bourbonienne ?

– À Dieu ne plaise qu’une semblable idée mevienne jamais, madame ! Seulement, je crois qu’on ne fait pasrebrousser chemin aux révolutions ; je crois que, lorsqu’unefois on les a laissées naître, il ne faut pas les arrêter dansleurs développements ; c’est tenter l’impossible, c’estvouloir faire remonter le torrent à sa source. Ou celle-ci seraféconde, et, dans ce cas, madame, je connais assez le patriotismede vos sentiments pour croire que vous lui pardonnerez ; ouelle sera stérile, et alors les fautes de ceux qui se sont emparésdu pouvoir serviront votre fils mieux que ne le feraient tous sesefforts.

– Mais alors, monsieur, cela peut durer ainsijusqu’à la consommation des siècles !

– Madame, Sa Majesté Henri V est un principe,et les principes partagent avec Dieu le privilège d’avoirl’éternité dans leur domaine.

– Ainsi, à votre avis, je dois renoncer àtoutes mes espérances, abandonner mes amis compromis, et, danstrois jours, quand ils prendront les armes, les laisser me chercherinutilement dans leurs rangs et leur faire dire par unétranger : « Marie-Caroline, pour laquelle vous étiezprêts à combattre, pour laquelle vous étiez prêts à mourir, adésespéré de sa fortune et a reculé devant la destinée ;Marie-Caroline a eu peur… » Oh ! non, jamais, jamais,monsieur !

– Vos amis n’auront pas ce reproche à vousfaire, madame ; car, dans trois jours, vos amis ne seréuniront pas.

– Mais vous ignorez donc que la prise d’armesest fixée au 24 ?

– Vos amis, madame, ont dû recevoircontre-ordre.

– Quand cela ?

– Aujourd’hui.

– Aujourd’hui ? s’écria la duchesse enfronçant le sourcil, et en se dressant sur ses deux poings. Et d’oùleur est venu cet ordre ?

– De Nantes.

– Qui le leur a donné ?

– Celui à qui vous-même leur avez commandéd’obéir.

– Le maréchal ?

– Le maréchal n’a fait que suivre lesinstructions du comité parisien.

– Mais alors, s’écria la duchesse, je ne suisdonc plus rien, moi ?

– Vous, madame, au contraire, s’écria lemessager en se laissant tomber sur un genou et en joignant lesmains, vous êtes tout, et c’est pour cela que nous voussauvegardons ; c’est pour cela que nous ne voulons pas voususer dans un mouvement inutile ; c’est pour cela que noustremblons de vous dépopulariser par une défaite !

– Monsieur, monsieur, dit la duchesse, siMarie-Thérèse avait eu des conseillers aussi timides que les miens,elle n’eût pas reconquis le trône à son fils.

– C’est au contraire, pour l’assurer plus tardau vôtre, madame, que nous vous disons : « Quittez laFrance et laissez-nous faire de vous l’ange de la paix, au lieu dudémon de la guerre ! »

– Oh ! oh ! dit la duchesse enappuyant, non pas ses mains, mais ses poings sur ses yeux, quellehonte ! quelle lâcheté !

Maître Marc continua comme s’il n’eût pasentendu, ou plutôt comme si la résolution qu’il était chargé defaire connaître à Madame était si bien arrêtée, que rien ne pouvaitla changer :

– Toutes les précautions sont prises pour queMadame puisse quitter la France sans être inquiétée : unnavire croise dans la baie de Bourgneuf ; en trois heures,Votre Altesse peut l’avoir joint.

– Ô noble terre de la Vendée ! s’écria laduchesse, qui m’aurait dit cela, que tu me repousserais, que tu mechasserais quand je venais au nom de ton Dieu et de ton roi !Ah ! je croyais qu’il n’y avait que ce Paris sans foi qui fûtinfidèle et ingrat ; mais toi, toi à qui je venais redemanderun trône, toi me refuser une tombe ? Oh ! non, non, jen’eusse jamais cru cela !

– Vous partirez, n’est-ce pas, madame ?dit le messager toujours à genoux et les mains jointes.

– Oui, je partirai, dit la duchesse ;oui, je quitterai la France ; mais prenez garde, je n’yreviendrai pas ; car je ne veux pas y revenir avec lesétrangers. Ils n’attendent qu’un moment pour se coaliser contrePhilippe, vous le savez bien, et, ce moment arrivé, ils viendrontme demander mon fils, non pas qu’ils s’inquiètent plus de luivéritablement qu’ils ne s’inquiétaient de Louis XVI en 1792 et deLouis XVIII en 1813, mais ce sera un moyen pour eux d’avoir unparti à Paris. Eh bien, alors, non, ils n’auront pas monfils ; non, ils ne l’auront pour rien au monde ! jel’emporterai plutôt dans les montagnes de la Calabre. Voyez-vous,monsieur, s’il faut qu’il achète le trône de France par la cessiond’une province, d’une ville, d’une forteresse, d’une maison, d’unechaumière comme celle dans laquelle je suis, je vous donne maparole de régente et de mère qu’il ne sera jamais roi ! etmaintenant, je n’ai plus rien à vous dire. Allez, monsieur, etreportez mes paroles à ceux qui vous ont envoyé.

Maître Marc se releva et s’inclina devant laduchesse, attendant qu’au moment de son départ, elle lui tendît unedes deux mains qu’elle lui avait tendues à son arrivée ; maiselle resta menaçante, les poings fermés, les sourcils froncés.

– Dieu garde Votre Altesse ! dit lemessager ne jugeant pas à propos d’attendre plus longtemps, etpensant avec raison que, tant qu’il serait là, pas un muscle decette généreuse organisation ne fléchirait.

Il ne se trompait pas ; mais à peine laporte se fut-elle refermée derrière lui, que Madame, brisée par celong effort, retomba sur son lit en éclatant en sanglots et enmurmurant :

– Oh ! Bonneville ! mon pauvreBonneville !

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