Les Louves de Machecoul – Tome II

LXIV – Le château de la Pénissière

Tandis que les Vendéens livraient au Chêne uncombat inutile, mais qui n’était pas sans gloire, quarante-deux desleurs soutenaient, à la Pénissière de la Cour, une lutte dontl’histoire conservera le souvenir.

Ces quarante-deux royalistes, qui faisaientpartie de la division de Clisson, étaient partis de cette villedans l’intention de marcher sur le bourg de Cugan, dont ilsdevaient désarmer la garde nationale. Un orage affreux, en éclatantau-dessus de leurs têtes, les força de chercher un abri dans lechâteau de la Pénissière, où un bataillon du 29e régiment de ligne,averti de leur mouvement, ne tarda point à les investir.

La Pénissière est une vieille bâtisse à unseul étage entre rez-de-chaussée et grenier ; elle est percéede quinze ouvertures de formes irrégulières. La chapelle se trouveadossée à un coin du château. Plus loin, et joignant le vallon,s’étend une prairie entrecoupée de haies vives et que l’abondancedes pluies avait transformée en lac.

En outre, un mur crénelé par les Vendéensentourait l’habitation.

Le chef de bataillon qui commandait lestroupes de ligne n’eut pas plus tôt reconnu la position, qu’ilordonna l’attaque.

Après une courte défense, le mur extérieur futabandonné, et les Vendéens se replièrent dans le château, dont ilsbarricadèrent les portes.

Alors, ils se distribuèrent au rez-de-chausséeet à l’étage, chaque détachement ayant avec lui un clairon qui necessa de jouer pendant tout le combat, et ils commencèrent par lesfenêtres un feu très habilement dirigé et dont la vivacité nepouvait laisser soupçonner leur petit nombre.

C’étaient les plus adroits tireurs qui étaientchargés de l’entretenir ; presque sans discontinuer, ilsdéchargeaient contre les assiégeants de lourdes espingoles queleurs camarades rechargeaient et qu’on leur passait de main enmain.

Chaque espingole portait une douzaine deballes ; les Vendéens en tiraient cinq ou six à la fois :on eût dit une batterie de canons chargés à mitraille.

À deux reprises, les soldats tentèrentl’assaut ; ils arrivèrent jusqu’à vingt pas du château, maisils furent forcés de reculer.

Le commandant ordonna une nouvelle attaque,et, tandis qu’elle se préparait, quatre hommes aidés d’un maçons’avancèrent vers le château en choisissant un côté du pignon quin’avait aucun jour sur le jardin et dont on ne pouvait, parconséquent, défendre l’approche. Une fois arrivés au pied du mur,les soldats y appliquèrent une échelle, et, montant jusqu’au toit,qu’ils découvrirent, ils jetèrent dans l’intérieur du grenier desmatières enflammées et se retirèrent. Au bout d’un instant, unecolonne de fumée s’échappa du toit, au travers duquel la flamme sefit jour.

Les soldats poussèrent de grands cris etmarchèrent de nouveau vers la petite citadelle, qui semblait avoirarboré un étendard de feu. Les assiégés s’étaient bien aperçus del’incendie ; mais ils n’avaient pas le temps de l’éteindre,et, d’ailleurs, la flamme tendant toujours à s’élever, ilsespéraient que, le toit dévoré, elle s’éteindrait d’elle-même. Ilsrépondirent aux cris des soldats par une fusillade terrible,pendant laquelle les deux clairons ne cessèrent pas un seul instantde faire retentir leurs airs guerriers et joyeux.

Les blancs entendaient leurs ennemis dire enparlant d’eux :

« Ce ne sont pas des hommes, ce sont desdiables que nous avons à combattre ! » Et cet élogemilitaire leur donnait une nouvelle ardeur.

Cependant, un renfort d’une cinquantained’hommes étant arrivé aux assiégeants, le commandant fit battre lacharge, et les soldats, à l’envi les uns des autres, seprécipitèrent vers le château.

Cette fois, ils parvinrent jusqu’aux portes,que les sapeurs se mirent à enfoncer. Les chefs vendéensordonnèrent à ceux des leurs qui se trouvaient au rez-de-chausséede monter au premier étage ; ceux-ci obéirent, et, tandis quela moitié des assiégés continuait la fusillade, l’autre moitiémettait le plancher à jour en enlevant les carreaux ; de sortequ’au moment où les soldats pénétrèrent dans l’intérieur, ilsfurent accueillis par une fusillade à bout portant, dirigée contreeux, à travers les entre-deux des poutres, et se virent forcés pourla quatrième fois de se retirer.

Le chef de bataillon ordonna alors de fairepour le rez-de-chaussée ce qu’on avait fait pour le grenier.

Des fascines de bruyère et de bois sec furentjetés par les fenêtres dans l’intérieur du château ; quelquestorches enflammées furent lancées par-dessus, et, au bout de dixminutes, les Vendéens avaient à la fois le feu sur la tête et sousles pieds.

Et, cependant, ils combattaienttoujours ! Les nuages de fumée qui s’échappaient de chaquefenêtre se rayaient, de seconde en seconde, du feu desespingoles ; mais cette fusillade paraissait être la vengeancedu désespoir et non plus la lutte de la défense ; il semblaitimpossible que la petite garnison évitât la mort.

La place n’était plus tenable : despoutres, des solives avaient pris feu et craquaient sous les piedsdes Vendéens ; des langues de flammes commençaient à sortir çàet là du parquet ; d’un instant à l’autre, la toiture pouvaits’écrouler sur la tête des assiégés ou le plancher s’abîmer sousleurs pieds ; la fumée les asphyxiait.

Les chefs prirent un parti désespéré :ils résolurent de faire une sortie ; mais, comme il fallait,pour qu’elle offrît quelque chance d’espoir, qu’elle fût protégéepar une fusillade qui occuperait les soldats, ils demandèrent quelsétaient ceux qui consentiraient à se dévouer pour leurscamarades.

Huit s’offrirent.

La troupe se divisa donc en deux pelotons.Trente-trois hommes et un clairon devaient tenter de gagner une desextrémités du parc fermée d’une haie seulement ; les huitautres, parmi lesquels on laissait le second clairon, devaientprotéger cette tentative.

En conséquence de ces dispositions, et tandisque ceux qui devaient demeurer continuaient, en courant de fenêtreen fenêtre, un feu assez bien nourri, les autres perçaient le muropposé à celui auquel les soldats faisaient face, et, la trouéefaite, sortaient en bon ordre, clairon en tête, marchant au pas decourse vers l’extrémité du jardin où se trouvait la haie.

Les soldats firent feu sur eux et s’élancèrentpour les envelopper. Les Vendéens ripostent, renversent tout ce quis’oppose à leur passage, et, pendant que le gros de la troupefranchissait la haie, cinq sont tués ; le reste s’égaille dansles prairies couvertes d’eau. Le clairon, qui marchait le premier,avait reçu trois balles et ne cessait pas de sonner.

Quant aux hommes restés dans le château, ilstenaient toujours. Chaque fois que les soldats essayaientd’approcher, une décharge partait de ce brasier et trouait leursrangs.

Cela dura ainsi pendant une demi-heure. Lessons du clairon resté avec les assiégés ne cessèrent de retentir aumilieu du fracas des détonations, du sourd grondement des flammes,des crépitements de l’incendie, comme un sublime défi que ceshommes envoyaient à la mort.

Enfin, un craquement affreux se fit entendre,des nuées de flammèches et d’étincelles s’élevèrent dans lesairs ; le clairon se tut, la fusillade cessa.

Le plancher s’était abîmé et la petitegarnison avait été sans doute ensevelie sous les décombres ;car, à moins d’un miracle, les assiégés devaient avoir étéengloutis dans l’immense fournaise.

Ce fut l’opinion des soldats, qui, après avoircontemplé pendant quelques instants ces débris, n’entendant pas uncri, pas une plainte qui leur révélât la présence de quelqueVendéen échappé à la mort, s’éloignèrent de ce foyer qui dévorait àla fois amis et ennemis ; de sorte qu’il ne resta bientôt plussur le théâtre du combat, tout à l’heure si bruyant et si animé,que l’habitation rouge et fumante s’éteignant dans le silence, etautour d’elle quelques cadavres éclairés par les dernières lueursde l’incendie.

Cela demeura ainsi pendant une partie de lanuit.

Mais, vers une heure du matin, un homme d’unetaille plus qu’ordinaire, se glissant le long des haies, rampantlorsqu’il avait à traverser un sentier, vint inspecter les environsdu château.

N’apercevant rien qui pût justifier saméfiance, cet homme fit le tour de l’habitation dévastée, et visitaattentivement chacun des cadavres qui se trouvèrent sur sonpassage ; puis il disparut dans l’ombre. Enfin, au bout dequelques instants, il revint portant un autre homme sur son dos etaccompagné d’une femme vêtue en paysanne.

Ces hommes, cette femme, nos lecteurs les ontdéjà reconnus : c’étaient Bertha, Courte-Joie et Trigaud.

Bertha était pâle, et sa fermeté, sarésolution habituelles avaient fait place à une sorte d’égarement.De temps en temps, elle dépassait ses guides, et il fallait queCourte-Joie la rappelât à la prudence.

Lorsqu’ils débouchèrent tous les trois dans laprairie qu’avaient occupée les soldats et qu’ils eurent en faced’eux les quinze ouvertures qui, se détachant rouges et béantes surl’immense façade noircie, semblaient autant de soupiraux del’enfer, la jeune fille sentit ses forces l’abandonner ; elletomba à genoux et cria un nom dont sa douleur fit un sanglot ;puis, se relevant comme un homme, elle courut vers les ruinesembrasées.

Sur son chemin, elle trébucha contre quelquechose ; ce quelque chose était un cadavre ; et, avec unehorrible expression d’angoisse, elle se pencha sur cette figurelivide, qu’elle souleva par les cheveux ; puis, apercevant lesautres morts épars dans la prairie, elle commença une course folleen allant des uns aux autres.

– Hélas ! mademoiselle, dit Courte-Joie,qui l’avait suivie, il n’est point là ! Pour vous épargner cetriste spectacle, j’avais déjà ordonné à Trigaud, qui nous aprécédés, de visiter les cadavres ; il n’a vu qu’une fois oudeux M. de la Logerie ; mais, tout idiot qu’est mon pauvrecompagnon, croyez bien qu’il l’eût reconnu s’il eût été parmi lesmorts.

– Oui, oui, vous avez raison, dit Bertha,montrant la Pénissière, et, s’il est quelque part…

Et, avant que les deux hommes eussent songémême à la retenir, elle s’était élancée sur l’appui d’une desfenêtres du rez-de-chaussée, et, debout sur cette pierre branlante,elle dominait le gouffre de feu qui grondait encore sourdement àses pieds et dans lequel elle semblait par instants tentée de seprécipiter.

Sur un signe de Courte-Joie, Trigaud saisit lajeune fille à bras-le-corps, et la déposa sur la prairie. Berthan’opposa aucune résistance, car une idée qui venait de traverserson cerveau semblait avoir paralysé sa volonté.

– Mon Dieu, mon Dieu, s’écria-t-elle commedans un dernier soupir de sa force expirante, vous n’avez paspermis que je fusse là pour le défendre ou pour mourir avec lui, etvoilà que vous me refusez même la consolation de donner lasépulture à son cadavre !

– Allons, mademoiselle, dit Courte-Joie, sic’est la loi du bon Dieu, cependant, il faut s’y résigner.

– Oh !, jamais ! jamais !s’écria Bertha avec l’exaltation du désespoir.

– Hélas ! reprit le cul-de-jatte, moiaussi, j’ai le cœur bien gros ; car, si M. de la Logerie estlà, voyez-vous, le pauvre Jean Oullier y est aussi.

Bertha poussa un gémissement ; dansl’égoïsme de sa douleur, elle n’avait pas songé à Jean Oullier.

– Il est vrai, continua Courte-Joie, qu’il estmort comme il désirait mourir, c’est-à-dire les armes à lamain ; mais ça ne me console pas de l’idée de le savoirlà-dessous.

– Ne reste-t-il donc aucune espérance ?s’écria Bertha. N’ont-ils donc pas pu se sauver d’une façon ou del’autre ? Oh ! cherchons, cherchons.

Courte-Joie secoua la tête.

– Cela me semble bien difficile ! D’aprèsce que nous a raconté l’un des trente-trois qui ont fait la sortie,cinq d’entre eux ont été tués.

– Mais Jean Oullier et M. Michel étaient parmiceux qui sont restés, dit Bertha.

– Sans doute, et voilà pourquoi j’ai si peud’espoir. Voyez ! dit Courte-Joie en montrant les murs quis’élevaient sans interruption du sol au faîte et en ramenant par ungeste les regards de Bertha vers ce rez-de-chaussée changé enfournaise, où brûlaient le plancher de l’étage, celui du grenier etles débris du toit ; voyez ! Il ne reste plus ici que desdébris qui brûlent et des murs qui menacent ruine. Il faut ducourage, mademoiselle, mais il y a cent à parier contre un quevotre fiancé et le pauvre Oullier ont été écrasés sous cesdébris.

– Non, non, s’écria Bertha en se relevant,non, il ne peut pas, ne doit pas être mort ! S’il a fallu unmiracle pour le sauver, ce miracle, Dieu l’a fait. Je veux fouillerces décombres ; je veux sonder ces murailles. Il me le faut,mort ou vivant ! je le veux, entendez-vous, Courte-Joie !Et, saisissant de ses mains blanches une poutre qui passait par unedes fenêtres son extrémité carbonisée, Bertha fit des effortssurhumains pour l’attirer à elle, comme si avec cette poutre elleeût pu soulever la masse énorme de matériaux et reconnaître cequ’ils cachaient.

– Mais vous n’y songez pas ! s’écriaCourte-Joie désespéré ; mais cette tâche est au-dessus de vosforces, des miennes, de celles de Trigaud lui-même !d’ailleurs, on ne vous la laisserait pas achever, les soldats vontcertainement revenir avec le jour, et il ne faut pas qu’ils noustrouvent ici. Partons donc, mademoiselle ! au nom du ciel,partons !

– Partez si vous voulez, répondit Bertha avecun accent qui n’admettait pas d’objections ; moi, jereste.

– Vous restez ? s’écria Courte-Joiestupéfait.

– Je reste ! Si les soldats reviennent,sans doute ce sera pour visiter les débris ; je me jetteraiaux pieds de leurs chefs, mes larmes, mes prières obtiendront delui qu’il me laisse aider ses hommes dans cette tâche, et je leretrouverai ! oh ! je le retrouverai !

– Vous vous abusez, mademoiselle ; lesculottes rouges vous reconnaîtront pour la fille du marquis deSouday. S’ils ne vous fusillent pas, ils vous feront prisonnière.Venez donc ! dans quelques instants, le jour vaparaître ; venez ! et, s’il le faut, ajouta Courte-Joie,que l’exaltation de la jeune fille effrayait, s’il le faut, je vouspromets de vous ramener la nuit prochaine.

– Non, encore une fois, non ! Je nem’éloignerai pas, répondit la jeune fille. Une voix me dit là (ellefrappa sur son cœur) qu’il m’appelle, qu’il a besoin de moi !Puis, voyant que, sur un signe de Courte-Joie, Trigaud s’avançaitpour s’emparer d’elle :

– Faites un pas, continua-t-elle en remontantsur l’appui de la croisée, et je me précipite dans cebrasier ! Courte-Joie, comprenant que l’on n’obtiendrait riende Bertha par la force, allait essayer des prières, lorsqueTrigaud, qui était resté les bras étendus dans la position qu’ilavait prise pour entraîner la jeune fille, fit signe à soncompagnon de garder le silence.

Courte-Joie, qui, par expérience, connaissaitl’acuité prodigieuse des sens du pauvre idiot, lui obéit.

Trigaud écoutait.

– Est-ce que les soldats reviennent ?demanda Courte-Joie.

– Ce n’est pas cela, dit Trigaud.

Et, déliant Courte-Joie, sanglé commed’habitude sur ses épaules, il se jeta à plat ventre et colla sonoreille contre terre.

Bertha, sans descendre de l’endroit où elleavait établi son poste, se retourna du côté du mendiant.

Au mouvement que venait de faire celui-ci, auxquelques mots qu’il avait prononcés, elle avait, sans savoirpourquoi, été prise d’un battement de cœur qui la tenait haletanted’anxiété.

– Entends-tu donc quelque chosed’extraordinaire ? demanda Courte-Joie.

– Oui, répondit Trigaud.

Puis il fit signe à Courte-Joie et à Berthad’écouter comme lui.

Trigaud, on le sait, était avare deparoles.

Courte-Joie se coucha l’oreille contreterre.

Bertha sauta à bas de la fenêtre, et imital’action de Courte-Joie ; mais elle n’eut besoin d’appuyer sonoreille qu’une seconde contre la terre, et, se relevant avecvivacité :

– Ils vivent ! ils vivent !s’écria-t-elle. Oh ! mon Dieu, que je vous remercie !

– Ne nous hâtons pas trop d’espérer, fitCourte-Joie. Effectivement, j’entends un bruit sourd qui semblepartir du milieu des décombres ; mais ils étaient huit :qui nous dit que ce bruit vient des deux que nouscherchons ?

– Qui nous le dit, Aubin ? Mespressentiments, qui m’ont empêchée de céder à vos prières et dem’éloigner comme vous le vouliez. Ce sont nos amis, vousdis-je ! eux qui ont cherché et trouvé un asile dans quelquecave, et qui, maintenant, y sont emprisonnés par la chute de tousces matériaux.

– C’est possible, murmura Courte-Joie.

– Oh ! c’est certain, dit Bertha ;mais comment les aider ? comment arriver à l’endroit où ils setrouvent ?

– S’ils sont dans un souterrain, ce souterraindoit avoir une ouverture ; s’ils sont dans une cave, cettecave doit avoir un soupirail ; il s’agit de les trouver, et,si nous ne les trouvons pas, eh bien, nous creuserons la terrejusqu’à ce que nous arrivions à eux.

En achevant ces mots, Bertha se mit à tournerautour de la maison, arrachant avec rage, écartant avec furie lessolives, les poutres, les pierres, les tuiles, qui étaient tombéesle long du mur extérieur et qui en cachaient la base.

Tout à coup, elle poussa un cri.

Trigaud et Courte-Joie se hâtèrent d’accourir,l’un sur ses grandes jambes, l’autre s’aidant de ses moignons et deses mains avec la rapidité d’un batracien.

– Écoutez ! leur dit Bertha d’un air detriomphe.

Effectivement, de l’endroit où elle s’étaitarrêtée, on entendait distinctement, venant des profondeurs del’habitation ruinée, un bruit sourd mais continu, pareil à celuid’un instrument dont on frapperait, à coups mesurés, les fondationsdu château.

– C’est là, dit Bertha en désignant une massede matériaux amoncelés le long du mur, c’est là qu’il fautchercher.

Trigaud se mit à l’œuvre. Il commença parrepousser un fragment du toit tout entier, qui, ayant glissé dufaîte, était tombé verticalement le long du mur ; puis il jetaau loin les moellons amoncelés à cet endroit par la chute de toutela partie supérieure d’une fenêtre de l’étage ; puis, enfin,après des prodiges de force, il eut assez promptement découvert uneouverture par laquelle le bruit du travail des malheureux ensevelisarrivait jusqu’à eux.

Bertha voulu passer par cette ouverture dèsqu’elle fut praticable ; mais Trigaud la retint. Il prit unelatte du toit, l’alluma au foyer de l’incendie, et, attachant aumilieu du corps de Courte-Joie, la sangle qui servait d’ordinaire àretenir celui-ci sur ses épaules, il le descendit par lesoupirail.

Trigaud et Bertha retenaient leurrespiration.

On entendit Courte-Joie qui parlait auxtravailleurs.

Puis il indiqua à Trigaud qu’il devait leremonter.

Trigaud obéit avec la promptitude etl’onctueux d’une machine bien graissée.

– Vivants ! ils sont vivants, n’est-cepas ? demanda Bertha avec angoisse.

– Oui, mademoiselle, réponditCourte-Joie ; mais, par grâce, n’essayez pas de pénétrer dansle souterrain ! ils ne sont point dans la cave sur laquelleouvre ce soupirail : ils sont dans une espèce de nicheadjacente ; l’ouverture par laquelle ils y ont pénétré estbouchée ; il faut absolument percer la muraille pour arriver àeux, et je crains que, dans ce travail, une partie de la voûte,déjà ébranlée, ne s’écroule. Laissez-moi donc diriger Trigaud.

Bertha se jeta à genoux et se mit à prier.

Courte-Joie fit une nouvelle provision delattes sèches et redescendit dans la cave.

Trigaud l’y suivit.

Au bout de dix minutes qui semblèrent à Berthaautant de siècles, on entendit un grand bruit de pierres quis’écroulaient ; un cri d’angoisse s’échappa de la poitrine dela jeune fille ; elle se précipita vers le soupirail etaperçut Trigaud qui remontait, portant sur son épaule un corps pliéen deux, et dont la pâle figure pendait sur la poitrine dumendiant.

Elle reconnut Michel.

– Il est mort, mon Dieu ! il estmort ! cria-t-elle sans oser avancer.

– Non, non, répondit du fond de la cave unevoix que Bertha reconnut pour celle de Jean Oullier, non, il n’estpas mort.

À ces mots, la jeune fille s’élança, pritMichel des mains de Trigaud, le déposa sur le gazon, et, rassurée –car elle avait senti les battements de son cœur, – elle essaya dele rappeler à lui-même en mouillant son front de l’eau qu’ellepuisait dans une ornière.

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