Les Ténébreuses – Tome I – La Fin d’un monde

Chapitre 4COMMENT ON GUÉRIT LES SAIGNEMENTS DE NEZ

 

Ils arrivèrent dans la chambre du tsarevitchet Ivan fut étonné de la pâleur de l’enfant. Des femmes entouraientle lit. Le tsarevitch les laissait faire sans un geste, sans unmouvement de sa tête exsangue. Ses grands yeux fixaient la porte etne semblaient point voir ceux qui entraient. Un petit autel toutembrasé de cierges et sur lequel on avait déposé les saintes imagesavait été dressé dans un coin. Sur deux prie-Dieu étaientagenouillés l’empereur et l’impératrice.

Autour d’eux, à genoux, sur le plancher,priaient une demi-douzaine des plus grandes dames de la cour. Àdroite, à côté de la grande maréchale,Mme Wyronzew, la directrice de l’une des ambulancesde Tsarskoïe-Selo, grande amie de l’impératrice, se faisaitremarquer par son zèle. Deux autres dames d’honneur pleuraientdoucement en se frappant la poitrine. Derrière ces dames, toujoursà genoux, le sergent Derevenko, sous-gouverneur du tsarevitch,faisait peine à voir par son désespoir. À la porte, Zakhar, lesecond valet de chambre, qui avait introduit la grande-duchesseNadiijda et son fils, s’était agenouillé.

Nadiijda alla en faire autant auprès deMme Wyronzew. Quant à Ivan Andréïevitch, ils’avança vers le tsarevitch et, s’inclinant, lui baisa sa petitemain si pâle. Sa mère se retourna vers lui pour lui fairecomprendre qu’il devait s’agenouiller comme les autres, et ils’agenouilla à côté de Mme la grande maréchale.

Presque aussitôt, on entendit un grand bruitde pas dans les corridors, et un murmure de voix qui s’élevaitcomme une litanie. Ivan regarda du côté de la porte et vit queZakhar se levait précipitamment, relevant un pan de la tapisserie.Alors le cortège entra. À part les quatre petites grandes-duchessesqui étaient allées au-devant de l’homme de Dieu et qui leramenaient en le tenant par les plis de sa tunique, il n’y avaitque des hommes autour de Raspoutine. Et c’étaient les premiersdignitaires de la cour qui lui faisaient ainsi escorte. Le grandmaître de la cour, comte Tchekendorff et le prince Volgoroukysuivaient immédiatement les filles du tsar : Olga, Tatiana,Anastasie et Marie.

Derrière ces seigneurs, on apercevait une nuéede domestiques, une cinquantaine environ, qui avaient tousabandonné leur service à la nouvelle de l’arrivée du prophète etqui avaient accompagné en chantant à mi-voix une litanie composéeen l’honneur de l’homme de Dieu par la première dame de compagniede l’impératrice, Mme Wyronzew elle-même.

Sur un signe du grand-maître de la cour, ilsse turent et s’agenouillèrent dans le couloir.

Les petites grandes-duchesses conduisirentelles-mêmes l’homme de Dieu auprès du lit de leur frère pour quecelui-ci fût sauvé, et s’agenouillèrent autour du lit.

L’empereur, toujours en prières, ne tourna pasla tête, mais l’impératrice ne put s’empêcher de jeter un coupd’œil de côté sur Raspoutine, et de même toutes ces dames de lacour, qui abandonnaient en pensée les saintes images pour ne plusvoir que l’homme qui restait seul debout au milieu de toutes cescréatures prosternées.

C’était un moujik. Seulement, sa tuniquelâche, retenue par une ceinture, était de soie éclatante ; ilétait chaussé de grosses bottes dans lesquelles s’enfermaient desbraies de couleur sombre. Son front était bas, têtu, ses cheveuxlongs, sa barbe descendait sur sa poitrine, dissimulant mal unebouche sensuelle. Ses traits, accusés, eussent été vulgaires s’ilsn’avaient été éclairés par des yeux magnifiques d’une puissance derayonnement peu ordinaire. Tout son être avait quelque chosed’étrange, d’inquiétant et de fort à la fois, une espèce de beautérude, brutale et barbare.

Il s’avança avec une solennité sacerdotalejusque devant le lit du prince Alexis, qui s’était légèrementredressé pour le voir venir, car l’enfant n’attendait que lui,n’espérait plus qu’en lui, comme toutes les personnes présentes, dureste, si nous en exceptons le grand-duc Ivan Andréïevitch.

Celui-ci, au contraire, en le voyant venir,avait instinctivement fermé les poings et, en dépit de NadiijdaMikhaëlovna, sa mère, s’était remis sur ses pieds. Heureusement,nul ne faisait attention à lui.

On entendit la petite voix du tsarevitch quidisait :

– Sa main sent l’encens ! Sa main sentl’encens !

Au fait, l’homme de Dieu avait déjà étenduvers la tête du prince ses larges mains aux ongles noirs. (On neparvint jamais à lui faire nettoyer ses ongles.) Alors il prononçaune invocation bizarre qui était de son invention, ou plutôt de soninspiration, et qui s’adressait, à travers les sept cieux,à la très sainte Trinité, à la Vierge, et aux bienheureux,émanation d’un seul principe divin qui, de temps en temps, consentà s’incarner et à apporter une parcelle de la vérité sur la terre.Il parla donc à Dieu comme à son père, dont il était le filsbien-aimé, lui, Raspoutine, et il lui demanda de faire cesser lessaignements de nez du tsarevitch.

Aussitôt, les prières reprirent dans lachambre et dans le corridor avec une force, une exaltationcroissantes. L’empereur et l’impératrice répétèrent les dernièresparoles de l’homme de Dieu, et ainsi tous les autres assistants.Les prières s’accompagnaient naturellement de pleurs et desoupirs.

Tout à coup, le sergent Derevenko commanda lesilence et déclara que les saignements de nez s’étaientarrêtés.

Aussitôt, ce fut du délire.

L’impératrice pleurait dans les bras de lagrande-duchesse et se laissait embrasser les mains parMme Wyronzew, qui ne cessait de répéter :

– C’était sûr ! C’était sûr !

Le petit prince, dans son lit, joignait lesmains et criait :

– Je t’aime ! je t’aime !Raspoutine ! je t’aime !… Sauve-moi ! sauvebatouchka et mamouchka ! et fais-nous tous entrer dans tonsaint paradis, avec les saints archanges !

Ivan Andréïevitch s’enfuit.

Il ne pouvait pas en voir davantage. Ildescendit comme un fou après avoir bousculé Zakhar et unedemi-douzaine de domestiques, qui se traînaient sur les parquets.Il ne s’arrêta que dans le parc, où la fraîcheur du soir lui fit dubien.

C’est là qu’il fut rejoint par son ami SergeIvanovitch, qui avait repris son service, au palais, après êtreallé le chercher à Petrograd, où il savait le trouver. Serge luifit signe qu’il avait quelque chose de particulier à lui dire. Ilss’isolèrent dans un bosquet :

– Je t’ai vu descendre de là-haut comme unfou, dit Serge au grand-duc (les deux jeunes gens s’aimaient commedeux frères). Calme-toi. Tu en verras bien d’autres encore avecRaspoutine… Tout s’est passé comme je te l’ai dit, n’est-cepas ?… Le bonhomme était resté à l’ambulance de la Wyronzew,ne voulant pas la quitter pour venir au palais. Il a exigé que lesquatre petites grandes-duchesses vinssent le chercher ! Ellesne demandaient pas mieux, les pauvres innocentes !

– Écoute, Serge, fit le grand-duc, je n’ytiens plus ! Malgré la promesse que je t’ai faite, je vaistout dire au tsar : j’en ai assez de cette horriblecomédie.

– Tu as tort, Vania, tu as tort ! Lemoment n’est pas venu. Mais les temps sont proches. Et tu n’as pasde patience ! Ce ne sont pas des histoires qu’il faut raconterà l’empereur ; il ne les croira pas et tu en pâtiras.Non ! non ! il faut lui faire voir des choses. Il lefaut ! Si tu me promets de garder le silence, je te ferai voirquelques-unes de ces choses cette nuit… Tu sais ce que je veuxdire ?…

– Écoute, Serge, j’ai toujours cru que« c’était de la blague », mais ce que je voudrais voir,si ça existe… si ça existe… c’est… c’est la messe de repentirdes Ténébreuses… je sais qu’on en parle ! Ah ! biensûr ! à l’ambassade d’Angleterre et chez mon oncle Féodor, onassure que… mais ça n’est pas une raison…

– Sors donc cette nuit du palais et viens chezmoi, entre onze heures et minuit…

– J’y serai !…

– Prends garde, prends garde, Vania !

Zakhar se dirigeait droit sur le bosquet.Serge alluma une cigarette et joua avec une badine, d’un airinsouciant. Ivan demanda à Zakhar ce qu’il lui voulait :alors, le second valet de chambre de Sa Majesté lui annonça trèsrespectueusement que l’empereur attendait le grand-duc dans soncabinet de travail.

– Tu fais donc, maintenant, fonctions d’aidede camp, Zakhar !…

Le domestique ne répondit pas, mais il suivitlongtemps du regard Ivan Andréïevitch ; puis, après un coupd’œil, il regagna le palais.

« Les Ténébreuses ?…Raspoutine ?… Les messes du repentir ?… Les extases quifaisaient les affaires à la fois du bon Dieu et du démon ?…serait-ce possible ?… »

Ainsi s’interrogeait, ainsi se parlait Ivan enpénétrant dans le palais… Pourquoi pas ? Pourquoi pas ?…Après tout !… Ce qu’il avait vu autour du lit du tsarevitchlui donnait à penser… Quand il se trouva devant la porte du cabinetdu tsar, il était loin d’être calmé. Bien au contraire, ilressentait une haine violente contre le genre humain tout entier,et à l’idée qu’un personnage quelconque (en lacirconstance, le tsar) après de telles mômeries allait peut-êtreoser s’occuper de ses affaires privées (ses affaires de cœur, sonamour pour Prisca, sa répulsion pour la fille de Khirkof), il sesentait transporté de colère.

Il pénétra dans le cabinet. L’empereurtravaillait. Le comte Volgorouky se tenait debout près du bureau,glissant sous la plume de Sa Majesté des papiers queNicolas II signait. Ivan considéra le tsar et vit qu’il avaitles paupières encore rouges d’avoir pleuré d’attendrissement surles miracles de Raspoutine. Les traits de son visage étaient encoretout gonflés d’une sainte émotion.

Ivan en conçut un surcroît d’irritation. Lecomte Volgorouky avait les yeux rouges, lui aussi, mais il y avaitbeau temps qu’Ivan était fixé sur la sincérité des émotions ducomte.

Enfin, le comte Volgorouky s’en va avec sespapiers et l’empereur reste seul avec le grand-duc. Sa Majesté lèveles yeux sur lui et fronce les sourcils, mais il ne fait pas peur àIvan. Que va-t-il lui dire ? « Ne me parle pas de monmariage et nous serons amis, batouchka », supplia en lui-mêmele grand-duc.

– Ivan Andréïevitch, je ne suis pas content detoi ! déclara l’empereur. Tu n’aimes donc pas le tsarevitch,Ivan ?… Je t’en prie, ne me réponds pas !… Je t’ai vu,tout à l’heure, quitter la chambre au moment où nous remercionstoutes les saintes images d’avoir exaucé la prière deRaspoutine !… Je t’en prie, Ivan Andréïevitch, pas unmot !… J’ai des choses à te dire qu’il faut que tu écoutes… lepetit prince était perdu !… Les médecins l’avaient abandonné…ce sont les médecins eux-mêmes qui m’ont dit que seul Raspoutinepouvait le sauver !… Si Dieu le père, la Vierge et les saintsarchanges écoutaient sa voix… et ils ont écouté sa voix… et letsarevitch est sauvé par la sainte grâce !… Tu as vucela !… un miracle, Ivan Andréïevitch, un vrai miracle !et tu t’es enfui comme un fou furieux, m’a dit la comtesseWyronzew, que tu as horriblement bousculée !…

– Que ne l’ai-je tuée, l’horrible femme ;c’est elle qui vous trompe, sire ! Vous savez si je vous aime.Je vous jure que l’on vous trompe ! Que l’on voustrompe ! Que l’on vous trompe ! Ah !batouchka ! (il lui donnait ce nom de petit père :batouchka, avec la tendre humilité et la familiaritéconfiante d’un moujik) écoute-moi, par le seigneur Dieu, et tusauras des choses, des choses incroyables ! Et le tsarevitchne saignera plus jamais. Je te dis, batouchka, je te dis que c’estelle qui le fait saigner !

Le tsar, interdit, n’avait pu arrêter cetteexplosion de haine contre la Wyronzew ; frappé par l’accentsuppliant, presque délirant d’Ivan, il fut encore bien autrementsaisi par les dernières paroles du grand-duc.

– Quoi ? Quoi ? Que dis-tu ? Tues fou ! Tu es fou !

– Oui, c’est un fou, un fou dangereux,prononça derrière Ivan une voix qu’il connaissait bien ! Hierencore, il était chez le prince Zvof, où il s’est rencontré avecdes gens que je nommerai et qui lui ont encore monté la tête. Jet’en prie, Niki ! ne te fais point de soucis avec toutes lessottises qu’il te dira. Je te demande pardon d’être venue tedéranger, mais j’ai pensé que tu désirais avoir des nouvellesd’Alexis. Le sang s’est arrêté net ! L’enfant est gai comme unjour de dimanche et joue avec ses sœurs, et il t’embrasse et il teréclame, car il t’aime comme nous t’aimons tous,Nikolouchka !

L’empereur attendit que la tsarine se tût.Ivan, sombre, avait croisé les bras. Il y eut un instant desilence.

Nicolas ne répondit point à l’impératrice. Ilregarda le grand-duc dans les yeux et lui dit sur un ton decommandement qui ne cachait point cependant toute soninquiétude :

– Tu viens d’accuser Anna (la comtesseWyronzew) d’un crime abominable, je ne te laisserai point partird’ici sans que tu te sois expliqué là-dessus !

Et comme Alexandra voulait encore élever lavoix, il coupa court à cette manifestation de la façon la plusbrutale :

– Stoï ! (arrête) cria-t-ilcomme un cocher à son attelage.

Et elle s’arrêta, se promettant bien derepartir de plus belle quelques instants plus tard, quand, touthonteux de sa passagère énergie, il ne manquerait point de seranger de son côté et de lui donner raison, au fond.

Ivan regrettait beaucoup la présence de latsarine. Il sentait qu’en face d’elle ses confidences perdraientvite de leur poids.

– Sire, dit-il, il faut que vous sachiez quetoute l’affaire de la guérison miraculeuse du tsarevitch a étécombinée entre la Wyronzew et « le guérisseur duThibet », l’ami de Raspoutine.

– Badonaïew ? interrogea l’empereur,haletant.

– Oui, Badonaïew, lui-même, un fripon, unTrucka canaille…

– Oh ! oh ! protesta l’impératrice,qui fit trois pas en avant comme si elle allait se jeter sur legrand-duc.

Elle était du reste persuadée qu’il était prêtà inventer les pires histoires pour faire chasser à nouveauRaspoutine de la cour.

– Je ne vois pas ce que Badonaïew vient fairelà dedans ! exprima Nicolas.

– Vous allez voir, sire ! Badonaïewpossède la recette d’un remède très répandu dans la médecinechinoise et connu dans le Thibet sous le nom de nant etdont l’élément principal est une poudre obtenue en pulvérisant lesjeunes bois du cerf. Ce remède a la propriété d’augmenterl’activité du cœur et, à haute dose, de provoquer, chez lespersonnes prédisposées comme le tsarevitch, de véritableshémorragies… [1]

– Quelles histoires de bonnes femmes !s’écria l’impératrice… c’est chez le jeune Zvof que tu as entendudes sornettes pareilles !…

– Continue ! Continue !… fitNicolas, de plus en plus inquiet et dont la mine exprimait uneattention surprenante.

– Eh bien ! c’est simple, achevaIvan : Badonaïew donne de cette poudre à la comtesse Wyronzew,qui la mélange aux aliments du tsarevitch !

– Menteur !… Menteur !…

– Et l’effet se fait bientôt sentir, continuaIvan, enchanté de l’effet qu’il produisait, et l’on peut appelerRaspoutine !…

– Niki ! s’écria l’impératrice en sejetant dans les bras de Sa Majesté, fais taire IvanAndréïevitch ; il nous rendra tous malades avec ses histoiresde poison du Thibet ; Annette se ferait tuer pour moi et pourle tsarevitch, et pour toi, assurément !… et Annette nes’occupe jamais de la nourriture du petit prince !…

– Non ! mais le sergent Derevenko lagoûte et le sergent est au mieux avec Annette ! fit Ivan, quivenait de découvrir ce dernier argument, fort plausible aprèstout.

– Derevenko faire saigner le tsarevitch !glapit Alexandra. Quelle misère ! il te saignerait plutôt,Ivan Andréïevitch.

Elle se mit à pleurer, et Nicolas II futtrès embarrassé.

Ivan avait toujours les bras croisés et ildressait le front comme une victime sûre de son droit et qui neredoute point le jugement des hommes ni aucun châtiment aumonde.

– D’où tiens-tu cette affreuse histoire ?interrogea le tsar d’une voix sourde et en détournant la tête pourne point voir le désespoir de sa femme.

– Je ne puis le dire, sire !

La tsarine était déjà debout, etjetait :

– Qu’est-ce que je disais ? Il a toutinventé ! Tout inventé ! Ah ! quelle absurdehistoire ! Quelle cruelle histoire ! Si Raspoutine savaitjamais cela ! Mon Dieu ! faites qu’il ne le sachejamais ! Tout cela est machiné contre lui ! Tu ne voispas cela, toi, l’empereur ! As-tu donc un bandeau sur lesyeux ? Ou ne veux-tu point voir la lumière du jour ?Raspoutine a sauvé l’enfant ! Mais s’il savait cela, il nevoudrait plus revenir ! On a déjà eu assez de mal. Sache bienNikolouchka, qu’il ne voulait pas venir. Il disait qu’on l’avaitchassé et qu’il ne viendrait plus jamais. Et notre petit Alexisserait peut-être mort déjà, si Annette ne s’était pas traînée à sespieds. Ah ! si Annette apprend jamais une pareillechose ! Elle partira et Raspoutine le saura et ne nousconnaîtra plus. Et le tsarevitch mourra !

Maintenant, l’empereur pleurait, lui aussi. Ilfixait Ivan Andréïevitch de ses yeux humides.

– Je t’ordonne de me dire qui t’a racontécette chose abominable et fausse. Tu entends… fausse ! Je nete permets point de soupçonner le dévouement de serviteurs commeDerevenko et la comtesse Wyronzew !…

– Mais il les accuse ! Mais il lesaccuse ! Ah ! si jamais Raspoutine savait ! sanglotala tsarine.

Cette idée aussi que Raspoutine pourrait unjour savoir troublait le tsar. C’était cela qui l’inquiétaitpar-dessus tout. Car il avait peur de Raspoutine qui, comme unhomme de Dieu, avait toute-puissance, pour le bien et pour lemal.

Cette crainte de Raspoutine et desconséquences d’une calomnie comme celle que colportait ce jeune foud’Ivan Andréïevitch était visible sur la figure et dans lesmanières du tsar.

Il s’était rapproché de l’impératrice et luiaffirmait que Raspoutine ne saurait jamais rien de cesabominations.

C’est alors qu’exaspéré, le grand-duc selaissa aller à toute sa haine pour l’homme de Dieu et l’accusanettement de faire le charlatan à la cour pour y prendre uneinfluence qui faisait l’affaire des ennemis de la sainteRussie.

Or, comme ces ennemis n’étaient autres que lesamis et les parents de la tsarine Alexandra, la querelle devintbientôt politique. Abasourdi, Nicolas ne pouvait parvenir à lesfaire taire tous deux et ils se disaient les choses les plusdésagréables du monde, sur le dos de leurs amis réciproques.

Enfin, l’empereur put parler. Ce fut pourordonner au grand-duc d’aller prendre les arrêts jusqu’à nouvelordre dans l’appartement de sa mère.

Ivan salua militairement et alla s’enfermerdans la petite chambre dépendant de cet appartement qu’il occupaitordinairement quand il venait à Tsarskoïe-Selo.

Il n’y était pas depuis cinq minutes, encoretout agité de la tempête qu’il avait déchaînée, que la porte decette chambre s’ouvrit et qu’il vit devant lui une figure siextraordinairement bouleversée par tous les sentiments de la rageet de la fureur qu’il eut de la peine tout d’abord à reconnaître samère.

La grande dame, la fameuse grande dame quiétait bien connue pour s’émouvoir de peu de chose, avait disparu,pour faire place à quelque Némésis.

Sans aucun doute, Nadiijda Mikhaëlovna venaitd’être mise au courant de l’événement par l’impératrice elle-mêmeet n’ignorait plus rien de toutes les horreurs débitées contre sachère petite amie Annette, contre ses amis politiques et surtoutcontre Raspoutine, son petit homme-dieu !

Elle foudroya le grand-duc d’un regardterrible et elle lui lança un seul mot :Bâtard ! C’est tout ce qu’elle pouvait dire. Et, à lavérité, qu’eût-elle pu dire de plus à son grand-duc de fils, qui enresta, quelques minutes, comme stupéfié !

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