L’Hôtel Hanté

Chapitre 2

 

 

L’été s’avançait et la transformation dupalais vénitien en hôtel moderne touchait à sa fin.

Tout l’extérieur de l’édifice, avec sa bellefaçade donnant sur le canal, avait été intelligemment conservé. Àl’extérieur toutes les pièces avaient été refaites, ou plutôt on enavait diminué les dimensions. Les larges corridors de l’étagesupérieur servirent à faire des chambres pour les domestiques oules voyageurs désireux de dépenser peu d’argent. Il ne resta del’ancien aménagement que les parquets en losanges et les plafondsdélicatement sculptés, en parfait état de conservation ; ilsn’avaient besoin que d’un nettoyage. On les redora en outre un peupar-ci par-là pour augmenter l’attrait des meilleures chambres del’hôtel. À l’extrémité du palais, on laissa les pièces qui s’ytrouvaient telles quelles.

C’étaient relativement de petites chambres,mais si élégamment décorées qu’on n’y changea rien. On ne sut queplus tard que ces pièces formaient les appartements occupés parlord et lady Montbarry et le baron Rivar. La chambre où Montbarrymourut était encore meublée comme une chambre à coucher ; elleportait le n° 14. La chambre située au-dessus, dans laquellele baron s’était installé, avait sur le registre de l’hôtel len° 38. Avec leurs peintures toutes fraîches, leurs plafondsnettoyés à neuf, une fois les vieux lits, les chaises et les tablesremplacés par de jolis meubles, neufs et brillants, ces deuxchambres promettaient d’être les plus charmantes et les plusconfortables de l’hôtel. Quant au rez-de-chaussée, autrefois tristeet désert, on en avait fait de splendides salles à manger, dessalons de lecture des salles de billard, des fumoirs, véritablementroyaux. Les caveaux, semblables à des prisons, étaient maintenantaérés et éclairés comme les constructions les plus récentes ;ils étalent changés, comme par le coup de baguette d’une fée, encuisines, en offices, en glacières et en caves, dignes des hôtelsles plus grandioses qu’on rencontrait autrefois en Italie, il y après de vingt ans.

Un mois avant la fin de ces travaux entreprisà Venise, dans l’hôtel du Palais, Mme Rolland avaitdéjà sa place chez Mme Carbury, en Irlande ;la jolie miss Haldane, un véritable César féminin, était venue,avait vu et avait vaincu dès sa première visite chez le nouveaulord Montbarry.

Milady et miss Agnès firent autant decompliments d’elle qu’Arthur Barville. Lord Montbarry déclara quec’était la seule jolie femme qu’il ait jamais vue. La vieille ditqu’elle avait l’air d’avoir été peinte par un grand artiste, etqu’elle n’avait besoin que d’un beau cadre autour d’elle pour larendre parfaite. Miss Haldane, de son côté, était sortie enchantéede sa première entrevue avec les Montbarry, adorant ses nouvellesconnaissances. Le même jour, un peu plus tard, Arthur passa chezelle avec des fruits et des fleurs pourMme Carbury, sous prétexte de savoir si la vieilledame serait assez bien portante pour recevoir le lendemain lord etlady Montbarry ainsi que miss Lockwood.

En moins d’une semaine, les deux maisons enétaient aux termes les plus amicaux.

Mme Carbury, clouée sur soncanapé par une maladie de l’épine dorsale, devait à sa nièce un deses rares plaisirs, la lecture des romans nouveaux dès leurapparition. Arthur s’aperçut bientôt de ce détail ; aussis’offrit-il volontairement à suppléer miss Haldane. Il avaitquelques notions de mécanique, et il perfectionna la chaisearticulée sur laquelle reposait Mme Carbury ;il inventa différents moyens de la transporter du salon à sachambre sans la faire souffrir, ce qui rendit la pauvre dame toutegaie. Avec les droits qu’il se créait à la reconnaissance de latante, bien de sa personne comme il était, Arthur avança rapidementdans les bonnes grâces de la charmante nièce. Quoiqu’il eûtsoigneusement gardé son secret, elle savait parfaitement – est-ilnécessaire de le dire ? – qu’il était amoureux d’elle ;mais elle, n’avait pas aussi vite découvert ses propres sentimentsà son égard. Observant les deux jeunes gens comme elle pouvait lefaire, puisqu’elle n’avait aucune autre préoccupation, la pauvremalade découvrit en miss Haldane des signes non équivoques desympathie pour Arthur, sympathie qu’elle n’avait encore montrée àaucun de ses nombreux admirateurs. Une fois fixée,Mme Carbury saisit la première occasion favorablepour parler d’Arthur.

« Je ne sais vraiment pas ce que jeferai, dit-elle, quand Arthur s’en ira. »

Miss Haldane leva tranquillement la tête deson ouvrage.

« Il ne va pas nous quitter !s’écria-t-elle.

– Mais, ma chérie, il est déjà resté chezson oncle un mois de plus qu’il ne devait. Son père et sa mère ontnaturellement envie de le revoir. »

Miss Haldane répondit aussitôt par une idéequi ne pouvait évidemment germer que dans un esprit troublé par lapassion.

« Pourquoi son père et sa mère neviendraient-ils pas chez lord Montbarry ? La résidence de sirThéodore Barville n’est pas à plus de trente milles d’ici, et ladyBarville est la sœur de lord Montbarry. Ils n’ont pas besoin defaire de cérémonie entre eux.

– Ils peuvent être retenus chez eux,reprit Mme Carbury.

– Mais, ma chère tante, qu’est-ce quivous le prouve ? Supposons que vous en parliez àArthur !

– Supposons que tu lui enparles, toi ? »

Miss Haldane baissa aussitôt la tête sur sonouvrage. Mais sa tante avait eu le temps de voir son visage, et sonvisage l’avait trahie.

Lorsque Arthur vint le lendemain,Mme Carbury le prit à part et causa avec lui,pendant que sa nièce était au jardin. Le roman nouveau attendaitsur la table. Arthur n’en fit pas la lecture à la vieille dame etalla trouver miss Haldane dans le jardin.

Le jour suivant, il écrivit chez lui, et mitdans sa lettre une photographie de miss Haldane. À la fin de lasemaine, sir Théodore et lady Barville arrivèrent chez lordMontbarry et purent s’assurer que le portrait qu’on leur envoyén’avait pas flatté l’original. Ils s’étaient mariés jeunes et,chose étrange, ils n’étaient pas opposés à ce qu’on suivît leurexemple. La question d’âge étant ainsi écartée, les amoureux nedevaient plus rencontrer aucun obstacle. Miss Haldane était filleunique et possédait une belle fortune. Arthur avait fait de bonnesétudes et s’était conquis un certain renom à l’Université ;mais cela ne suffisait pas pour gagner sa vie. Comme fils aîné desir Théodore, sa position était déjà du reste assurée. Il était âgéde vingt-deux ans, la jeune fille en avait dix-huit. Il n’y avaitaucune raison pour faire attendre ces enfants et rien ne devaitapporter d’obstacle à la célébration du mariage, qui pouvait avoirlieu vers la première semaine de septembre. Pendant que les jeunesépoux feraient à l’étranger l’inévitable voyage de noce, une sœurde Mme Carbury avait offert de rester avec elle. Lejeune couple aussitôt la lune de miel finie, devait revenir enIrlande et s’installer dans la grande et confortable maison deMme Carbury.

Tout cela fut décidé au commencement du moisd’août. Vers la même date, les derniers travaux étaient terminésdans le vieux palais à Venise. On sécha les chambres à la vapeur,les caves furent remplies de bon vin, le gérant réunit une armée dedomestiques, et on annonça pour le mois d’octobre, dans l’Europeentière, l’ouverture du nouvel hôtel.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer