L’Hôtel Hanté

Chapitre 3

 

 

Avant la fin de la semaine, le gérant del’hôtel se trouva une fois de plus en relation avec un membre de lafamille. Une dépêche arriva de Milan, annonçant que FrancisWestwick serait à Venise le lendemain, et qu’il désirait qu’on luiréservât, si cela était possible, le n° 14 du premierétage.

Le gérant réfléchit quelques instants avant dedonner ses ordres.

La chambre numérotée à nouveau avait étéoccupée en dernier lieu par un Français, Elle devait être encorelouée le jour de l’arrivée de M. Francis Westwick, mais elleserait vide le jour suivant.

Fallait-il conserver la chambre pourM. Francis ? Et quand il aurait passé une bonne etexcellente nuit dans la chambre 13 bis, lui demanderdevant témoins comment il s’était trouvé dans sa chambre àcoucher ? Dans ce cas, si la réputation de la chambre étaitencore discutée, elle serait vengée par la réponse même d’unepersonne de la famille qui, la première, avait fait le mauvaisrenom du n° 14. Après avoir pensé à tout cela, le gérant sedécida à tenter l’expérience et donna des ordres pour que le 13bis soit réservé.

Le lendemain, Francis Westwick arriva enexcellente disposition d’esprit. Il avait fait signer un engagementà la danseuse la plus connue d’Italie ; il avait confiéMme Narbury aux soins de son frère Henry, quil’avait rejoint à Milan, et il était entièrement libre d’essayertant qu’il le voudrait l’influence extraordinaire que le nouvelhôtel exerçait sur ses parents.

Quand son frère et sa sœur lui racontèrent cequi leur était arrivé, il déclara aussitôt qu’il irait à Venisedans l’intérêt de son théâtre. Il voyait dans ce qu’on lui disaitles éléments mêmes d’un drame où paraîtraient des fantômes. Iltrouva en chemin de fer le titre :

L’HÔTEL hanté,

« Affichez cela en lettres rouges de sixpieds de haut, sur un fond noir, dans tout Londres, et soyez sûrque le public viendra en foule ! » disait-il.

Reçu avec une attention pleine de politessepar le gérant, Francis, en entrant dans l’hôtel, éprouva undésappointement.

« Il y a erreur, monsieur ; nousn’avons pas de chambre portant le numéro 14 au premier étage. Lachambre qui a ce numéro est au deuxième étage ; elle atoujours été occupée par moi, depuis le jour de l’ouverture del’hôtel. Peut-être voulez-vous parler du numéro 13 bis, aupremier étage ? Elle sera à votre disposition demain, – unechambre charmante. En attendant, ce soir, nous ferons de notremieux pour vous contenter. »

Le directeur d’un théâtre à succès estprobablement le dernier homme du monde qui soit capable d’avoir unebonne opinion de ses semblables. Aussi Francis prit-il le gérantpour un farceur et l’histoire du numéro des chambres pour unmensonge.

Le jour de son arrivée, il dîna seul avantl’heure de la table d’hôte, afin de pouvoir questionner le garçon àson aise, sans être entendu de personne. La réponse qu’on lui fitlui prouva que le numéro 13 bisoccupait bien exactementdans l’hôtel la place que lui avaient désignée son frère et sa sœurcomme celle du numéro 14.

Il demanda ensuite la liste des visiteurs, ettrouva que le monsieur français qui occupait alors le numéro 13bis était le propriétaire d’un théâtre de Paris qu’ilconnaissait personnellement.

Était-il en ce moment à l’hôtel ? Ilétait sorti et serait certainement de retour pour la tabled’hôte.

Quand le dîner fut terminé, Francis entra dansla salle et fut reçu à bras ouverts par son collègue parisien.« Venez fumer un cigare dans ma chambre, lui dit-ilamicalement. Je veux savoir si vous avez réellement engagé cettefemme à Milan. »

Francis put ainsi comparer l’intérieur de lachambre avec ce qu’on lui en avait dit à Milan.

Arrivant à la porte, le Français se souvintqu’il avait un compagnon de voyage.

« Mon peintre de décors est ici avec moi,dit-il, à la recherche Je sujets. C’est un excellent garçon quiregardera comme une faveur que nous lui proposions de venir avecnous. Je vais charger un domestique de le lui dire quand ilrentrera. »

Il tendit sa clef à Francis :

« Je vous rejoins dans un instant. C’estau bout du corridor, 13 bis. »

Francis entra seul dans la chambre. Il y avaitaux murs et au plafond des ornements pareils à ceux dont on luiavait parlé. Il venait à peine de faire cette remarque, lorsqu’unesensation fort désagréable le frappa soudain.

Une odeur révoltante, une odeur toute nouvellepour lui, une odeur qu’il n’avait jamais sentie jusque-là, lesaisit à la gorge.

C’était un amalgame de deux odeurs d’uneessence particulière et qui, quoique mélangées, étaientperceptibles chacune séparément. Cette étrange exhalaisonconsistait en une senteur légèrement aromatique et cependant fortdésagréable avec une odeur moins pénétrante, mais si nauséabondeque Francis dut ouvrir la fenêtre pour respirer l’air frais,incapable de supporter un instant de plus cette horribleatmosphère.

Le directeur français rejoignit son collègueanglais avec un cigare déjà allumé. Il recula d’étonnement à lavue, terrible en général pour ses compatriotes, d’une fenêtreouverte.

« Vous autres Anglais vous êtes vraimentfous avec vos idées sur l’air pur ! s’écria-t-il. Nous allonsmourir de froid. »

Francis se retourna et le regarda avec desyeux étonnés.

« Sérieusement, ne sentez-vous pasl’odeur qu’il y a dans la chambre ? demanda-t-il.

– Quelle odeur ? reprit sonconfrère. Je ne sens que mon cigare qui est excellent. Envoulez-vous un ? Mais pour Dieu ! Fermez lafenêtre ! »

D’un geste Francis refusa le cigare.

« Je vous demande pardon, dit-il, je mesens mal à mon aise et tout étourdi ; il vaut mieux que jem’en aille. »

Il mit son mouchoir sur sa bouche et sedirigea vers la porte.

Le Français suivit chacun des mouvements deFrancis avec un tel étonnement qu’il oublia tout à fait d’empêcherl’air du soir de continuer à entrer.

« Est-ce vraiment si horrible quecela ? demanda-t-il.

– C’est horrible ! murmura Francisderrière son mouchoir. Je n’ai jamais rien senti depareil. »

On frappa à la porte : c’était le peintreen décors. Son directeur lui demanda aussitôt s’il y avait uneodeur quelconque dans la chambre.

« Je sens votre cigare qui doit êtredélicieux ; offrez m’en un tout de suite !

– Attendez un peu. Outre mon cigare,sentez-vous autre chose, quelque chose d’horrible, d’abominable,d’indescriptible, quelque chose que vous n’avez jamais, mais jamaissenti auparavant ? »

Le peintre parut confondu par l’énergiquevéhémence des paroles qu’il venait d’entendre.

« Votre chambre est aussi fraîche etaussi saine que possible » ; et en disant cela il seretourna avec étonnement du côté de Francis Westwick qui, deboutdans le corridor, regardait l’intérieur de la chambre à coucheravec un sentiment de dégoût non déguisé.

Le directeur parisien s’approcha de soncollègue anglais et le regarda d’un air inquiet.

« Vous voyez, mon ami, nous voici deuxici avec d’aussi bons nez que le vôtre et nous ne sentons rien. Sivous voulez inviter d’autres témoignages, regardez ; voicid’autres nez encore, et il montrait deux petites filles anglaisesjouant dans le corridor. La porte de ma chambre est grande ouverteet vous savez avec quelle rapidité une odeur se propage. Maintenantécoutez ; je vais faire appel à ces nez innocents dans lalangue de leur île brumeuse : – Mes petits amours, est-ce quecela sent mauvais ici, hein ? »

Les enfants éclatèrent de rire ets’empressèrent de répondre :

« Non.

– Vous le voyez, mon bon Westwick, c’estclair, reprit le Français dans sa langue à lui cette fois. Je vousplains de tout mon cœur, croyez-moi, allez voir un médecin, car ily a sûrement quelque chose de dérangé dans votre pauvrenez. »

Après lui avoir donné cet avis charitable, ilrentra dans sa chambre et ferma toute entrée à la brise fraîcheavec un soupir de contentement. Francis quitta l’hôtel et suivit laroute qui conduisait à la place Saint-Marc. L’air de la nuit leremit bientôt. Il put allumer alors un cigare et se mit à songer, àce qui venait d’arriver.

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