L’Hôtel Hanté

Chapitre 12

 

 

Henry revint dans sa chambre.

Son premier mouvement fut de jeter lemanuscrit de côté pour ne plus jamais le regarder. La seule chance,qu’il eût de connaître la vérité disparaissait avec la comtesse.Quel espoir lui restait-il ? Quel intérêt avait-il à pousserplus loin sa lecture ?

Il se mit à arpenter la chambre. Au bout d’unmoment il changea d’avis ; il venait d’envisager la questiondu manuscrit à un autre point de vue. Jusque-là, grâce à cesfeuillets de papier, il avait appris qu’on avait prémédité cecrime, mais comment avait-il été mis à exécution ? Il ne lesavait pas encore.

Le manuscrit était justement devant lui àterre. Il hésita, puis enfin le ramassa ; et, retournant à satable, il continua de lire :

« Pendant que la comtesse songe encore àcette combinaison si simple et si hardie, le baron revient. Ilréfléchit sérieusement au cas du courrier ; il pourrait êtreutile, à son avis, d’envoyer chercher un médecin. Il ne reste plusun seul domestique dans le palais, maintenant que la servanteanglaise est partie : il faut que le baron aille lui-mêmechercher un docteur.

» De toute façon, répond sa sœur, nousavons besoin d’un médecin. Mais avant de l’aller chercher, attendezun peu et écoutez ce que j’ai à vous dire.

» Le baron est enthousiasmé de l’idée,l’exécution n’offre aucun danger ? Le lord, à Venise, a menéla vie d’un reclus : personne ne le connaît de vue, exceptéson banquier. Il a simplement présenté sa lettre de crédit et,depuis, lui et le banquier ne se sont jamais revus. Il n’a pasdonné de fête et n’est allé à aucune réception. Dans les raresoccasions où il a loué une gondole pour se promener, il a toujoursété seul. En un mot, grâce à l’horrible soupçon qui le rendaithonteux de se montrer avec sa femme, il a mené un genre de vie quirend l’entreprise aisée.

» Le baron, homme prudent, écoute, maissans donner encore son opinion définitive. “Voyez ce que vouspouvez faire avec le courrier, dit-il, je me déciderai quand jesaurai le résultat de votre conférence avec lui : avant d’yaller, écoutez un excellent conseil : Notre homme se laisseaisément tenter par l’argent, la seule question est de lui enoffrir assez. L’autre jour, je lui demandais en riant ce qu’ilferait pour mille livres. Il m’a répondu : N’importe quoi. Nel’oubliez pas, et offrez-lui du premier coup les mille livres.”

» La scène change ; on est dans lachambre du courrier, le pauvre malheureux pleure et tient dans sesmains le portrait d’une femme.

» La comtesse entre.

» Elle commence habilement par consolercelui dont elle veut faire son complice. Il est attendri etreconnaissant de cette marque de bienveillance : il confie sesdouleurs à sa gracieuse maîtresse. Maintenant qu’il se croit à sadernière heure, il a des remords d’avoir été si indifférent enverssa femme. Il pourrait se résigner à mourir, mais le désespoirs’empare de lui quand il songe qu’il n’a rien économisé et qu’illaissera sa veuve sans ressources, à la grâce de Dieu.

» À cette ouverture, la comtesse prend laparole.

« Supposons qu’on vous demande de fairequelque chose d’extrêmement facile, et qu’on vous propose pour celaune récompense de mille livres, comme legs à votreveuve ? »

» Le courrier se soulève sur son oreilleret regarde la comtesse avec une expression de surprise etd’incrédulité. Elle ne peut pas être assez cruelle, se dit-il, pourplaisanter avec un homme qui est dans une si triste situation.“Veut-elle dire nettement ce que peut être cette chose aisée etdont le succès lui vaudra une si magnifique récompense ?”

» La comtesse répond en confiant sonprojet au courrier sans le moindre détour.

» Quelques minutes de silence suivent saproposition. Le courrier n’est pas encore assez malade pour parlersans réfléchir. Les yeux fixés sur la comtesse, il fait uneremarque pleine d’originalité et d’insolence sur ce qu’il vientd’entendre.

« Jusqu’à présent je n’ai jamais étéreligieux ; mais je sens que je vais le devenir. Depuis queVotre Grâce m’a parlé, je crois au diable. »

» C’était l’intérêt de la comtesse de nevoir que le côté comique de cette remarque. Elle ne s’en offensadonc pas. Elle ajouta seulement : “Je vais vous donner unedemi-heure de réflexion. Vous êtes en danger de mort. Décidez, dansl’intérêt de votre femme, si vous voulez mourir ne valant rien, ouvalant mille livres.”

» Laissé seul, le courrier pensesérieusement à sa situation et se décide. Il se lève avecdifficulté, écrit quelques lignes sur une feuille de papier qu’ilarrache de son carnet, et à pas lents, tout trébuchant, il quittela chambre.

» La comtesse revient au bout d’unedemi-heure et trouve la chambre vide.

» Mais presque aussitôt le courrier ouvrela porte. Pourquoi s’est-il levé ?

» Milady, je viens de défendre ma vie, aucas où je reviendrais de cette troisième bronchite. Si vous ou lebaron essayez de hâter mon départ d’ici-bas, ou de me priver de mesmille livres de récompense, je dirai au médecin où il pourratrouver quelques lignes qui révéleront le crime de Votre Grâce.Dans le cas où je n’aurais pas assez de force pour tout dire, endeux mots, j’apprendrai au médecin où se trouve ma cachette ;il est inutile d’ajouter que la lettre sera remise à Votre Grâce sielle remplit fidèlement ses engagements envers moi. »

» Après cette audacieuse préface, ilcommence à poser les conditions auxquelles il consent à jouer sonrôle, et à mourir, pour mille livres, s’il meure de sa bellemort.

» La comtesse ou le baron devront goûteren sa présence les aliments et les boissons qu’on lui donnera, mêmeles médicaments que le médecin ordonnera pour lui. Quant à la sommepromise, elle sera en une bank-note pliée dans une feuille depapier blanc sur laquelle sera écrite une ligne sous la dictée ducourrier. Ces deux objets seront alors mis dans une enveloppecachetée à l’adresse de sa femme, et affranchie, toute prête à êtremise à la poste. Ceci fait, la lettre sera placée sous sonoreiller ; et tant que le médecin aura quelque espoir de leguérir, le baron et la comtesse auront le droit de regarder chaquejour, à l’heure qui leur plaira, si la lettre est toujours à saplace, et si le cachet est resté intact. Il a une dernièrecondition à poser. Le courrier a une conscience, et pour la garderen repos, il insiste pour qu’on ne lui fasse pas savoir ce qui aurarapport à la séquestration du lord. Non pas qu’il se soucieparticulièrement de ce que deviendra son avare de maître, mais iln’aime pas à prendre sa part des responsabilités qui doiventappartenir à d’autres.

» Les conditions acceptées, la comtesseappelle le baron, qui attendait le résultat de la conférence dansla chambre à côté. On lui dit que le courrier a cédé à latentation.

» Tournant le dos au lit, le baron faitvoir une bouteille à la comtesse.

» L’étiquette porte cetteindication : Chloroforme.Elle comprend que le lorddoit être enlevé de sa chambre dans un état d’insensibilitécomplète. Mais dans quelle partie du palais doit-il êtretransporté ? En ouvrant la porte pour sortir, la comtesse faittout bas cette question au baron. Le baron lui répond tout basaussi. “Dans les caveaux !”

» Le rideau tombe. »

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