L’Hôtel Hanté

Chapitre 3

 

 

Quelques jours plus tard, deux compagniesd’assurances reçurent de l’homme d’affaires de la veuve la nouvelleofficielle de la mort de lord Montbarry. La somme assurée à chaquebureau était de 5,000 livres sterling, sur lesquelles une année deprime seulement avait été payée. En pareille occurrence, lesdirecteurs jugèrent utile d’étudier un peu l’affaire.

Les médecins attitrés des deux compagnies quiavaient recommandé l’assurance de lord Montbarry furent appelés enconseil pour expliquer les rapports qu’ils avaient faits. Cettenouvelle éveilla la curiosité des personnes s’occupant d’assurancessur la vie. Sans refuser absolument de payer l’argent, les deuxbureaux, agissant de concert, décidèrent qu’ils nommeraient unecommission d’enquête à Venise « pour recueillir de plus amplesinformations ».

M. Troy apprit aussitôt ce qui sepassait. Il écrivit sur-le-champ à Agnès pour l’en informer,ajoutant un bon conseil à son avis.

« Vous êtes intimement liée, je le sais,lui disait-il, avec lady Barville, sœur aînée de feu lordMontbarry. L’avocat de son mari est aussi celui de l’une descompagnies d’assurances : il peut y avoir dans le rapport dela commission d’enquête quelque chose qui ait trait à ladisparition de Ferraris ; on ne laisserait pas voir, cela vade soi, un pareil document à des personnes ordinaires ; maisune sœur du feu lord est une si proche parente qu’on fera sûrementen sa faveur exception aux règles habituelles. Sir ThéodoreBarville n’a qu’à en manifester le désir, et les avocats, mêmes’ils ne permettent pas à sa femme de prendre connaissance durapport, répondront du moins à toutes les questions qu’elle leurposera à ce sujet. Dites-moi ce que vous pensez de mon idée le plustôt possible. »

La réponse arriva par retour du courrier.Agnès refusait de suivre le conseil de M. Troy.

« Mon intervention, tout innocentequ’elle a été, écrivait-elle, a déjà eu de si déplorablesrésultats, que je ne veux pas me mêler davantage de l’affaireFerraris. Si je n’avais pas consenti à laisser ce malheureuxindividu se servir de mon nom, feu lord Montbarry ne l’aurait pasengagé, et sa femme n’aurait pas eu à supporter l’incertitude etl’angoisse dont elle souffre aujourd’hui. En admettant que lerapport dont vous parlez soit entre mes mains, je ne voudrais mêmepas y jeter les yeux ; j’en sais déjà trop sur cette tristevie du palais de Venise. Si Mme Ferraris s’adresseà lady Barville par votre intermédiaire, ceci est, bien entendu,une tout autre affaire. Mais, dans ce cas, il faut que je vous poseencore une condition absolue, c’est que mon nom ne sera pasprononcé. Pardonnez-moi, cher monsieur Troy ! Je suis trèsmalheureuse et peut-être très déraisonnable, mais je ne suis qu’unefemme et il ne faut pas trop me demander. »

Battu sur ce point, le notaire conseilla detâcher de découvrir l’adresse de la femme de chambre anglaise delady Montbarry.

Cette idée, excellente au premier abord, avaitune chose contre elle. On ne pouvait la mettre à exécution qu’endépensant de l’argent, et il n’y avait pas d’argent à dépenser.Mme Ferraris reculait devant l’idée de se servir dubillet de mille livres. Elle l’avait mis en sûreté dans une maisonde banque. Si l’on parlait devant elle d’y toucher, ellefrissonnait de la tête aux pieds et prenait des airs de mélodrameen parlant du « prix du sang de son mari ! »

Dans ces conditions, les tentatives à fairepour découvrir le mystère de la disparition de Ferraris furentremises à un autre moment.

C’était dans le dernier mois de l’année 1860.La commission d’enquête était déjà à l’ouvrage ; elle avaitcommencé ses travaux le 6 décembre et la location faite par lordMontbarry expirait le 10. Les compagnies d’assurances furentavisées par dépêche que les avocats de lady Montbarry lui avaientconseillé de se rendre à Londres dans le plus bref délai ; lebaron Rivar, croyait-on, devait l’accompagner en Angleterre ;mais il n’avait pas l’intention de rester dans ce pays, à moins queses services ne fussent absolument indispensables à sa sœur. Lebaron, connu pour un chimiste enthousiaste, avait entendu parler decertaines découvertes récentes faites aux États-unis, et ildésirait les étudier sur place.

M. Troy sut bientôt tout cela ets’empressa de communiquer ces nouvelles àMme Ferraris, qui, dans son inquiétude croissantesur le sort de son mari, faisait de fréquentes, de trop fréquentesvisites même, à l’étude du notaire. Elle voulut redire à son amieet protectrice ce qu’elle avait appris, mais Agnès refusa del’entendre et défendit positivement qu’on lui parlât davantage dela femme de lord Montbarry, lord Montbarry n’existant plus.

« M. Troy est votre conseil, luidit-elle, vous serez toujours la bienvenue chez moi : je suisprête à vous aider du peu d’argent dont je peux disposer, s’il estnécessaire ; mais ce que je vous demande en retour, c’est dene pas me causer de chagrin. J’essaie d’oublier… (la voix luimanqua, elle s’arrêta un instant) d’oublier, continua-t-elle, dessouvenirs qui sont plus douloureux que jamais, depuis que j’aiappris la mort de lord Montbarry. Aidez-moi par votre silence àretrouver la tranquillité, s’il est possible. Ne me dites plus rienjusqu’à ce que je puisse me réjouir avec vous du retour de votremari. »

On était déjà au 13 du mois, et M. Troyavait recueilli un plus grand nombre de renseignements utiles. Lestravaux de la commission d’enquête étaient terminés. Le rapportétait arrivé de Venise ce jour même.

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