Moulins d’autrefois

Chapitre 7

 

Ce sont des vêpres modestes, des vêpres deCarême, dites devant un autel déjà à demi endeuillé par la Passion.Les antiennes et les psaumes se déroulent avec une monotonieberceuse et mélancolique.

Du fond de l’église et de la tribune, leshommes répondent au curé et au lutrin ; les femmes suiventdans leur paroissien, ou égrènent leur chapelet ;quelques-unes, nourrices aux nuits agitées, somnolentdoucement.

Dans le chœur, malgré les regards foudroyantsdu curé Laplanque et de l’instituteur Cabrit, les écoliers lèventleurs yeux distraits vers les vitres par où entre à flot le soleil,et derrière lesquelles piaillent et se querellent les pierrotsamoureux. Comme il ferait bon d’aller chercher les premiers nidsdes merles dans les houx de Roupeyrac, sous les feuilles naissantesdes hêtres !

Aline, au banc de famille, suit le chant despsaumes dans un livre que lui donna sa tante, la religieuse deVillefranche, lors de sa dernière visite, déjà lointaine :L’Imitation de Jésus-Christ, qu’elle a lu, relu, dont elle sait deschapitres par cœur.

Sans comprendre le latin, la jeune fille aimeà chanter les psaumes de sa petite voix claire et timide, qui seperd dans la masse de celle des hommes, comme le susurrement d’unesource dans le tonnerre d’un torrent. Mais, aujourd’hui, elle estsi angoissée que sa gorge ne saurait laisser passer un seul son, etqu’elle a besoin de faire effort pour se retenir de sangloter.

Peu à peu cependant la pieuse mélopée agit surses nerfs, adoucit l’amertume de son cœur, berce la désolation deson âme. Elle referme le livre sur son pouce replié, elle écoute etelle rêve. Et de la scène cruelle de tout à l’heure, elle remonte àla scène de tendresse de la matinée ; puis, peu à peu, àtravers les soucis, les hésitations, les luttes morales de cesderniers mois, jusqu’à la nuit terrible où elle s’était promise àDieu. Ah ! cette promesse qu’elle n’a pas tenue, ce sermentque, ce matin encore, elle a presque résolu de trahir… C’est commesi un rideau se tirait et si un gouffre s’ouvrait soudain devantelle. Malheureuse !… Une angoisse profonde l’envahit. Lesversets des prophètes semblent des paroles de menace à son adresse.Ses yeux se portent avec terreur sur le tableau qui, au-dessus del’autel, représente la Vierge douloureuse au pied de la Croix oùvient d’expirer son fils. Une voix lui crie :

– Menteuse, parjure !

Elle se sent défaillir, et, durant le chant duMagnificat, hier encore son psaume préféré, elle peut à peine setenir debout, en s’appuyant au dossier de son banc.

Heureusement, on s’agenouille pour le Parce,Domine. Et Linou, se cachant la figure des deux mains, s’unit detout son cœur à l’émouvante supplication : « Pardon, monDieu, pardon ! », clamée par le curé et par lesfidèles.

L’ostensoir brille et s’élève ; tous lesfronts s’inclinent ; l’encens monte en nuée blonde… C’estfini : les têtes se redressent ; on sort de vêpres…

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