Moulins d’autrefois

Chapitre 2

 

On est au milieu de mars ; ce n’est pointle printemps encore, mais on sent qu’il est en route et qu’ilarrivera bientôt. Les nuages, poussés par un léger souffle dusud-est, passent hauts et légers, découvrant, par intervalles, delarges pans d’azur.

Le curé Reynès va de La Garde au moulin de LaCapelle, sa grosse canne à la main, son bréviaire sous le bras, sasoutane troussée au-dessus du jarret, à cause des flaques que lespluies ont laissées, ici et là, dans le creux des chemins bordésd’aubépines et de houx. De temps en temps, quand la route estsèche, il ouvre son gros livre et lit un bout d’office. Il lereferme pour enjamber un ruisselet, contourner une mare, ou pourdire bonjour à quelque laboureur qui laisse souffler ses bœufsderrière la haie. Puis, il le rouvre encore et continue saprière.

Le soleil est déjà vif et caresse doucementles seigles reverdis, l’herbe renaissante des prés et des« devèzes » et les plumes des alouettes, qui n’osentencore s’élancer dans l’air, mais qui gazouillent à mi-voix sur lessillons. Une bergère, adossée au tronc d’un châtaignier, chantonneaussi en filant de l’étoupe sur sa quenouille de noisetier ;et là-bas, sur la droite, dans les bois et les bosquets où lescimes des hêtres rosissent déjà, la grosse grive s’égosille àsaluer – un peu étourdiment peut-être, mais d’un tel cœur – lesprémices du renouveau.

Le bon curé a fini de lire. Il rêvemaintenant ; il se laisse gagner à cette tiédeur, à ce calmeheureux succédant aux tempêtes et aux averses. Fils de terriens,vivant parmi des terriens, il s’intéresse à tout ce qui lesintéresse, se réjouit de voir si drus les blés de Vayssous, si bienen point les moutons de Mignonac, si profondément et si adroitementtracés les labours de La Salvetat ; de trouver ses paroissienssi vaillants à la besogne, et si gais les oiseaux du Bon Dieu.

Il aperçoit loin, très loin, les cimesbleutées des Cévennes, qui encerclent un quart de l’horizon ;en deçà, un large ruban de vapeurs blanches qui dessinent lesméandres du Tarn, d’où elles s’élèvent ; puis, sur une lignede hauteurs que la transparence de l’air fait paraître toutesproches, les clochers de plusieurs paroisses qu’il reconnaît etqu’il se nomme tout bas, entre autres, celle de La Coste, surlaquelle il naquit, et sa maison paternelle, et le pré clos encontrebas du jardin où la lessive met une ligne de neige sur lahaie, au-dessus des ruches. Chère maison ! comme il y alongtemps qu’il n’a pu en aller revoir le seuil où jouent sesneveux, et le petit cimetière où dorment ses anciens !

Mais, déjà, il quitte les terres de La Gardepour celles de La Capelle-des-Bois, son ancienne et toujours sichère paroisse, où il a laissé tant d’amis. Au bout du plateau oùzigzague la route, se détachant en blanc et bleu sur le Lagast dontles pentes sont encore sombres, et sombre le hêtre plusieurs foiscentenaire qui en couronne le sommet, apparaît le clocher de LaCapelle, que lui, l’abbé Reynès, a fait ériger, et au bas duquels’éparpillent où se serrent, au petit bonheur, les maisons grisesdu village. À droite et à gauche, des hameaux qu’il connaît bienpour y être allé bénir les bestiaux et les ruches, consoler desâmes en peine, porter de discrètes aumônes, assister des malades ouchercher la dépouille des morts.

Mais la poésie de la nature et du souvenirdoit céder aux obligations de son ministère : il faut queM. le curé soit de retour à La Garde assez tôt pour unbaptême, et il n’a que le temps de remplir, au moulin de LaCapelle, la mission délicate dont il s’est chargé, à la demande del’oncle Joseph et de Garric.

Déjà il aperçoit la fumée qui monte, droite etbleue, de la maison encore invisible. Les cimes des peupliersbordant l’étang se montrent ensuite, légèrement poudrées de vertpâle, et, dans l’une d’elles, un ménage de pies charpente sanouvelle demeure. Puis, derrière un dos de pré reverdi, lestoitures surgissent dans les noyers et les vieux poiriers qui lesprotègent. Enfin, l’étang lui-même, calme, luisant, toutensoleillé, avec le clocher de La Capelle renversé dans sa claireprofondeur. Oh ! le doux vallon, le coin béni, le printanierpetit Éden !

Et l’abbé Reynès sait que nulle part il n’estplus aimé que là, – non seulement par Rose, qu’il a mariée, et parAline, qu’il a baptisée et suivie jusqu’à sa seizième année, – maispar le père Terral, par son fils cadet et l’oncle Joseph. Pas trèsdévots, certes, ceux-là, pas très assidus aux offices, surtout autemps de la pêche ou de la chasse ; en outre, aimant un peutrop la gauloiserie, les récits salés et les jurons dont tout bonconteur doit les ponctuer ; mais d’excellents cœurs, au fond,qu’on ramènerait vite si l’on savait s’y prendre, et à qui Dieupardonnerait sûrement en considération des vertus et des prières dela meunière et de Linou.

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