Moulins d’autrefois

Chapitre 9

 

Jean Garric trouva l’abbé Reynès qui lisaitson bréviaire au fond de son jardinet.

Jean avait couru ; rouge et suant, il selaissa tomber sur le banc de pierre où le prêtre s’assit près delui.

– Mon pauvre enfant ! fit-il en luipassant un bras autour des épaules ; mon pauvre Jeantou !Comme je compatis à ton deuil ! Quel excellent homme de pèretu as perdu !

– Oui, monsieur le curé, répondit-il dans unsanglot… Et il paraît que ce ne sera pas mon seul chagrin.

– Ah ! tu as revu Pierril ; jedevine ce que tu viens me demander…

– Sa fille vous a écrit, me dit-on ?

– En effet, la malheureuse !… Est-il vraique c’est toi qui l’as séduite, comme son père leprétend ?

– Séduite ? C’est-à-dire… Enfin…

– Oh ! je me doute bien que c’est plutôtle contraire qu’il faudrait dire.

– Je n’en suis pas moins coupable, et honteuxde m’être ainsi abandonné… C’est ma punition de ne pas avoir quittéles Anguilles dès qu’elle a commencé ses agaceries et ses grimaces…Je devais, en tout cas, venir vous trouver alors, vous demanderconseil et appui.

– C’est ce que m’écrit aussi ta complice.

– Ah !… Que voulez-vous ? Je mecroyais assez fort, aimant ailleurs ; et j’ai été lâche,oh ! lâche au dernier point…

– Le diable est malin, Jean.

– Je méritais un châtiment ; et, toutd’abord, le récit de Pataud fait devant Aline, outre qu’il acruellement torturé la pauvre enfant, a failli me brouiller pourtoujours avec elle, elle que j’aimais uniquement, qui m’aimait etqui m’aime encore.

– Vraiment, Jeantou ? Elle t’aimetoujours ?

– Oui, monsieur le curé, toujours ; elleme l’a avoué, ce matin même, devant sa mère.

– Et cela au moment où tu vas être obligé,peut-être, de renoncer à elle !

– Renoncer à Linou ? Ah ! quedites-vous ? L’abbé lui prit affectueusement les mains, et,gravement :

– Mon brave Jean, il faudra agir selon taconscience… et tu ne peux pas savoir encore ce qu’elle tecommandera. Voici, d’abord, la lettre de la pécheresse.

Il tira de la poche de sa soutane uneenveloppe couverte d’une grosse écriture inexpérimentée et latendit à Jean, qui s’excusa de ne savoir lire qu’à peine. Le curélut tout haut, pour Garric, comme il avait fait, deux heures plustôt, pour Pierril… Pauvre lettre, pauvres idées, pauvre français…Pourtant, un certain ton de sincérité, un accent de vrairepentir ; et aussi une discrétion à l’égard de Jean qui, sielle n’était pas calculée, témoignait de beaucoup de délicatesse…Mion n’accusait personne qu’elle ; elle paraissait bienn’avoir écrit au curé de La Garde que pour le prier de lui obtenirle pardon de ses parents… Que croire ? Était-ce le fait d’unerouée escomptant la naïveté et la bonté de Garric, à qui Pierril nemanquerait pas d’imputer la séduction de sa fille ?

– Que croire et que faire ? répétait sansfin Garric, les coudes et la tête entre ses poings.

– Écoute, Jean, dit tout à coup le curé aprèsun silence, la chose est évidemment délicate. Tu es trop honnêtegarçon pour ne pas être d’avis qu’il faut réparer tout préjudicecausé… Mais il est bien permis de prendre quelques précautions pourn’être pas dupe d’une aventurière… Ne brusque rien… Tâchons d’abordde savoir ce qu’elle est, cette Mion, ce qu’a été son passé,comment elle se conduit en ville ; si elle est vraimentrepentante de sa faute, ou si elle cherche un épouseur et si c’està toi qu’elle en a.

– Mais, fit Garric, surpris, comment savoircela, à cinquante lieues que nous sommes de Montpellier ?

– Essayons quand même… J’ai dans l’idée quel’aîné des fils Terral pourra nous être très utile.

– Le frère de Linou ?

– Lui-même. Avocat là-bas, tu comprends qu’ila des moyens d’information de toute sorte ; je vais luidemander de les mettre à notre service… Je vais lui écrire, – etaussi répondre à Mion… Bien entendu, je ne parlerai de toi ni àl’une ni à l’autre… Rentre aux Anguilles, remets-toi au travail, ettiens-toi sur la plus grande réserve vis-à-vis de tes maîtres. Neprends aucun engagement, aucune détermination d’aucune sorte avantde m’avoir revu… Ne va pas non plus revoir ta petite amie de LaCapelle ; qui sait si la chère enfant n’a pas été malinspirée, aujourd’hui, en t’avouant qu’elle t’aimaittoujours !

– Je vous obéirai, monsieur le curé,aveuglément… Si vous ne me sauvez pas, je sens que je suisperdu !

– Aide-toi, le ciel t’aidera.

Pauvre garçon ! Il redescendit tristementvers les Anguilles, repassant dans son esprit ce qui lui étaitarrivé en ces trois derniers jours : son père mort, Linoureconquise, et Mion surgissant tout à coup comme une menace, comme,par un soir d’été, une nuée d’orage à l’horizon.

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