Bug-Jargal

XXI

 

– La nouvelle arriva que Bug-Jargal avaitquitté le Morne-Rouge, et dirigeait sa troupe par les montagnespour se joindre à Biassou. Le gouverneur sauta de joie : –Nous les tenons, dit-il en se frottant les mains. Le lendemainl’armée coloniale était à une lieue en avant du Cap, Les insurgés,à notre approche, abandonnèrent précipitamment Port-Margot et lefort Galifet, où ils avaient établi un poste défendu par de grossespièces d’artillerie de siège, enlevées à des batteries de lacôte ; toutes les bandes se replièrent vers les montagnes. Legouverneur était triomphant. Nous poursuivîmes notre marche. Chacunde nous, en passant dans ces plaines arides et désolées, cherchaità saluer encore d’un triste regard le lieu où étaient ses champs,ses habitations, ses richesses ; souvent il n’en pouvaitreconnaître la place.

Quelquefois notre marche était arrêtée par desembrasements qui des champs cultivés s’étaient communiqués auxforêts et aux savanes. Dans ces climats, où la terre est encorevierge, où la végétation est surabondante, l’incendie d’une forêtest accompagné de phénomènes singuliers. On l’entend de loin,souvent même avant de le voir, sourdre et bruire avec le fracasd’une cataracte diluviale. Les troncs d’arbres qui éclatent, lesbranches qui pétillent, les racines qui craquent dans le sol, lesgrandes herbes qui frémissent, le bouillonnement des lacs et desmarais enfermés dans la forêt, le sifflement de la flamme quidévore l’air, jettent une rumeur qui tantôt s’apaise, tantôtredouble avec les progrès de l’embrasement. Parfois on voit uneverte lisière d’arbres encore intacts entourer longtemps le foyerflamboyant. Tout à coup une langue de feu débouche par l’une desextrémités de cette fraîche ceinture, un serpent de flamme bleuâtrecourt rapidement le long des tiges, et en un clin d’œil le front dela forêt disparaît sous un voile d’or mouvant ; tout brûle àla fois. Alors un dais de fumée s’abaisse de temps à autre sous lesouffle du vent, et enveloppe les flammes. Il se roule et sedéroule, s’élève et s’affaisse, se dissipe et s’épaissit, devienttout à coup noir ; puis une sorte de frange de feu en découpevivement tous les bords, un grand bruit se fait entendre, la franges’efface, la fumée remonte, et verse en s’envolant un flot decendre rouge, qui pleut longtemps sur la terre.

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