Le Remède
Si l’on se plaît à l’image duvrai,
Combien doit-on rechercher le vrai même.
J’en fais souvent dans mes contes l’essai
Et vois toujours que sa force est extrême,
Et qu’il attire à soi tous lesesprits :
Non qu’il ne faille en de pareils écrits
Feindre les noms ; le reste del’affaire
Se peut conter sans en riendéguiser ;
Mais quant aux noms, il faut au moins lestaire ;
Et c’est ainsi que je vais en user.
Près du Mans donc, pays de sapience,
Gens pesant l’air, fine fleur de Normand,
Une pucelle eut naguère un amant,
Frais, délicat, et beau par excellence,
Jeune surtout, à peine son menton
S’était vêtu de son premier coton.
La fille était un partid’importance :
Charmes et dot, aucun point n’ymanquait :
Tant et si bien que chacun s’appliquait
À la gagner ; tout Le Mans y courait.
Ce fut en vain ; car le cœur de lafille
Inclinait trop pour notrejouvenceau :
Les seuls parents, par un esprit manceau,
La destinaient pour une autre famille.
Elle fit tant autour d’eux que l’amant,
Bon gré, mal gré, je ne sais pas comment,
Eut à la fin accès chez sa maîtresse.
Leur indulgence, ou plutôt son adresse,
Peut-être aussi son sang et sa noblesse
Les fit changer, que sais-je quoi ? toutduit
Aux gens heureux, car aux autres toutnuit.
L’amant le fut : les parents de labelle
Surent priser son mérite et sonzèle :
C’était là tout : eh que faut-ilencor ?
Force comptant ; les biens du siècled’or
Ne sont plus biens, ce n’est qu’une ombrevaine
Ô temps heureux ! je prévois qu’avecpeine
Tu reviendras dans le pays du Maine :
Ton innocence eût secondé l’ardeur
De notre amant, et hâté cetteaffaire ;
Mais des parents l’ordinaire lenteur
Fit que la belle, ayant fait dans son cœur
Cet hyménée, acheva le mystère
Selon les us de l’île de Cythère.
Nos vieux romans, en leur style plaisant,
Nomment cela « paroles deprésent. »
Nous y voyons pratiquer cet usage,
Demi-amour, et demi-mariage,
Table d’attente, avant-goût de l’hymen.
Amour n’y fit un trop long examen :
Prêtre et parent tout ensemble, etnotaire,
En peu de jours il consommal’affaire :
L’esprit manceau n’eut point part à cefait.
Voilà notre homme heureux et satisfait,
Passant les nuits avec son épousée ;
Dire comment, ce serait chose aisée ;
Les doubles clefs, les brèches à l’enclos,
Les menus dons qu’on fit à la soubrette,
Rendaient l’époux jouissant en repos
D’une faveur douce autant que secrète.
Avint pourtant que notre belle un soir
En se plaignant, dit à sa gouvernante,
Qui du secret n’était participante :
« Je me sens mal ; n’y saurait-onpourvoir ? »
L’autre reprit : « Il vous faut unremède ;
Demain matin nous en dirons deuxmots. »
Minuit venu, l’époux mal à propos,
Tout plein encor du feu qui le possède,
Vient de sa part chercher soulagement,
Car chacun sent ici-bas son tourment.
On ne l’avait averti de la chose.
Il n’était pas sur les bords du sommeil,
Qui suit souvent l’amoureux appareil,
Qu’incontinent l’Aurore aux doigts derose,
Ayant ouvert les portes d’Orient,
La gouvernante ouvrit tout en riant,
Remède en main, les portes de lachambre :
Par grand bonheur il s’en rencontra deux,
Car la saison approchait de septembre,
Mois où le chaud et le froid sont douteux.
La fille alors ne fut pas assezfine ;
Elle n’avait qu’à tenir bonne mine,
Et faire entrer l’amant au fond des draps,
Chose facile autant que naturelle :
L’émotion lui tourna la cervelle
Elle se cache elle-même, et tout bas
Dit en deux mots quel est son embarras.
L’amant fut sage, il présenta pour elle
Ce que Brunel à Marphise montra.
La gouvernante, ayant mis ses lunettes
Sur le galant son adresse éprouva :
Du bain interne elle le régala,
Puis dit adieu, puis après s’en alla.
Dieu la conduise, et toutes celles-là
Qui vont nuisant aux amitiéssecrètes !
Si tout ceci passait pour dessornettes
(Comme il se peut, je n’en voudrais jurer)
On chercherait de quoi me censurer.
Les critiqueurs sont un peuple sévère
Ils me diront : « Votre belle ensortit
En fille sotte et n’ayant point d’esprit
Vous lui donnez un autre caractère :
Cela nous rend suspecte cetteaffaire ;
Nous avons lieu d’en douter, auquel cas
Votre prologue ici ne convient pas. »
Je répondrai… Mais que sert derépondre ?
C’est un procès qui n’aurait point defin :
Par cent raisons j’aurais beau lesconfondre ;
Cicéron même y perdrait son latin.
Il me suffit de n’avoir en l’ouvrage
Rien avancé qu’après des gens defoi :
J’ai mes garants, que veut-ondavantage ?
Chacun ne peut en dire autant que moi.
