En route vers le Pôle – Au pays des boeufs musqués – Voyages, explorations, aventures – Volume 12

Chapitre 13La curée

 

La chasse partit au loin à fond de train.Bientôt l’on n’entendit plus rien, le cerf avait fui, vent arrière,et les piétons qui n’eurent pas l’intelligence de foncer le ventdans le dos, n’arrivèrent pas pour la curée.

La chasse dura pendant trois heures ; lecerf, très rusé, mit deux fois les chiens en défaut ; maisquelques chiens du haut Poitou, très fins de nez, mêlés auxSaintongeois, débrouillèrent la voie, la relevèrent et remirenttoute la meute au droit très brillamment.

Il eut aussi un change ; mais quelquesbons chiens n’y ayant pas donné, ceux qui s’étaient trompés serameutèrent à la bonne tête de chasse.

Enfin le cerf sur ses fins, très mal mené,c’est-à-dire très bas, arriva dans la mare aux Pigeons, près deFranchard.

On sait que le plateau de grès où la mare setrouve située se termine très brusquement par un précipice.

Les chiens criaient furieusement ; lecerf ragaillardi courait ou nageait les cors sonnaient le bat-l’eauet La Feuille avait saisi la carabine pour tirer l’animal.

Mlle de Pelhouër dit aupiqueur :

– Donnez-moi donc la carabine, que jemontre à ces gens-là comment je tire à l’œil.

– Voilà, mademoiselle.

Il était lui-même très curieux de voir cecoup-là.

– Juste ? votre carabine, monsieurLa Feuille ?

– Très juste, mademoiselle.

– Attendons qu’il me montre sa tête, neserait-ce que pendant trois secondes, et je place ma balle.

Mais tout à coup, on cria :

– Gare !

– Gare !

C’était le comte Labart, monté sur sa jumentemballée, qui le conduisait droit au précipice.

Sûrement, la bête et l’homme allaient êtretués.

Une angoisse poignante serrait les poitrines.Le comte est très aimé.

Nature distinguée, délicate, trop généreuse,il a conquis les plus vives sympathies.

Tout à coup, un coup de feu retentit, lajument ralentit son allure, puis elle s’arrêta à deux longueurs duprécipice.

C’était Mlle de Pelhouërqui venait de casser la jambe gauche de derrière à la jument.

– Rechargez la carabine ! dit-elleavec le plus grand sang froid à La Feuille ; il fautmaintenant en finir avec ce pauvre cerf.

On voyait revenir le comte avec sa jument quin’allait plus que sur trois pieds.

Mais vivement, La Feuille avait rechargél’arme, car le cerf se montrait de face.

Mlle de Pelhouër pritl’arme, visa et tira. Le cerf tomba foudroyé, l’œil crevé, uneballe dans la cervelle.

– Pour un beau coup, c’est un beaucoup ! dit La Feuille en connaisseur.

» Je savais que mademoiselle tirait bien,on me l’avait dit, mais on aime à voir…

– Est-ce qu’on n’a pas parlé d’unedestruction de lapins ?

– Si mademoiselle.

– Pour quand ?

– Après-demain.

– J’irai.

» Puisque vous aimez voir, vousme verrez couper le nez à tous mes lapins à balle franche.

– Mademoiselle, je ferais cent lieuespour voir ça.

– Vous n’en ferez pas tant pour voirmieux.

» Chargez la carabine.

La Feuille s’empressa.

Quand il rendit l’arme,Mlle de Pelhouër lui dit :

– C’est vous qui dépouillez le cerf, jecrois ?

– Oui, mademoiselle.

– Eh bien, mettez vous à cettebesogne ; moi j’attends une occasion.

La Feuille tira son couteau et il s’attaqua àla peau de l’animal que l’on avait tiré de l’eau et transporté dansun endroit propice à la curée où tout le monde pourrait la voir àl’aise.

Pendant ce temps, le comte Labart avait reçules compliments de ses amis ; puis il avait remerciéMlle de Pelhouër, très entourée, trèsfélicitée ; celle-ci écoutait d’une façon très distraite.

Elle écoutait les crouacs d’une bandede corbeaux.

Ceux-ci éventaient déjà l’odeur du cerf mortet ils arrivaient à tire-d’aile.

Tout à coup,Mlle de Pelhouër cria très haut :

– Monsieur La Feuille !

Le piqueur leva la tête.

La jeune fille ajustait un corbeau au vol.Elle tira.

L’oiseau tomba.

Elle le ramassa et le montra à La Feuille. Lecorbeau était décapité.

Et elle de dire :

– Vous n’avez pas besoin de faire centlieues pour voir.

La Feuille, avec plus de correction que dedistinction :

– Mademoiselle, c’est épatant !

Tout le monde applaudissait et s’extasiait.Monde de chasseurs que tant d’adresse émerveillait.

Cependant La Feuille avait écorché le cerf. Lanappe, c’est-à-dire la peau, était détachée.

Le cou avait été coupé de telle sorte, que latête restait attachée à la nappe.

La Feuille leva les faux-filets et coupa lesquatre membres que se partagent ensuite les gens de la vénerie àposte raisonnable.

Reste le tronc.

On le recouvre de la nappe et un valet dechiens prend la tête de l’animal en ses mains et l’agite devant lameute.

Celle-ci hurle frémissante.

Le maître d’équipage la contient à coups defouet.

Les piqueurs, le cor à la main, se rangent enbataille derrière le corps de l’animal.

Les curieux forment un cercle immense. C’estune scène barbare, mais très imposante.

Les cent chiens hurlent avec une sauvagerieextraordinaire.

Leur naturel loup a repris le dessus.

Car le chien courant est un animal au fondsauvage, indressable, chasseur-né, auquel on ne peut rienapprendre.

Il est bon par lui-même ou mauvais ;personne ne peut y rien changer.

Qui n’a pas vu une curée ne se doute pas de lavoracité effrayante des chiens de meute.

Cependant les piqueurs et les valets de chienssonnèrent fanfares.

La Vue d’abord.

Puis la tête de l’animal, c’est-à-dire sonâge. La première année le cerf est faon, puis hère.

La seconde année daguet ; les bois nesont que dagues.

La troisième année, les dagues tombent et lecerf est deuxième tête ; les cornes se sont refaites avec unandouiller dit de massacre qui orne le merrain, c’est-à-dire letrou du bois.

C’est la seconde tête.

La quatrième année, troisième tête ; il ya en plus un surandouiller.

La cinquième année, quatrième tête ; il ya en plus une clavellure au-dessus du surandouiller.

La sixième année, dix cors jeunement ; ily a une fourche à deux dents au bout du merrain.

La septième année, dix cors ; il y atrois dents à la fourche.

La huitième année, il y a un nombre variablede dents à la fourche.

Elle prend le nom d’empaumure quand elleressemble à une main largement ouverte.

Si, au contraire, les dents forment une espècede cercle, c’est un chandelier.

À partir de cet âge, le cerf est grand dixcors.

Quand les fanfares ont sonné la tête, ellesentonnent celle qui est particulière à l’équipage.

Puis, s’il y a d’autres maîtres d’équipageparmi les invités, on leur joue leurs fanfares.

Enfin on sonne la mort et on laisse les chiensse jeter sur la bête et la dévorer.

Le valet de chiens, qui n’a cessé d’agiter latête, s’est vivement retiré avec la tête et la nappe.

En moins de rien, le cerf est éventré, et lesplus forts chiens sortent de la curée emportant cœur, poumons,foie, entrailles.

C’est ignoble, mais la scène est trèsimpressionnante.

On fit les honneurs du pied àMlle de Pelhouër.

Les fanfares sonnèrent, les piqueurs ayant latête nue.

La Feuille reçut cent francs !

Mais, tout à coup, sous bois, retentirentd’autres fanfares, celles-là ayant un caractère barbare.

C’étaient les amazones qui disaientla victoire de leur princesse dans leurs olifants, trompes d’ivoiredahoméennes.

En dix minutes, il ne resta du cerf que lacolonne vertébrale.

Après s’être disputé les morceaux avecacharnement, après s’être battus à outrance, sous les coups defouet, après avoir broyé les os et les avoir avalés réduits enpoudre, les chiens sanglants se léchaient, non par amitié, maisamour du sang.

Maîtres et invités montèrent en voiture et lescors sonnèrent le Départ.

Puis les piqueurs se rafraîchirent ; oncoupla les chiens, on forma la meute et l’on monta à cheval,reprenant le chemin du chenil, en sonnant triomphalement laRetraite après prise.

C’était fini !

Dans tout ça, il y avait un homme heureux. Lepère Garnier.

Ses couleuvres et ses lézards lui avaient valudeux beaux billets de cent francs !

Quelle aubaine !

En s’en retournant le soir, dans sa voiture àâne, il ne fit que siffler fanfares !

Les merles en furent jaloux.

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