Envers et contre tous

Chapitre 26LE PARLEMENTAIRE

Si bonsque soient des chevaux, ils ne peuvent cependant pas marchertoujours. Ceux que montaient les huguenots venaient de faire unedouzaine de lieues sans débrider. Une halte devenait nécessaire.M. de la Guerche choisit un village situé à l’entréed’une vallée aux deux côtés de laquelle s’étendaient de largesmarais infranchissables, qui rendaient une attaque de flancimpossible. Ce village traversé, la route s’enfonçait dans uneforêt où la cavalerie ne pouvait se mouvoir. L’ennemi étaitcontraint, s’il voulait forcer le passage, d’aborder le village defront.

Pour rendre cet abord plus difficile,Armand-Louis fit abattre une douzaine de gros arbres sur la routeet créneler quelques chaumières qui la commandaient.

– Nous voilà tranquilles pour une nuit,dit-il ; demain la Providence nous viendra en aide.

On débrida les chevaux, et tandis qu’ilsmangeaient l’avoine et la paille, les protestants cherchèrent çà etlà de quoi se réconforter.

Aussitôt qu’ils avaient aperçu les cavaliersportant l’uniforme de l’armée impériale, les habitants du village,saisis subitement d’une peur immense d’être pillés, s’étaientempressés de serrer leurs provisions et de cacher leurs bestiaux.Aucun être vivant ne se montrait nulle part.

– Cependant, les maisons sontdebout ; il est impossible que l’endroit soit inhabité !dit Magnus.

Il se mit en quête et entra dans une auberge.L’aubergiste tremblait et jurait ses grands dieux qu’il nepossédait ni un jambon dans la cheminée, ni une bouteille de vindans la cave.

– Les Saxons qui nous ont visités hieront tout avalé, dit-il en finissant.

On ne se paya pas de cette réponse.L’aubergiste était gros et gras ; on chercha et on chercha sibien, qu’on eut du pain, du fromage, de la bière. Carquefou fit uneexpédition contre des poules imprudentes qui montraient le bout deleur bec hors d’un hangar ; il en rapporta deux ou troisdouzaines. Magnus découvrit trois moutons et deux veaux qu’on avaitdissimulés au fond d’une cave ; bientôt après quatre ou cinqporcs décelèrent leur existence par des cris maladroits.

Ils ne crièrent pas longtemps.

– Allons ! on peut vivre, ditM. de Collonges.

Quelques femmes, qui s’étaient les premièreshasardées à sortir de leurs chaumières, pleuraient et selamentaient en voyant disparaître ces volailles et ces bestiaux.Armand-Louis fit un signe à Magnus. Celui-ci tira de sa poche unelongue bourse et remboursa largement à tout ce pauvre monde le prixdes vivres que les dragons se partageaient.

L’étonnement sécha les larmes. On n’avait pasreçu de coups et l’on avait de l’argent ; rien de pareil nes’était jamais vu depuis que la guerre était commencée.

Des sentinelles furent posées partout. Àminuit, tous les dragons dormaient, sauf huit ou dix. Un coup defeu, tiré de l’extrémité du village, réveilla la troupe en sursaut.Chacun courut aux postes que M. de la Guerche avaitassignés d’avance à ses camarades. Une sentinelle avait donnél’alarme. Dans l’ombre, on voyait au loin, et vaguement, s’agiterune cohue de cavalerie. Un bruit sourd de hennissement, mêlés aucliquetis des armes, arrivait jusqu’au village.

Une compagnie de mousquetaires s’approchasilencieusement, et une grêle de balles pénétra dans l’abatis,faisant voler les menues branches et l’écorce des arbres.

– Voici Jean de Werth, tirons bas !dit Magnus.

Les dragons firent feu à leur tour. Unedouzaine de chevaux et d’hommes tombèrent sur le chemin ; lacompagnie, mise en désarroi, battit en retraite.

Tout rentra dans le silence.

M. de Collonges sortit en éclaireurdu village. Il revint au bout d’une heure et annonça que la routeétait occupée par un corps de troupes.

– Si nous n’avions pas demain sur lesbras deux mille diables à ceintures vertes, dit-il, celam’étonnerait fort.

– L’attaque n’est pas ce qui m’occupe,c’est la retraite, dit Magnus.

Son regard rencontra celui deM. de la Guerche.

– Oui, oui, dit le vieux soldat,l’attaque sera repoussée, et Jean de Werth, que l’enfer confonde,laissera bon nombre des siens devant ces abatis ; mais, sinous quittons le village, nous retrouverons le Bavarois en rasecampagne, au delà de la forêt, avant une heure, et nous serons uncontre dix.

– Parbleu ! que risquons-nous ?Ils ne nous prendront pas vivants ! ditM. de Saint-Paer.

– Nous, c’est vrai ; maissommes-nous seuls ? murmura M. de la Guerche.

Et il tourna les yeux du côté de la maison oùMlle de Souvigny etMlle de Pardaillan s’étaient retirées.

– Ah ! diable ! fitM. de Voiras.

– Il y a peut-être encore moyen de teniren échec l’ennemi, poursuivit Magnus ; en entassant desbroussailles autour de ces toits de chaume et de ces murailles enbois, on allumerait aisément le village tout entier ; lacavalerie de Jean de Werth et Jean de Werth lui-même nefranchiraient pas cette fournaise, et à la faveur de l’incendie, onpourrait battre en retraite.

– Bonne idée ! s’écriaM. de Collonges.

– Mais il y a plus de cent familles dansde village… Combien de femmes et d’enfants seraient demain sansasile et sans pain !

On se tut autour de Magnus ; chacuncomprenait que l’escadron se trouvait dans la plus difficileoccurrence qu’il eût encore traversée.

M. de Collonges étendit son manteausur une botte de paille et se coucha.

– À demain les affaires sérieuses !je dors ! dit-il.

Carquefou, qui ne perdait jamais un mot de ceque disait Magnus, ne dormait que d’un œil. Il n’éprouvait pas pourl’incendie la répugnance que manifestait son vieux compagnon, étantde cette opinion que les circonstances graves demandent des remèdeshéroïques.

– Ma foi, se disait-il, si une étincellemet le feu à une baraque par hasard, on ne me pendra pas !

Mais encore fallait-il savoir si la route quitraversait la forêt était libre.

Tourmenté par cette réflexion, Carquefou seleva avant la fin du jour, comme un fauve qui va à la curée, et seglissa hors du village par le côté opposé à celui où l’attaqueavait eu lieu ; de grandes masses de sapins s’yvoyaient ; quittant la route, il suivit la lisière du bois,dans l’épaisseur duquel on distinguait à peine quelques sentiers debûcherons ; un homme à cheval aurait eu grand-peine à ypasser. À un quart d’heure à peu près de la dernière maison duvillage, il aperçut un feu qui flambait au milieu du chemin.Carquefou se coucha à plat ventre et rampa sur la bruyère ;deux autres feux brûlaient sur les côtés de la route, l’un àdroite, l’autre à gauche. Des ombres passaient devant les flammesd’un pas méthodique ; il lui semblait que ces ombres avaientdes fusils sur l’épaule.

« Eh ! eh ! voici que ça segâte ! » pensa Carquefou.

Il rampa un peu plus loin, et, levant la têtedu milieu d’un buisson dont il écarta silencieusement les branches,il compta une vingtaine de feux dispersés le long de la forêt. Dessentinelles veillaient autour de ces feux. Bientôt le pas lent etrégulier d’une troupe en marche frappa son oreille ; ils’étendit sous les branches basses du buisson, retint son souffleet attendit.

Une patrouille d’infanterie commandée par unsergent passa près de lui.

Carquefou compta douze hommes portant lemousquet.

« J’aurais bien pu en démolir deux outrois, pensa-t-il ; mais après ?… j’imagine que lesautres m’auraient un peu cassé. »

Le résultat de cette réflexion fut qu’ilmontra ses talons aux Impériaux et regagna le village sansbruit.

– De la cavalerie en tête et del’infanterie en queue, c’est complet ! murmurait l’honnêteCarquefou, tout en marchant.

Il rencontra Magnus, qui faisait uneronde.

– Soyons humains, lui dit-il, l’incendieserait inutile.

Et il lui fit part de ce qu’il avait vu.

– M. de la Guerche parlait hierde la Providence, ajouta-t-il ; qu’elle serait la bienvenue,si elle arrivait sous la forme d’un bon régiment suédois !

Deux ou trois coups de feu suivis d’uneviolente décharge les interrompirent.

– Voici que Jean de Werth a envie decauser ! dit Magnus.

– Causons donc ! soupiraCarquefou.

Mais, tandis que M. de la Guerchecourait vers le point menacé, Magnus prit à partM. de Chaufontaine et lui raconta ce que Carquefou venaitde lui apprendre.

– Il faut nous diviser en deuxbandes ; tout à l’heure, vous aurez fort à faire du côté de laforêt ; si nous ne pensions qu’aux cavaliers de Jean de Werth,ses fantassins nous auraient bientôt enfumés comme desrats !

M. de Voiras etM. de Saint-Paer suivirent Renaud,M. de Collonges s’attacha à M. de laGuerche ; une poignée de trente dragons fut laissée sous lesordres de M. d’Arrandes pour se porter rapidement vers lepoint le plus menacé, et la fusillade éclata de toutes parts.

La population du village, épouvantée, se portasous les voûtes d’une pauvre chapelle ; Adrienne et Dianetombèrent à genoux sur le seuil de leur maison.

À mesure qu’elles élevaient leurs voix versDieu, les balles pétillaient sur les toits et rebondissaient contreles murailles ; c’était comme une grêle un jour d’orage ;le roulement ne s’arrêtait pas ; quelquefois de grands cris eninterrompaient le sinistre retentissement : ils annonçaientqu’un coup heureux avait été frappé tantôt par l’un, tantôt parl’autre des deux partis ; un nuage de fumée s’étendait sur levillage entier.

La plupart des cavaliers de Jean de Werthavaient mis pied à terre et s’efforçaient de pénétrer à travers lesbrèches qu’ils essayaient d’ouvrir dans les abatis. Les haches, lescrocs, les pieux, tout leur était bon pour vaincre ces obstacles,semblables à de gigantesques chevaux de frise ; mais lesdragons, embusqués dans tous les coins, renversaient lesassaillants à mesure qu’ils se présentaient ; abrités derrièredes troncs d’arbres et des pans de murailles, les Françaissouffraient médiocrement du feu de l’ennemi et ne perdaient pas unde leurs coups. Quelquefois ils laissaient arriver jusqu’auxpremières maisons du village un petit corps de soldats impériaux,puis ils fondaient de toutes parts sur leurs adversaires, qui secroyaient déjà sûrs de la victoire, et n’en laissaient pas sortirun seul.

Mais rien ne diminuait l’ardeur des Impériaux,ramenés au combat par Jean de Werth, qu’on voyait partout à cheval,l’épée au poing, la cuirasse sur le dos.

Tandis que M. de la Guerchemaintenait sa position, Renaud soutenait, à l’autre extrémité duvillage, l’assaut des fantassins.

De ce côté-là, on n’avait pas eu le tempsd’abattre des arbres, mais une petite rivière encaissée qu’ontraversait sur un pont de bois protégeait les abords du village.Tous les efforts de l’attaque, comme ceux de la résistance, étaientconcentrés autour de ce pont. Une pluie de balles n’empêchait pasles lansquenets et les mousquetaires d’en franchir parfois l’archeunique au pas de course ; mais aussitôt qu’ils se montraientsur la rive opposée, Renaud fondait sur eux, et, soutenu parM. de Voiras et M. de Saint-Paer, il lesrejetait dans la rivière, où quelques-uns des vaincus senoyaient.

Au retour de ces charges, Carquefou essuyaitFrissonnante.

– Il y a le feu pour les uns, et l’eaupour les autres, disait-il ; c’est une affaire de goût.

Vers midi, un parlementaire précédé d’untrompette qui portait un drapeau blanc, se présenta du côté où Jeande Werth commandait en personne. Le feu cessa de part et d’autre,et M. de la Guerche reçut le parlementaire, auquel Magnusavait déjà bandé les yeux.

– Parlez, monsieur, lui dit Armand-Louisquand on l’eut introduit dans la salle basse d’une maisonvoisine.

– Je vous suis envoyé par M. lebaron Jean de Werth, général des troupes de Son Altesse l’électeurde Bavière, mon maître, pour faire cesser une résistance désormaisinutile et traiter des conditions qui peuvent arrêter l’effusion dusang.

– S’il en est ainsi, monsieur,permettez-moi de faire prévenir mes compagnons d’armes… Rien de cequi va se passer ici ne doit leur être caché.

Armand-Louis adressa quelques mots à Magnus,qui sortit ; puis, se tournant vers l’envoyé de Jean deWerth :

– Vous paraissez surpris, monsieur,poursuivit-il, que j’appelle à cet entretien tous ceux que vousvenez de combattre ?

– Tous ceux dont j’ai pu admirer lavaleur, répondit galamment l’officier ; mais, je vous l’avoue,je ne pensais pas que la présence de tant de dragons fût nécessaireà nos délibérations. Je croyais parler à leur chef.

– Je marche à leur tête, en effet ;leur libre choix, confirmé par une commission signée du roiGustave-Adolphe, m’y a porté, mais je suis moins leur chef encoreque leur ami. Ils m’obéiraient sans hésiter si je commandais, maisje tiens à honneur de les consulter.

Renaud, M. de Voiras,M. de Saint-Paer, M. de Collonges,M. d’Arrandes, et une foule d’autres gentilshommes entrèrentprécédés par Magnus, et se rangèrent autour d’Armand-Louis.

– Messieurs, leur dit celui-ci, voicimonsieur qui m’est envoyé par notre voisin, le baron Jean de Werth,pour traiter des conditions de la capitulation.

– N’avons-nous donc plus que la poignéede nos épées ? Manquons-nous de poudre et de balles ?s’écria Renaud.

– Je vous jure, monsieur, que nous sommespour la plupart en vie, tâtez-nous, ajoutaM. de Collonges.

L’officier salua d’un air de courtoisie.

– Et c’est précisément pour éviter à VosSeigneuries la peine de mourir, que le baron Jean de Werth m’adépêché vers vous, reprit-il ; les conditions sont telles, quevous pouvez les accepter sans déshonneur.

– Il ne faut pas non plus que vous voussoyez dérangé pour rien, répondit M. de Chaufontaine.Nous vous écoutons, monsieur.

– Aussitôt le village rendu et les abordsoccupés par les nôtres, vous aurez toute liberté de vous retirer oùbon vous semblera.

– Sans payer de rançon et avec le droitde retourner au camp du roi de Suède ? demanda Renaud.

– Toutes les routes vous seront ouvertes,et vous ne payerez aucune rançon.

– Continuez, monsieur.

– Les honneurs de la guerre vous serontrendus, et vous conserverez vos armes et vos chevaux.

– Les drapeaux aussi ?

– Les drapeaux pareillement.

– Eh ! eh ! voici qui ressemblefurieusement à un conte de fée ! s’écriaM. de Collonges.

– Si j’en crois mes oreilles, nousn’avons donc plus qu’à nous en aller chez nous, trompettesonnant ? dit M. de Saint-Paer. Que ne parliez-vousplus tôt ?… Voilà trois ou quatre jours que nous ne demandonspas autre chose.

– N’y aurait-il pas, par hasard, unedernière petite condition dont vous ne dites rien encore ?demanda Renaud.

– C’est vrai, messieurs, il en est unedernière qu’il me reste à vous faire connaître ; mais songezbien, avant de la refuser, que toute issue vous est fermée.

– Voilà un petit avis qui ne nous prometrien de bon, murmura M. de Collonges.

– Vous avez avec vous deux personnes dequalité, Mlle de Souvigny etMlle de Pardaillan…

« Nous y voici », pensaM. de la Guerche.

– Elles seront remises à Son Excellencele baron Jean de Werth, qui les conduira au duc de Friedland,auquel, vous ne l’ignorez pas, elles ont été enlevées par laviolence.

– En somme, vous nous proposez de livrerdeux femmes qui n’ont que nous pour amis et pour protecteurs ?dit M. de Saint-Paer avec une nuance de dédain.

– Si brillant que soit le sort que lesamis dont vous parlez leur réservent, continua le parlementaire,celui qui les attend à la cour de Munich et de Vienne est tel,qu’elles n’auront rien à regretter.

– Et vous appelez cela des conditionsqu’on peut accepter sans se déshonorer ? Vendre des pauvresfemmes ! s’écria M. de Collonges.

– Bien ! dit Renaud, qui lui serrala main.

La colère faisait monter un flot de sang auvisage de M. de Chaufontaine ; il allait parler,lorsque M. de la Guerche l’arrêta d’un geste, et, setournant vers l’officier bavarois, lui annonça que la conférenceétait terminée.

– Nous avons à délibérer, lui dit-il,veuillez vous retirer ; avant un quart d’heure, vous aureznotre réponse.

– Délibérer ! s’écriaM. de Saint-Paer lorsque les dragons furent seuls.Délibérer !… et à quoi bon ?

– Parce qu’il s’agit d’une chose qui nousest personnelle à M. de Chaufontaine et à moi, répliquaM. de la Guerche, et que je me tiendrais pour déshonorési je ne vous faisais pas connaître les conséquences de larésolution à laquelle vous pousse votre magnanimité. Là-dessus,M. de Chaufontaine pense comme moi.

– Certainement, dit Renaud.

– Nous sommes cernés de toutes parts,poursuivit Armand-Louis, une force supérieure nous enveloppe, sanscesse accrue par de nouveaux renforts, tandis que le fer et leplomb déciment nos rangs. Si vous repoussez les offres de Jean deWerth un jour nous serons forcés dans nos retranchements. Voussavez alors ce qui nous attend.

– La mort, n’est-ce pas ? ditM. de Saint-Paer.

– Est-ce bien là une chose qui puissenous épouvanter ? s’écria M. de Voiras.

– Mourir l’épée au poing, n’est-ce pas lameilleure fin qu’un gentilhomme puisse ambitionner ? ajoutaM. de Collonges.

– Et puis, qui sait ! poursuivitM. d’Arrandes ; combien de condamnés à mort qui viventlongtemps !

– Il ne faut pas dire : « Quisait ! » reprit M. de la Guerche avecforce ; un homme est parmi nous dès longtemps habitué à laguerre et qu’aucun péril n’étonne. Approche, Magnus, et dis-nous ceque tu penses de notre position. Crois-tu que le courage le plustenace puisse dans quelque entreprise désespérée, nous fairetrouver le salut ?

– Non, répondit Magnus d’une voix grave.Je parle à des soldats, ils sauront entendre la vérité. La main deDieu seule peut nous tirer d’ici. Faites donc le sacrifice de votrevie si vous voulez persévérer jusqu’au bout dans la résistance. Aumoment de la dernière heure, vous pourrez tous vous réunir encolonne serrée, abandonner les blessés à la clémence du vainqueuret vous jeter sur l’ennemi. C’est la chance suprême que le sort desbatailles réserve aux gens de cœur. Bien peu d’entre vousraconteront les épisodes de cette sanglante mêlée à leurs neveux.Mais en dehors de là, il n’y a rien.

– Vous l’entendez, messieurs !reprit M. de la Guerche ; la mort est partout, vouspouvez la conjurer.

– Mais vous ? s’écriaM. de Collonges.

– Oh ! M. de Chaufontaineet moi, dit Armand-Louis, qui saisit la main de Renaud, nous sommesliés par un serment que tout notre sang versé ne saurait racheter.Nous reviendrons avec Mlle de Souvigny etMlle de Pardaillan, ou nous ne reviendronspas.

– Alors, monsieur le comte, n’insistezplus. Votre sort sera le nôtre, dit M. de Collonges. Jecrois être l’interprète de tous mes compagnons d’armes en vousparlant ainsi. Quand nous sommes partis pour Drachenfeld, vous nenous avez rien dissimulé des dangers de la route. L’heure des vraispérils a sonné, nous les subirons tous.

– Oui, oui ! tous !s’écria-t-on de toutes parts.

– Ainsi, messieurs, ces propositions deJean de Werth, qui vous offre la liberté et la vie, vous n’envoulez pas ?

– Non ! non !

Armand-Louis se tourna vers Magnus :

– Va, et que l’envoyé de Jean de Werthsoit reconduit ici, dit-il.

Quand l’officier bavarois reparut, tous leshuguenots, pressés autour de M. de la Guerche, luiserraient les mains et l’embrassaient. Un enthousiasmechevaleresque enflammait leur visage.

– La délibération est close, monsieur,dit Armand-Louis ; je vous avais promis que notre réponse vousserait remise avant un quart d’heure, la voici : allez dire àJean de Werth que nous combattrons aussi longtemps qu’il y aura unegoutte de sang dans nos veines.

L’officier promena ses regards surl’assemblée.

– C’est une folie sublime, dit-il ;je vous admire. Si la Suède compte beaucoup de soldats tels quevous, elle ne sera jamais vaincue !

L’aspect des hommes qui l’entouraient luifaisait bien comprendre qu’il était inutile d’insister. Il selaissa bander les yeux par Magnus et ramener hors du village, où letrompette qui tenait le drapeau blanc l’attendait.

– Nous, messieurs, à nos postes !dit Armand-Louis, et que ceux qui se séparent s’embrassent ;peut-être ne se reverront-ils plus.

Tous les fronts se découvrirent, et cesvaillants soldats échangèrent une accolade silencieuse.

– À présent, nous sommes prêts !s’écria M. de Collonges, qui, pâle d’une émotiongénéreuse, tira le premier son épée.

Un moment après, la fusillade éclatait auxdeux extrémités du village.

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