Envers et contre tous

Chapitre 14LES ROUERIES D’UNE FILLE D’ÈVE

Laissonspour quelque temps M. de la Guerche etM. de Chaufontaine à la cour du roi Gustave-Adolphe, oùla guerre ne leur permettra pas des loisirs bien longs, etretournons de quelques pas en arrière auprès deMme d’Igomer, que nous avons perdue de vue depuisque l’audace de Magnus a tiré de ses mainsMlle de Souvigny etMlle de Pardaillan, au moment où, triomphante,elle les conduisait au couvent de Saint-Rupert.

On se souvient que Jean de Werth, pour obéirau désir exprimé par la baronne, s’était chargé de la mener enpersonne à Prague, où le feld-maréchal Wallenstein avait fixé sarésidence. L’échec qu’elle venait de subir dans le pavillon où elleavait passé une nuit ne changea pas sa résolution, et, dès lelendemain, elle partit pour la Bohême ; mais, escortée par lesgens du baron, elle laissa le général des troupes bavaroises devantMagdebourg. Elle était sûre de lui et voulait qu’un complice nonmoins ardent et non moins obstiné dans sa haine veillât autour dela ville où les deux cousines avaient si fatalement trouvé unrefuge.

Pour les desseins qui mûrissaient dans cettetête en fermentation, il fallait à Mme d’Igomer unappui tout-puissant. Si elle ne devait plus entrer dans ce palaisvers lequel elle dirigeait ses pas avec une impatience fiévreuse,vengée enfin et tout enorgueillie de son triomphe ; et si aucontraire, elle y apparaissait vaincue et déchirée par sa défaite,elle nourrissait l’espoir de tirer un parti meilleur de cetteinfortune.

Elle poursuivait alors un double but :perdre sa rivale d’abord ; puis, sevrée du seul amour qui eûtfait battre son cœur, montrer à Renaud, par l’éclat de latoute-puissance à laquelle prétendait son ambition, ce qu’elleétait et ce qu’elle avait voulu lui sacrifier.

« Alors il me connaîtra, pensait-elle, etalors peut-être il me regrettera ; je ne sais pas si je seraiheureuse, mais du moins il ne sera pas heureux nonplus !… »

Chemin faisant, elle arrangea son thème et seprépara à ce rôle de victime qu’elle voulait jouer.

L’homme que l’empereur Ferdinand avait crééduc de Friedland en récompense des services rendus à la Maison deHabsbourg, occupait alors à Prague une position dont l’éclat ne lecédait pas même à la grandeur souveraine de son maître. Il avaitune réputation militaire égale à celle du comte de Tilly, un fasteet des richesses qui l’emportaient sur tout ce qu’on avait vujusqu’alors. En disgrâce depuis quelque temps, il avait, dans laretraite qu’il s’était choisie au milieu de ses domaines, une Courqu’un roi puissant eût enviée. Autour de lui se pressait tout unpeuple d’officiers dévoués à sa fortune et que sa main prodigueentretenait magnifiquement ; il avait soixante pages etcinquante gardes attachés à sa maison.

Les plus grands seigneurs se faisaient unejoie d’être admis dans ce palais féerique auquel six vastesportiques conduisaient ; les gentilshommes des meilleuresmaisons ambitionnaient l’honneur de la servir. Ses trésorssuffisaient à tout, et, dans cette solitude royale sur laquellel’Allemagne avait les yeux, son indomptable ambition méditait denouvelles grandeurs.

Il n’était pas dans tout l’empire, des bordsde l’Elbe au Rhin, de la mer Baltique aux montagnes du Tyrol, unsoldat qui ne le connût, un chef d’armée qui ne le respectât ou nele craignît. Son nom était un drapeau ; à son appel, iln’était pas un homme sachant manier l’épée ou le mousquet qui nefût aise d’entreprendre sous ses ordres une nouvelle campagne, etne fût dès lors assuré de vaincre. Il avait le grand art derécompenser largement quiconque le servait. On l’avait vuimproviser en quelque sorte des armées, et, tout à coup, surgir àla tête de régiments nombreux d’une province dévastée où, la veilleencore, on ne rencontrait que des fuyards.

Il avait des chambellans et des majordomes,ses grands officiers et ses ambassadeurs comme l’empereur avait lessiens. On traitait avec lui comme avec une tête couronnée.Disgracié par l’effroi du maître, qui le redoutait, il n’était pasabattu ; un revers des armes impériales pouvait lui rendre latoute-puissance militaire. Or, la baronne d’Igomer avait assisté àtrop d’événements depuis un petit nombre d’années pour ne passavoir que la guerre a ses caprices. Elle ignorait d’où viendraitle coup de foudre qui ferait remonter Wallenstein au pinacle, maiselle avait la conviction qu’il éclaterait. Il fallait doncs’assurer de lui avant qu’il fût le maître.

La baronne n’avait pas oublié qu’autrefois, àVienne, et un soir de fête, le premier lieutenant de l’empereurl’avait regardée avec des yeux que ses familiers ne lui avaientjamais vus pour personne. Il lui avait parlé, et cette voix dure,qui faisait trembler tout le monde, s’était attendrie ; cevisage austère et jaune s’était coloré. Quelque chose avait battudans la poitrine du farouche général qu’il n’était pas accoutumé ày sentir. À cette époque, Mme d’Igomer, mariéedepuis peu de jours, était dans tout l’éclat de sonprintemps ; mais elle était femme déjà par l’esprit, et aucundétail de cette nuit ne lui avait échappé. Quel plus éclatanttriomphe pour sa jeune vanité ! Mais, ramenée par lesévénements vers ce souvenir d’un jour, quelle indignationn’éprouvait-elle pas contre elle-même, d’avoir cédé à l’amour quelui inspirait un pauvre gentilhomme, presque un aventurier, lorsqued’un signe elle eût pu voir tomber à ses pieds le maître del’Allemagne ! Désespérée et toute saignante encore desblessures qu’il avait faites à un cœur étonné de s’être donné,Mme d’Igomer voulut savoir si sa beauté rayonnanteexercerait encore sur Wallenstein le charme et la séduction quidevaient servir ses desseins nouveaux.

Dès son arrivée à Prague, son premier soin futde lui rendre visite.

Avec quel art ne sut-elle pas l’aborder !Comme elle s’inclina sur la main puissante que le duc lui tendait.Avec quelles inflexions de voix douces et suppliantes ne luiapprit-elle pas qu’elle était veuve, isolée, presque sansdéfense ! Au milieu de l’abandon qui l’entourait, désoléecomme une fauvette dont le nid vient d’être emporté par l’orage,elle s’était souvenue de l’illustre et tout-puissant Wallenstein,l’orgueil de l’Allemagne. Le guerrier terrible et magnanime luiavait parlé avec bonté autrefois, elle s’en était souvenue, et sonpremier élan l’avait poussée vers lui. De cruelles inimitiés lapoursuivaient ; elle avait laissé bien des rancunes à la courdu roi de Suède, où de tristes jours l’avaient enchaînée ;mais si sa présence pouvait susciter quelque danger contre l’hommeque tout l’empire admirait, elle était prête à fuir et à déroberles dernières années qui lui restaient à vivre dans l’ombre glacéed’un couvent.

Deux larmes tombaient de ses yeux et roulaientcomme des perles sur ses joues roses. Wallenstein la releva.

– Entrez, madame, dit-il, ce palais est àvous.

C’était un premier succès.Mme d’Igomer se réservait d’en obtenir d’autres.Bientôt elle sut intéresser le duc de Friedland à des malheursimaginaires qui lui donnaient l’occasion de verser des larmes dontsa beauté se parait ; la pitié se mêla au sentiment spontanéde séduction dont son hôte subissait l’empire, et un long temps nes’écoula pas sans que chambellans et majordomes, écuyers et pages,tout un peuple de gentilshommes et de capitaines n’apprît à compteravec le nouvel astre qui brillait sur Prague.

Parmi toutes les personnes qui composaientl’entourage de Wallenstein, une seule était vraiment àredouter : c’était l’Italien Seni, qui consultait les astresau profit du feld-maréchal ; mais Thécla perça du premier coupd’œil l’homme à qui elle avait affaire. Elle manda un soirl’astrologue chez elle, et, lui montrant sur un meuble un écrin oùresplendissait un joyau de prix suspendu à une chaîned’or :

– Voilà un tribut que mon sexe paye àvotre science, dit-elle ? j’ose espérer qu’elle ne me sera pasdéfavorable et que les planètes soumises à vos lois m’accorderontune part de l’amitié que je vous demande.

L’astrologue ne pouvait pas se méprendre à lasignification du sourire qui accompagnait ces paroles et du regardque la baronne lui jeta.

– Qu’avez-vous à craindre des planètesqui me confient leurs secrets ? répondit Seni. Vous ne brillezpas moins que Vénus, et les étoiles sont vos sœurs.

– Voilà ce qu’il faudra dire quelquefoisà S. A. le duc de Friedland ; je ne manquerai pas de luijurer que vous ne vous trompez jamais.

Le soir même, la conjonction de Mars et deJupiter démontrait au feld-maréchal Wallenstein que l’arrivée deMme d’Igomer à Prague était d’un bon augure ;les astres s’en réjouissaient.

Les intelligences queMme d’Igomer avait conservées dans l’armée du comtede Tilly lui firent connaître, avant tout le monde, la prise deMagdebourg. Ce n’était rien pour elle ; mais ce qui luiimportait, c’était que Mlle de Pardaillan,qu’elle savait dans la ville assiégée, n’eût point réussi às’évader. Un courrier expédié par le baron Jean de Werth le soirmême de la catastrophe la rassura. Il fallait à présent arracher lacaptive aux mains du comte de Pappenheim, et la faire diriger surPrague, où elle-même aurait toute liberté d’en disposer à songré ; mais, pour arriver à un tel résultat, il fallait yintéresser M. de Pappenheim lui-même.

Le plan de Mme d’Igomer futpromptement conçu. Elle se présenta un matin chez le duc deFriedland, le visage baigné de larmes.

– Quelle horrible nouvelle n’ai-je pasapprise ! dit-elle en tombant à ses genoux ; je ne melèverai de cette place que lorsque vous aurez juré de m’accorderles grâces que je vous demande.

– Qu’est-ce ? Ne commandez-vous pasici ? dit Wallenstein, qui la fit asseoir près de lui.

– Magdebourg est pris !

– Eh bien, n’était-ce pas une villerebelle ? Les armes de l’empereur l’ont châtiée.

– Ah ! vous ne savez pas ! Deuxpersonnes de qualité, deux jeunes filles qui me sont alliées parles liens du sang, sont tombées au pouvoir du comte de Pappenheim.Le comte de Tilly, qui connaît leur nom, leur fortune, les réclame.Vers quelle forteresse va-t-on les diriger ? À quel traitementindigne seront-elles exposées ? Malgré les souffrances quej’ai éprouvées en Suède, je ne peux pas oublier que j’ai dormi sousleur toit, auprès d’elles.

– Généreuse Thécla, toujours bonne etdévouée !

– Obtenez du comte de Tilly queMlle de Pardaillan etMlle de Souvigny vous soient remises, quevotre palais leur serve de prison. Si c’est de l’or qu’il veut,l’or n’a jamais rien coûté à vos mains magnanimes. Ici, jeveillerai sur elles. Bien plus, je sauverai leurs âmes : siDieu le veut, je les arracherai aux ténèbres de l’hérésie ; etj’acquitterai ainsi la dette de mon cœur.

– Que désirez-vous que je fasse,Thécla ? Faut-il que j’envoie un de mes officiers au comte deTilly ? Il me connaît, je réponds de son consentement.

– Et qui résisterait aux désirs expriméspar le prince de Wallenstein ? Mais faites plus encore :permettez-moi de partir moi-même. J’irai au-devant deM. de Pappenheim, et, quand les deux pauvres captives meverront, elles se croiront sauvées. Ah ! puissé-je alorsramener ces âmes égarées dans le giron de notre sainteÉglise !

– Mais, dit Wallenstein, ce voyage quevous allez entreprendre ne vous retiendra-t-il pas longtemps loinde moi ? Vous allez voir face à face un homme tout chargé deslauriers de la victoire ; et que suis-je, moi, sinon un soldatqu’on oublie ?

– Vous êtes le duc de Friedland, celuiqui a toujours vaincu, celui que les astres protègent. Wallensteina daigné abaisser ses regards jusqu’à moi, et Wallenstein pense queje pourrai me laisser éblouir par quelqu’un qui ne serait paslui ! Ah ! que n’est-il pauvre, abandonné, malheureux,trahi des hommes comme il l’est de son empereur, et il connaîtraitjusqu’où va mon dévouement !

Le duc attira la tête de Thécla sur soncœur.

« Ah ! pensa-t-elle, c’étaitautrefois Renaud qui me pressait ainsi dans sesbras ! »

Mme d’Igomer partit. Elleavait tout ensemble une lettre signée du nom redoutable deWallenstein et une escorte d’honneur.

La lettre, qui était pour le comte de Tilly,faisait connaître au vainqueur de Magdebourg le désir qu’avait leduc de Friedland d’appeler à PragueMlle de Pardaillan etMlle de Souvigny, parentes deMme d’Igomer, grande maîtresse de son palais. Degrands présents accompagnaient cette lettre, queMme d’Igomer ne remit pas sans toucher un mot de larançon, dont une bonne part reviendrait à celui qui avait le pluslarge droit au butin. Le comte de Tilly céda, et il ne fut plusquestion que de rejoindre M. de Pappenheim, qui avaitpris les devants.

– Il s’obstine à vouloir escorter lesdeux prisonnières en personne, dit le vieux général ; et ilest d’autant plus important, que, vous le voyez, sur la nouvelle dela prise de Magdebourg, l’empereur a nommé M. de Pappenheim aucommandement d’un corps de troupe qui doit agir dans la Saxe. Neperdez pas une minute.

Mme d’Igomer, munie denouvelles instructions, se concerta avec Jean de Werth.

– Je connais celui qu’on nomme le Soldat,dit le baron, il est homme à s’entêter dans sa folle résolution. Jevous demande un peu d’où lui viennent ces fumées dechevalerie ! Les deux captives sont perdues pour nous si vousne trouvez le défaut de la cuirasse.

– Il n’y a pas de cuirasse où il n’y enait un ! Fiez-vous donc à moi pour découvrir le sien. QueMlle de Souvigny arrive seulement à Prague, oùje règne, et je fais serment qu’elle sera à vous.

– Ma seule crainte est queM. de Pappenheim ne consente pas à la quitter, pas plusque Mlle de Pardaillan.

– La main sur la conscience, croyez-vousqu’il aime encore Adrienne ?

– Non. Le temps et l’absence ont dissipéce rêve d’un jour ; mais il sait que je l’aime, et il a promisà M. de la Guerche de veiller sur elle.

– Question d’honneur, alors ! Je laredoute moins qu’une question d’amour. Que j’allume seulement undésir dans cette âme passionnée, et j’en dirigerai la flamme ducôté où il me plaira de la tourner !

Jean de Werth sourit.

– Vous avez le don des miracles,dit-il.

– Non, mais je hais ! À présent,mettez-vous en mesure de me faire rencontrer le plus tôt possibleM. le comte de Pappenheim.

Grâce à une extrême diligence, Jean de Werthet Mme d’Igomer parvinrent à atteindreM. de Pappenheim dès la fin du second jour.

Une heure après, Thécla se faisait annoncerchez le général.

– Ah ! un commandement ! dit-ilen lisant les dépêches que Mlle d’Igomer venait delui remettre.

– L’empereur compte sur votredévouement.

– Il a le droit d’y compter, puisque leroi de Suède est en Allemagne. Mais vous ignorez peut-être ce queje fais ici ?

– Je n’ignore rien. Lisez.

Et, d’une main hardie, Thécla tendit au comteles lettres de Wallenstein et du comte de Tilly.

– À vousMlle de Pardaillan etMlle de Souvigny ! reprit-il après qu’ileut jeté les yeux sur les deux lettres. Et ma parole ?

– Et votre intérêt ?

M. de Pappenheim etMme d’Igomer se regardèrent bien en face, les yeuxdans les yeux.

– Pas de grands mots, poursuivit Thécla,disons les choses comme elles sont. Il y a deux jeunes filles,l’une que vous avez aimée un jour…

– Ah ! vous savez ?

– Je me mêle de diplomatie, et undiplomate ne doit rien ignorer. Qu’elle aime M. de laGuerche, alors que Jean de Werth l’aime de son côté, c’est uneaffaire à régler entre Jean de Werth et M. de la Guerche.Vous n’avez à tirer l’épée ni pour l’un ni pour l’autre. Mais, àcôté de Mlle de Souvigny il y aMlle de Pardaillan, et c’est une chose àlaquelle vous n’avez pas assez pris garde.

– Que voulez-vous dire ?

– Je veux dire queMlle de Pardaillan, comtesse de Mummelsbergpar sa mère, est par conséquent presque Allemande, et que son comtérelève de la couronne d’Autriche, dont vous êtes l’un des plushéroïques serviteurs. Fille unique et unique héritière deM. le marquis de Pardaillan, un homme pour qui le Pactolecoule en Suède, elle est digne de flatter l’orgueil et de mériterl’amour des plus grands seigneurs de l’Allemagne. On sait des yeuxqui l’admirent et ne regardent qu’elle lorsque les deux cousinessont ensemble.

– Elle est charmante, en effet, murmuraM. de Pappenheim.

Thécla se rapprocha de lui.

– Croyez-vous que, prisonnière del’empereur Ferdinand, le maître de l’empire hésiterait à la donnerà celui qui l’a si vaillamment servi ? reprit-elle. Que dedomaines alors ajoutés aux domaines de Pappenheim ! Il estvrai que M. le marquis de Chaufontaine l’adore et queM. de Chaufontaine, m’a-t-on dit, a rencontréM. de Pappenheim à la Grande-Fortelle.

M. de Pappenheim se mordit leslèvres.

– Et cela crée des liens que rien ne peutdétruire, poursuivit Mme d’Igomer. Ne vous a-t-ilpas bravé ? Ne vous a-t-il pas fait subir le premier échecqu’ait éprouvé celui qu’on devait plus tard surnommer leSoldat ? Voilà ce qu’on peut appeler des titres ! Quandvous pensiez encore à Mlle de Souvigny,n’ai-je pas ouï dire que, dans un bourg, près de Malines,M. de Chaufontaine a bravement tué un homme à vous, unefine lame cependant ! Eh ! eh !M. de Chaufontaine a droit au respect du comte dePappenheim. Il vous a frappé ; courbez-vous !

– Madame ! criaM. de Pappenheim, pâle de fureur.

Mme d’Igomer ne baissa pas lesyeux.

La croix rouge venait d’apparaître sur lefront livide du grand maréchal ; mais, reculant d’un pas commes’il eût eu peur de son propre emportement :

– Madame, reprit-il, voilà des parolesqu’un homme ne m’aurait pas dites impunément. Vous êtes femme… jeles oublierai.

– Non, ne les oubliez pas ! repritMme d’Igomer avec force.

– Mais alors que voulez-vous que jefasse ?

– Ce que je ferais si j’avais l’honneurde me nommer Godefroy-Henri de Pappenheim.

– Ah ! parlez, parlezdonc !

– Un homme vous a offensé, un étranger,un ennemi de votre pays et de votre empereur ! Cet homme aimeune femme que le sort de la guerre a fait tomber entre vos mains,et vous me le demandez ! Trêve de vaines paroles. Êtes-vous deces écoliers que des scrupules enfantins conduisent, et voulez-vousgarder pour ce Français qui vous raille, et cela seulement parcequ’il est vaincu, l’un des plus beaux partis que l’Allemagne puisseoffrir à ses glorieux enfants ? Elle est là,Mlle de Pardaillan, et vous hésitez ?M’objecterez-vous la parole donnée à M. de laGuerche ? L’ordre du comte de Tilly est là qui vous dégage,et, d’ailleurs, que devez-vous àM. de Chaufontaine ? Est-ce de la reconnaissancepour ce récit que je lui ai entendu raconter vingt fois, de lafigure singulière que vous faisiez à la Grande-Fortelle, lorsquecinquante escopettes vous menaçaient de toutes parts ?

– Ah ! M. de Chaufontainevous a raconté…

M. de Pappenheim ne putachever ; le sang qui lui montait à la gorge l’étouffait.

– Que ne vous faites-vous le page deMlle de Pardaillan, pour la conduire à cetheureux rival ? Vous frémissez ? Le noble sang desPappenheim se réveillerait-il enfin ? La fortune a mis unefille de race entre vos mains, comme une colombe dans les serresd’un milan ; ne la rendez plus. Et ce sera une bonne œuvre,une pieuse action. Songez-y, la comtesse de Mummelsberg, qui adonné le jour à Mlle de Pardaillan, étaitcatholique ; vous ramènerez aux pieds des autels qu’elleoutrage la victime de l’hérésie ; une fortune pour vous, uneâme pour le Ciel.

– Ah ! je cède ! s’écriaM. de Pappenheim.

– Ainsi,Mlle de Souvigny etMlle de Pardaillan me suivront àPrague ?

– À Prague, à Vienne, où vousvoudrez !

– Vous savez quel homme c’est que le ducde Friedland, nul n’est plus fidèle à ses amis. Je lui dirai queson désir a été une loi pour vous, et peut-être un jour lereverrez-vous à la tête des armées impériales. Or, monsieur lecomte, veuillez voir en moi l’ambassadrice du feld-maréchalWallenstein.

– Ce soir, j’aurai pris le chemin de laSaxe, tandis que vous suivrez celui de la Bohême. Faut-il annonceraux deux cousines que vous êtes ici ?

– C’est inutile. Dites-leur seulement quevous n’êtes plus chargé de les accompagner. Le reste meregarde.

– Ainsi, je peux compter sur vos bonsoffices auprès de celle qui peut être appelée la comtesse deMummelsberg ?

– Si elle n’est pas à vous, elle ne serajamais à personne. Cependant, il y aM. de Chaufontaine…

– Dieu me le fera rencontrer, et alors jeréponds de tout.

– Au revoir donc, monsieur le comte.

– Au revoir, madame la baronne.

Un moment après, Mme d’Igomerétait auprès de Jean de Werth, auquel elle faisait part du résultatde son entrevue avec M. de Pappenheim.

– Quand je vous le disais !s’écria-t-elle, j’ai trouvé le défaut de la cuirasse.

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