Envers et contre tous

Chapitre 4LA TORCHE ET L’ÉPÉE

Au cripoussé par Magnus, M. de Falkenberg, qui veillait entouréde quelques officiers, sauta dehors. De nouvelles décharges demousqueterie retentissaient coup sur coup dans la ville neuve. Lebruit du tocsin s’y mêlait déjà.

– Aux armes ! répéta le Suédois.

Et, rassemblant à la hâte une poignée desoldats et de volontaires qu’il avait sous la main, Thierry deFalkenberg se précipita à la rencontre de l’ennemi.

Comme il touchait à l’extrémité de la place,il rencontra M. de la Guerche et Renaud qui battaient enretraite, excitant à la résistance une troupe de bourgeois surpriset repoussés par l’ennemi.

La vue des uniformes suédois donna du cœur auxvaincus. Ils s’arrêtèrent.

– En avant ! criaM. de Falkenberg, qui se jeta le premier sur lesImpériaux.

– En avant ! répétèrent Armand-Louiset Renaud.

Le bourgmestre éperdu avait suiviM. de Falkenberg. Il aperçut Magnus qui brandissaitBaliverne.

– Ah ! que ne vous ai-je cru !dit-il.

– Le temps de pleurer n’est plus ;ferme à présent, et jouons de l’épée, dit le reître.

– Et plus tard nous jouerons de l’éperon,si faire se peut, reprit Carquefou.

Ils avaient devant eux les compagnieswallonnes, que le comte de Pappenheim avait menées à l’assaut, etqui du premier élan venaient de planter le drapeau aux couleursimpériales sur les remparts de la ville neuve, tandis que Jean deWerth, à la tête des régiments bavarois, fondait sur le côté opposéde Magdebourg.

L’attaque avait été conduite avec autant depromptitude que d’habileté ; après une retraite simulée,c’était un retour rapide et foudroyant. La tactique prévue parMagnus était du vieux comte de Tilly : l’exécution avait étéconfiée à ses plus hardis lieutenants, mais à la tête desmeilleures troupes.

Presque sans coup férir, ils venaient depénétrer au pas de course jusqu’au cœur même de Magdebourg, maisils avaient rencontré M. de Falkenberg et lesSuédois.

Électrisés par leur exemple et celui deM. de la Guerche et de Renaud, qui retournaient à lacharge, les quelques soldats et les volontaires qu’ils avaientréunis rompirent les premiers rangs des compagnies wallonnes et lesculbutèrent jusqu’aux remparts.

Mais de nouveaux cris s’élevèrent de l’autrecôté de la ville ; le bruit sinistre de la fusillade s’y mêlaplus rapide et plus retentissant de minute en minute, et un gros defugitifs se jeta parmi les Suédois, remplissant l’air de clameursd’épouvante.

Un homme qui avait la poitrine traversée d’uncoup de feu tomba aux pieds de M. de Falkenberg.

– Jean de Werth ! cria-t-il, et ilexpira.

Armand-Louis et Renaud se regardèrent.

M. de Pappenheim en face ;derrière eux Jean de Werth. Leurs deux implacables ennemis réunispour les vaincre. Ils pensèrent àMlle de Souvigny et àMlle de Pardaillan.

– Ce n’est plus l’heure de nous séparer,dit M. de la Guerche à Renaud.

Puis, s’adressant àM. de Falkenberg :

– À vous, monsieur, les Wallons du comtede Pappenheim, reprit-il ; à nous Jean de Werth et sesBavarois.

Et, comme deux lions qui chargent des ennemistrop nombreux, ils s’élancèrent à la rencontre de ces nouveauxassaillants.

En ce moment l’aspect de Magdebourg étaiteffrayant à voir.

Les femmes et les enfants arrachés de leursommeil couraient çà et là dans les rues et les places publiques,au milieu desquelles les bourgeois, privés de leurs chefs,cherchaient à se réunir ; la plupart se réfugiaient dans leséglises, dont les voûtes retentissaient de cris ; les clochessonnaient à toute volée, appelant les citoyens à la défensecommune ; la mousqueterie éclatait de tous côtés à lafois ; des volées de balles, labourant les carrefours,jetaient par terre des centaines de malheureux qui augmentaient ledésordre par leurs gémissements. Déjà les lueurs sinistres del’incendie éclairaient plusieurs quartiers de Magdebourg ; delongues colonnes de fumée montaient vers le ciel, et les flammesgagnaient de proche en proche. Des hordes nouvelles et toujoursplus nombreuses faisaient irruption dans la ville ;repoussées, elles revenaient à la charge avec une impétuosité plusfurieuse, et leur masse rendait vaine la résistance du désespoir.Ce que la hache ne renversait pas, la torche le détruisait. Lescanons des remparts, tournés contre la ville, la foudroyaient. Despans de maisons s’écroulaient dans des tourbillons d’étincelles.Tout ce qui passait à la portée des sabres et des mousquets tombaitmort. L’horreur et l’épouvante furent au comble lorsque les portes,forcées par les boulets, livrèrent passage à la cavalerie croate.Ce fut comme un torrent qui brise tout. Au bout d’une heure leschevaux piaffaient dans le sang.

Cependant M. de la Guerche et Renaudtenaient tête à Jean de Werth ; Magnus et Carquefou étaient aupremier rang. Les Bavarois trouvaient devant eux un mur d’airain.De temps à autre Magnus regardait derrière lui. Cela étonnaitCarquefou. Une bande de soldats harcelés, mais se battant toujours,parut à l’angle de la rue. Magnus reconnut l’uniforme suédois.M. de Falkenberg n’était plus là. Magnus renversa unBavarois qui s’obstinait à le charger, et s’élança vers lesSuédois.

– M. de Falkenberg ?demanda-t-il à un jeune officier tout sanglant.

– Une balle autrichienne l’a tué,répondit l’officier.

Des cris sauvages retentirent, les Wallons sejetaient en avant. Magnus rejoignit M. de la Guerche.

– La ville est perdue, dit-il.

– Eh ! répondit M. de laGuerche, un effort à présent, et sauvons celles qui nous sontconfiées.

Tous quatre, M. de la Guerche,Renaud, Magnus et Carquefou se ruèrent en avant, et, fondant surles Bavarois, en rompirent les rangs comme un bélier rompt un mur.L’espace était vide devant eux.

– L’honneur est sauf ! Augalop ! dit Armand-Louis.

Et tous les quatre disparurent par une ruelle.Peu de minutes après, groupés autour deMlle de Souvigny et deMlle de Pardaillan, ils cherchaient une issuedans la ville enflammée.

En ce moment ceux qui restaient debout desmalheureux défenseurs de Magdebourg ne résistaient plus que pourvendre chèrement leur vie. Chaque soldat tombait à son tour. LesCroates, répandus partout, se jetaient à cheval dans les églises etmassacraient impitoyablement des troupeaux de femmes agenouillées.Leurs sabres ne se lassaient pas de frapper. Le pillage venait enaide au carnage. Une foule épouvantée, chassée hors des maisons,courait au hasard dans la ville, poursuivie par des bandes quel’ivresse du triomphe et du sang rendait implacables. On tuait pourtuer ; on brûlait pour détruire. L’incendie promenait sesravages de rue en rue.

Au milieu de cette fournaise qui avait étéMagdebourg, Armand-Louis et ses compagnons essayaient de s’ouvrirun passage jusqu’aux portes. Mais que d’obstacles devant eux !Là, une rue était obstruée par la chute d’un clocher d’où sortaitun tourbillon de fumée noire ; plus loin, une compagnie deWallons achevait d’incendier un quartier, et repoussait lesfugitifs dans les flammes à coups de piques. Cependant les quatresoldats avançaient toujours, protégés en quelque sorte par letumulte et la terreur de cette œuvre de destruction. Si quelquescavaliers croates ou hongrois les regardaient de trop près, l’épéede Renaud ou de Magnus les avait bientôt jetés par terre. Adrienneet Diane toutes frissonnantes fermaient les yeux, tandis que leurschevaux bondissaient par-dessus les cadavres. Quand ilsapercevaient au loin une troupe nombreuse d’Impériaux, les fugitifsse cachaient derrière un mur fumant ou sous la voûte effondrée etchaude encore d’une chapelle ; la troupe éloignée, ilsreprenaient leur marche.

Une compagnie de cavaliers passa tout à coupdevant eux, tandis qu’ils tournaient l’angle d’un bâtiment qu’unreste d’incendie dévorait. Tous suivaient au galop un homme vêtud’un pourpoint de satin vert qui paraissait être leur chef ;une plume écarlate flottait sur son feutre gris et de sa pointebalayait l’épaule du cavalier ; profil maigre, barbe rouge,regard de loup.

– Le comte de Tilly ! murmuraMagnus.

Carquefou se signa, puis, soulevant unmousquet accroché à l’arçon de sa selle, et qu’il réservait pourune circonstance suprême :

– S’il se retourne, il a vu son dernierjour, dit-il.

L’escadron passa. Un homme galopait à côté ducomte de Tilly ; un grand manteau de drap vert enveloppait sataille.

– Si ce n’est pas le duc deSaxe-Lauenbourg, c’est son fantôme, dit Armand-Louis.

Carquefou reposa le mousquet sur le pommeau dela selle.

– Voilà, dit-il, une balle qui perdl’occasion de se loger dans le corps d’un illustrecoquin !

Ils n’étaient plus loin des remparts,lorsqu’une troupe de bourgeois tout sanglants passa près d’euxpoursuivie par un régiment d’Impériaux.

– Ah ! mieux vaut mourir ici que defuir encore ! dit l’un des bourgeois.

Et tous se rangèrent dans le fond d’unjardin.

Armand-Louis jeta les yeux autour delui : on ne voyait partout que piques et mousquets, visagesmenaçants et sabres ensanglantés. Le torrent des bourgeois lesavait entraînés dans le jardin, qu’une vieille muraille protégeaitde trois côtés.

Tandis que M. de la Guerchecherchait une brèche, une troupe de soldats se jeta dans le jardinsur les pas des bourgeois.

– Mort aux hérétiques ! mort auxrebelles ! cria un officier wallon.

Une volée de balles partit et décima les rangsmutilés des bourgeois.

Le cheval d’Adrienne se cabra et tomba sur lesjarrets.

Armand-Louis l’enleva de selle et l’assit encroupe derrière lui.

– Fuyez ! dit-il à Renaud, je voussuivrai si je peux.

– Voilà un conseil dont tu aurais à merendre raison sur-le-champ, si mille scélérats ne nousenveloppaient de toutes parts, réponditM. de Chaufontaine.

Déjà Mlle de Pardaillans’était rapprochée de Mlle de Souvigny et luiavait saisi la main.

– Ton sort sera le mien ! luidit-elle.

On pouvait encore franchir le mur du jardin etgagner une porte ouverte sur le rempart, mais le cheval deM. de la Guerche, fatigué par le double poids qu’ilportait et blessé en deux endroits, était incapable d’un teleffort.

Tout à coup Magnus mit pied à terre, etmontrant l’une des extrémités de la rue du bout de sonépée :

– Jean de Werth ! dit-il.

– Et le capitaine Jacobus ! repritCarquefou, qui venait de l’imiter.

Et tous deux présentaient la bride de leurschevaux à M. de la Guerche.

– Non ! non ! pas à ceprix-là ! s’écria-t-il.

Mais déjà Jean de Werth les avait reconnus, etles montrant du doigt au capitaine Jacobus :

– Cette fois, ils sont à moi !s’écria-t-il.

Et, rassemblant autour de lui ses Bavarois, ilse jeta dans le jardin ; au même instant une nouvelle troupede cavaliers se montra à l’extrémité opposée de la rue ; leurscuirasses, tachées de sang, brillaient au soleil ; ilsmarchaient en bon ordre, l’épée haute, suivant d’un pas égal lechef qui s’avançait à leur tête.

– Ah ! le comte de Pappenheim !s’écria Armand-Louis, qui l’aperçut.

– Un tigre et un lion ! repritCarquefou en regardant tour à tour le capitaine bavarois et legrand maréchal de l’empire.

– Suivez-moi tous ! repritM. de la Guerche d’une voix haute.

Et sortant du jardin, malgré les Croates,malgré les Wallons, frappant et renversant tout ce qui s’opposait àson passage, il s’ouvrit un chemin sanglant jusqu’aux cuirassiersde Pappenheim, étonnés que quatre épées pussent faire tant debesogne.

– Monsieur le comte, dit alorsArmand-Louis à son terrible rival, voici deux femmes que je confieà votre loyauté. Si vous êtes vraiment celui qu’on a surnommé leSoldat, sauvez-les. Quant à nous, M. de Chaufontaine etmoi, nous sommes vos prisonniers : voici mon épée.

– Et voici la mienne, dit Renaud.

Jean de Werth venait de passer sur le ventredes bourgeois retranchés dans l’angle du jardin. Prenant alors sacourse, il arriva jusqu’auprès du groupe formé parMlle de Souvigny etMlle de Pardaillan.

– Enfin ! dit-il.

Et déjà sa main levée effleurait le bras deMlle de Souvigny, comme la serre d’un vautourl’aile tremblante d’une colombe.

Mais M. de Pappenheim, plus promptque la foudre, poussa son cheval entre elle et le Bavarois.

– Monsieur le baron, dit-il d’une voiximpérieuse, vous oubliez que Mlle de Souvignyest sous ma garde. Or, qui la touche me touche !

Les regards des deux capitaines se croisèrentcomme deux lames d’épée.

Mais M. de Pappenheim était entouréde ses cuirassiers, qui lui étaient dévoués. Jean de Werth compritqu’il ne serait pas le plus fort ; il abaissa la pointe de sonsabre.

– Mlle de Souvignyprisonnière d’un général de l’empereur Ferdinand !dit-il ; je ne vous la dispute pas. Sa rançon entrera dans letrésor de Sa Majesté Apostolique et Romaine, comme y entrera cellede Mlle de Pardaillan.

S’inclinant alors vers Diane :

– C’est une capture dont le chef del’armée impériale, M. le comte de Tilly, qui connaîtM. le marquis de Pardaillan, votre père, appréciera tout leprix, ajouta-t-il.

Et Jean de Werth se retira lentement.

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