Envers et contre tous

Chapitre 33LES MORTS VONT VITE

Comme ilrevenait sur ses pas lentement, avec les dragons groupés autour deMM. de Saint-Paer et de Collonges, Armand-Louis rencontraRenaud, qui, flanqué de Carquefou, galopait à côté d’un basofficier revêtu de l’uniforme de la cavalerie croate. On fit halteun instant.

– Cet homme m’a promis de me conduire aulogis de M. de Pappenheim, dit le marquis ; s’iltient sa promesse, il aura cent pistoles ; s’il y manque, laballe de ce pistolet lui cassera la tête.

– À toi le grand maréchal de l’empire, àmoi le capitaine Jacobus ! répondit M. de laGuerche.

Les deux frères d’armes échangèrent unevigoureuse poignée de main ; on lisait sur leur visage lamarque d’une résolution implacable.

M. de Collonges intervint.

– Mon cheval est frais, dit-il, je l’aiemprunté à un officier des gardes de Wallenstein à qui je l’ai payéd’un coup d’épée… je vais donc m’attacher à la fortune deM. de Chaufontaine ; M. de Saint-Paerrestera avec M. de la Guerche… Ainsi chacun de nous aurasa part dans l’œuvre commune.

Les dragons se divisèrent en deux bandes, lesmieux montés se rangeant autour de M. de Collonges.

– Adieu, Baliverne, dit Carquefou àMagnus ; Frissonnante me paraît en danger de mort, mais elle aaussi une petite rancune à payer… Si chemin faisant nous expironsde compagnie, pardonne-nous en souvenir des émotions qui ne nousont pas été ménagées.

Bientôt après, la troupe qui suivait Renauds’effaça dans l’éloignement.

Lorsque M. de la Guerche reparut surle champ de bataille, le jour était fini. On ne voyait plus çà etlà, au milieu des clartés douteuses du crépuscule, que quelquesblessés qui se traînaient lentement pour gagner les ambulances.

Dix mille morts couvraient la plaine. Unsilence funèbre enveloppait cette foule immobile, tout à l’heureagitée par le vent de toutes les passions violentes. Au milieu desombres qui allaient s’épaississant de minute en minute,Armand-Louis, M. de Saint-Paer et Magnus cherchaient lecorps du roi.

Comme ils erraient silencieusement au milieudes rangs confondus des Impériaux et des Suédois, il leur semblaqu’une forme noire pareille aux fantômes allait et venait dans lanuit.

– Serait-ce déjà le capitaineJacobus ? murmura Magnus.

Armand-Louis s’approcha. Une femme alors,levant son voile, le regarda.

– Ne me reconnaissez-vous pas ?dit-elle.

– Marguerite !

– Oui, Marguerite, qui pleure et ne seconsolera jamais ! Partout où le roi est allé, je suisallée ; à Leipzig, au passage du Lech, à Nuremberg ! Ilétait ce matin à Lutzen, j’y étais aussi. Il combattait, et jepriais. Dieu n’a pas voulu que l’Allemagne connût le héros qui l’asauvée de l’esclavage ; mais si son âme est là-haut, il fautdu moins que sa dépouille mortelle soit rendue à la Suède.

– Voilà une heure que je cherche celuiqui fut Gustave-Adolphe. Hélas ! qui sait ce qu’il estdevenu ?

– Suivez-moi, et si vous ne le trouvezpas, moi je le trouverai.

Marguerite poursuivit sa marche d’un pasferme, passant au milieu des morts renversés les uns sur lesautres. Son visage avait l’aspect du marbre.

« Ah ! que je l’ai vue heureuse etbelle ! pensait Armand-Louis. »

La fille d’Abraham Cabeliau arriva ainsiauprès d’un amas de cadavres groupés dans toutes les attitudes dela mort. La terre était toute imbibée de sang et couverte de débrisd’armes.

Ce n’était que mousquetaires et cuirassiersentassés pêle-mêle, tous criblés de blessures, mutilés, éventrés,la tête fendue, le visage encore empreint de furie.

Marguerite chercha dans cet amoncellement decorps méconnaissables, çà et là labourés par les fers de millechevaux.

Tout à coup, elle tomba à genoux, et,soulevant dans ses bras une tête froide voilée des ombres de lamort :

– Le voilà ! dit-elle.

Il y avait tant de larmes et de douleur dansce seul cri, que Magnus détourna la tête et se mit à pleurer.

Mais alors Marguerite se redressant et jetantderrière sa tête le long voile qui lui faisait comme un linceul,les yeux noyés de larmes, le visage en feu :

– Et celui qui a tué ce héros, il vitpeut-être ! s’écria-t-elle. Dieu du ciel, où est Tajustice ?

M. de la Guerche lui saisit lamain :

– Oui, madame, cet homme vit,dit-il ; mais par l’âme de celui qui ne m’entend plus, je vousjure que Gustave-Adolphe sera vengé !

Magnus, passant rapidement la main sur sesyeux :

– À l’œuvre donc ! dit-il. À présentque nous savons où est le corps du roi, laissons-le pour une heureà cette place. Vous, madame, allez prier sous l’ombre de ces arbresdéchirés par la mitraille. Vous êtes une femme, on peut vous voiret vous entendre sans concevoir aucun soupçon. Combien de veuves etde mères qui pleureront ce soir !… Vous, monsieur deSaint-Paer, mettez-vous en embuscade, là-bas, derrière ce pan demur, qui vous permet de tout observer sans être remarqué.

– Que prétends-tu faire ? ditArmand-Louis.

– Nous sommes en chasse ; tendons lepiège où le tigre doit être pris.

– Ah ! je comprends. Mais s’il nevient pas ?

– S’il ne vient pas ? Savez-vous uncoin de l’Allemagne que la pointe de Baliverne ne puisse pasfouiller ? Mais, rassurez-vous… le tigre a flairé l’odeur dusang ; il voudra voir si sa victime est morte.

– Bien, Magnus, bien ! Moi, je vaisattendre là, à l’abri de ce bouquet de sapins, et vingt dragonsferont un cercle dans la plaine pour qu’il ne puisse approcher sansêtre aperçu, et tenter de fuir sans être pris.

– Pas un mot surtout, pas unmouvement ; il y a partout des quartiers de rochers, destroncs d’arbres rompus, des chaumières en ruine, des remparts decadavres… que ce soient autant de retraites où vous restiezensevelis ; mais, quand vous me verrez debout, l’épée aupoing, criant : « Gustave-Aldolphe ! » alorslevez-vous tous !

– Et alors à moi de le tuer !s’écria M. de la Guerche.

Les dragons s’éloignèrent.

Marguerite s’agenouilla sur un tertre, et toutbruit mourut dans la plaine.

Magnus, resté seul, se pencha parmi les mortset choisit une casaque aux couleurs impériales, qu’ilendossa ; le sang et la poudre dont il macula son visage luifirent un masque ; il se coiffa d’un casque bosselé, et,méconnaissable à tous les yeux, le vieux partisan gagna l’extrêmelimite du champ de bataille.

Quelques gémissements s’élevaient de la plaineet indiquaient seuls qu’un reste de vie s’y débattait.

Nous allons abandonner pour un instantM. de la Guerche et Magnus, et rejoindreM. de Chaufontaine, lancé avec M. de Collongesà la poursuite du grand maréchal de l’empire. Il lui fallait cethomme, mort ou captif.

Le Croate, dont il surveillait les mouvements,galopait dans la direction de Leipzig. Çà et là, mais à de raresintervalles, on apercevait quelques groupes de soldats débandés.Ceux-là jetaient leurs armes à la vue des dragons suédois etprenaient la fuite ; d’autres, épouvantés, se mettaient àgenoux et demandaient grâce ; un certain nombre, infidèles audrapeau vaincu, et privés de leurs chefs, se ralliaient à l’escortedu marquis et criaient :

– Vive Gustave-Adolphe !

Une pauvre maison, dont les vitres à demirompues brillaient dans la nuit, se montra sur l’un des côtés de laroute. Le Croate étendit la main.

– C’est là ! dit-il.

Des ombres passaient devant lesfenêtres ; un groupe de cuirassiers sanglants, mutilés, maisl’épée au poing, veillaient autour de la maison. À l’aspect deRenaud, ils se rangèrent devant la porte.

– Bas les armes ! dit Renaud ;vous êtes dix et nous sommes trente !

Une voix mâle se fit entendre dans l’intérieurde la chaumière ; M. de Chaufontaine reconnut lavoix de M. de Pappenheim.

– Laissez entrer ! cria-t-il,l’ennemi verra comment sait mourir le maréchal de l’empired’Allemagne.

Sombres et muets, les cuirassiers s’écartèrentde la porte, et M. de Chaufontaine entra, suivi deM. de Collonges.

Carquefou, Frissonnante à la main, se glissaderrière eux.

M. de Pappenheim, sans cuirasse, latête nue, couvert déjà des ombres de la mort, gisait sur un litmisérable. Quelques gouttes de sang suintaient à travers l’appareilposé sur les blessures et tombaient à terre. Son épée, brisée parle milieu, était couchée en travers du drap.

À la vue du marquis, il se souleva sur lecoude, et, le saluant de la main :

– Il y a loin de la Grande-Fortelle àLeipzig ! dit-il. Depuis lors nous nous sommes rencontrés dansbien des fortunes diverses… Soyez le bienvenu dans ma dernièremaison.

M. de Chaufontaine sedécouvrit ; Carquefou abaissa la pointe de Frissonnante.

Alors, posant la main sur la garde du ferbrisé, qu’il n’avait pas abandonné :

– Si c’est là ce que vous cherchez,poursuivit le grand maréchal, attendez encore quelques minutes, lamort va me l’arracher.

Une ombre de colère et de désespoir passa surson visage.

– Vous m’avez rencontré sur dix champs debataille, continua-t-il ; par respect pour la mort qui planeici, oubliez nos longues inimitiés, et répondez en soldat à celuiqui fut le Soldat. Votre présence ici me dit assez que la batailleest perdue. Que reste-t-il de l’armée impériale ?

– Quelques bandes en déroute, desescadrons dispersés.

– Et le duc de Friedland, notrechef ?

– Il est en fuite.

– S’il est vivant, rien n’est perdu.

M. de Pappenheim fit un effort, et,sans quitter la garde de son épée :

– Et Gustave-Adolphe ?ajouta-t-il.

M. de Chaufontaine baissa la têtesans répondre.

– Et Gustave-Adolphe ? répéta leblessé avec plus de force.

– Il est mort, dit Renaud.

– Mort ! s’écria le grandmaréchal ; mort, le roi de Suède !

Alors, levant son corps, les mains toutesfrémissantes, le visage transfiguré :

– Béni soit le Dieu qui m’a permisd’apprendre avant la dernière heure que l’implacable ennemi de mareligion et de mon pays a perdu la vie ! s’écria-t-il. Non, labataille n’est pas perdue si Gustave-Adolphe n’est plus !Qu’importe que cinquante régiments aient été brisés comme ce ferest brisé lui-même ! Je meurs content… Lui mort, l’Autricheest triomphante !

Un coup violent frappé à la portel’interrompit ; un cuirassier entra, précédant un courrier quimit un genou en terre.

– J’arrive de Madrid, dit cet homme, etle roi mon maître m’a ordonné de remettre ce coffret aux mains dugrand-maréchal de l’empire.

M. de Pappenheim s’empara du coffretet l’ouvrit. Bientôt les insignes éclatantes de l’ordre fameux dela Toison d’or brillèrent entre ses doigts tremblants ; unesorte d’extase illumina son visage.

– Enfin ! murmura-t-il.

Un frisson le prit.

– Adieu la gloire ! adieu laterre ! dit-il.

Une pâleur mortelle s’étendit sur sonfront ; la croix rouge parut faiblement à l’angle interne dessourcils ; alors, tournant vers M. de Chaufontaineses yeux où les flammes de la vie s’éteignaient :

– Je vous ai toujours connu un homme deguerre brave et généreux, dit-il ; en mémoire des jours où nosépées se sont heurtées, laissez mes cuirassiers m’ensevelir avecces deux souvenirs d’ici-bas.

– Que votre volonté soit faite ! ditRenaud.

– À présent, que Dieu m’appelle : jesuis prêt ! s’écria le grand maréchal.

Et bientôt, les deux mains étendues sur lecollier de la Toison d’or et la garde de son épée, il renditl’âme.

– Oui, c’était un soldat ! murmuraM. de Chaufontaine.

– Dieu m’accorde une pareille mort !répondit M. de Collonges, qui s’était agenouillé.

Tandis que ces choses se passaient dansl’humble maison où le hasard de la bataille avait jeté mourant l’undes meilleurs hommes de guerre du XVIIe siècle,Armand-Louis, Magnus et M. de Saint-Paer attendaient surle champ funèbre de Lutzen.

Le silence était profond ; quelquesouffle de vent passait dans les arbres comme une plainte ; lalune, immobile dans un ciel pur, éclairait la plaine, où dormaitune foule glacée.

Parfois un cheval blessé relevait la tête etpoussait un long hennissement, puis tout se taisait.

La nuit était déjà avancée ; Armand-Louiscommençait à croire que le capitaine Jacobus ne viendrait pas. Ence moment, le vieux Magnus, qui errait sur la lisière du champ debataille, aperçut un homme qui marchait lentement et regardaitautour de lui. Sa haute taille jetait une ombre sur la terre ;il tenait une épée nue à la main.

– C’est lui ! murmura Magnus.

Et il se dirigea vers le capitaine, tout enayant l’air de chercher de côté et d’autre sur le sol.

Le capitaine s’arrêta, tira un pistolet de saceinture et considéra pendant quelques minutes cet inconnu quiallait et venait parmi les morts.

– Un maraudeur ! fit-il enfin.

Remettant alors le pistolet dans les plis dela soie :

– Eh ! l’ami !s’écria-t-il.

Magnus releva la tête, hésita comme un hommesurpris et mécontent, puis se dirigea vers le capitaine, la mainsur la garde de son épée.

– Laisse-là ce joujou, poursuivit lecapitaine Jacobus. Si tu pilles les cadavres, moi je n’en veuxtrouver qu’un seul. Donc, point de querelles entre nous !

– Alors, causons, répondit Magnus, maisfaisons vite ; le jour n’est pas loin, et il ne ferait pas bonde rencontrer quelque patrouille suédoise par ici.

– Écoute ! Si tu m’aides à découvrircelui que je cherche, il y a pour toi plus d’or dans cette bourseque tu n’en découvriras dans les poches de cent officiers.

– Parlez.

– L’homme dont je parle est tombé auprèsd’un champ de sarrasin, non loin d’un bouquet d’arbres, à unendroit où la route fait un coude.

Magnus se gratta le front.

– J’ai vu dans un endroit semblable unamoncellement extraordinaire de cadavres ; ils étaient couchéscomme les épis d’une gerbe déliée, les uns sur les autres. L’und’eux portait un justaucorps de peau de buffle à gorgerind’acier ; il avait le bras gauche cassé par une balle.

Le capitaine saisit Magnus par lepoignet :

– Marche, je te suis ! dit-il.

Magnus, sans répondre, prit hardiment unsentier qui coupait diagonalement le terrain de la bataille. Lecapitaine marchait sur ses traces, à la distance d’une épée. Sesregards inquiets sondaient partout la douteuse clarté de la nuit,mais rien ne bougeait dans l’immense plaine. D’ailleurs, l’hommequi marchait devant lui avait l’épée au fourreau.

Ils arrivèrent ainsi auprès d’un champ desarrasin foulé et haché par les déchirements d’une lutte acharnée.Magnus, du doigt, fit remarquer au capitaine Jacobus un bouquet dequatre ou cinq arbres, et la route, dont la ligne blanche traçaitun angle.

– Oui, c’est là, murmural’aventurier.

Un amas de corps sanglants couvrait la terrecomme un tapis ; partout des armes en débris, partout desvisages pâles tournés vers le ciel.

Magnus franchit un premier cercle de cadavres,et, au cœur même de cette hécatombe d’êtres humains, sa maindésigna le corps du roi.

Alors, se découvrant, et d’une voixtonnante :

– Gustave-Adolphe ! cria-t-il.

Un homme se leva à ce cri, puis un autre, puisdix, puis vingt, et tous, l’épée nue à la main, marchèrent versMagnus.

– Ah ! traître ! cria lecapitaine Jacobus.

Et, s’armant d’un pistolet, il fit feu ;mais le vieux soldat avait fait un bond de côté, et la balle passaà quelques pouces de son front.

– Trop vite et trop tard ! ditfroidement Magnus.

Déjà M. de la Guerche etM. de Saint-Paer étaient auprès de lui, et, autour d’eux,un cercle de dragons : point d’issue pour s’échapper.

Le capitaine Jacobus venait de reconnaîtreM. de la Guerche, et, derrière lui, debout comme unspectre, Marguerite Cabeliau.

Il jeta à ses pieds l’arme inutile, et,croisant les bras sur sa poitrine :

– Ah ! un guet-apens comme à laGrande-Fortelle, dit-il ; le gentilhomme fait œuvre debandit !

M. de la Guerche fit un geste de lamain ; M. de Saint-Paer et Magnus s’écartèrent, et,se plaçant en face de l’aventurier :

– Je croirais ma tâche mal remplie si jene vous tuais pas ; donc, haut l’épée, capitaine Jacobus, etdéfendez votre vie ; car, aussi vrai que je m’appelleArmand-Louis de la Guerche, l’un de nous tombera ici pour ne plusse relever.

Le capitaine tira du fourreau sa rapière d’unseul élan ; puis, tout à coud rompant d’un pas :

– Est-ce franc jeu, moi contrevous ? dit-il.

– Franc jeu ; vous contre moi, uncontre un.

– Sans pitié ni merci, avec la dague etl’épée ?

– Avec l’épée et la dague, sans quartierni pardon.

– Et si je vous tue ?

– Vous serez libre, foi degentilhomme !

M. de Saint-Paer fit unmouvement.

– Laissez, reprit Armand-Louis, cet hommem’appartient.

– Magnus n’est pas gentilhomme, il n’arien promis, dit Magnus.

Le capitaine Jacobus fit ployer son fer entreses mains, et le regardant :

– Toi, ce n’est rien, fit-il d’un airdédaigneux.

– À présent, en garde, et priezDieu ! s’écria M. de la Guerche.

Le fer croisa le fer, et le duel commença.

Marguerite, à genoux, soutenait la tête lividedu roi et la tournait vers les combattants, comme si elle eût vouluque le mort fût le témoin de cette lutte implacable destinée à levenger.

Cette fois, Armand-Louis avait affaire au plusterrible jouteur qu’il eût rencontré. Pas de feinte, pas de rusequi fussent inconnues au capitaine Jacobus ; il se faisait del’épée et du poignard un bouclier agile et vivant, d’où partaientmille ripostes promptes comme la foudre. Un nuage passa sur lefront de Magnus, qui serra la poignée de Baliverne.

Mais Armand-Louis parait tous les coups etmultipliait les siens avec une rapidité et une précision quiaugmentaient avec la résistance.

On n’entendait que le cliquetis du fer et lesouffle de deux respirations courtes, pressées, ardentes.

À mesure que les deux adversaires changeaientd’attitude, Marguerite tournait entre ses genoux la tête du roimort, afin que sa face blême menaçât toujours le capitaineJacobus.

Un instant, les yeux de l’aventurierrencontrèrent ce visage terrible ; il frissonna, et l’épéed’Armand-Louis le toucha en pleine poitrine ; mais le ferrencontra les fines mailles d’un justaucorps d’acier pris sous lepourpoint de buffle, et vola en éclats.

– Ah ! bandit ! s’écriaM. de la Guerche.

Un cri de joie féroce lui répondit.

Magnus devint pâle, et on le vit brandirBaliverne ; mais au moment où Jacobus, qui se croyait sûr dela victoire, fondait sur M. de la Guerche, la main deMarguerite tendit au gentilhomme une épée rouge qu’elle avaitramassée dans le sang.

– C’est l’épée du roi ; tuez cethomme ! dit-elle.

Le bras du capitaine Jacobus hésita ; lecoup qu’il destinait à son adversaire se perdit dans le vide, etpresque aussitôt la pointe d’un fer dont il avait appris àconnaître la force, le menaça de nouveau.

– C’est à la gorge qu’il fautfrapper ! dit Magnus d’une voix sombre.

Mais déjà le duel recommençait plus âpre etplus acharné.

– Mort de ma vie ! j’en viendrai àbout cependant ! murmura le capitaine.

Il se ramassa sur lui-même comme un tigre, etson jeu terrible devint plus rapide et plus serré. On voyait luireses dents blanches à travers ses moustaches rouges.

Quelques gouttes de sang parurent bientôtaprès sur les vêtements de M. de la Guerche, qu’unearmure de fer ne protégeait pas. Deux fois déjà l’épée du capitaineen avait déchiré l’étoffe. Un ricanement ouvrit ses lèvres.

– Mon épée a soif ; prendsgarde ! dit-il.

Il fit un pas, et Magnus passa la main sur sonfront trempé de sueur ; mais soudain le fer d’Armand-Louisbrilla comme une flèche et atteignit l’aventurier au défaut del’épaule.

– Tonnerre ! s’écria celui-ci enrompant.

M. de la Guerche laissa tomber sonépée, fit un bond, et, tandis que sa main droite saisissait le brasgauche du capitaine, avec la rapidité de l’éclair, de son autremain, il lui plantait dans la gorge son poignard tout entier.

La coquille d’acier heurta le gorgerin, et unjet de sang noir jaillit sur le bras du vainqueur.

Le capitaine Jacobus jeta la tête en arrièreet tomba comme un chêne ; ses talons et ses mains battirent lesol ; puis ses membres se roidirent, et il resta couché parterre, la face noyée dans le sang. Alors, jetant au loin l’arme quiavait terrassé l’assassin du roi :

– Justice est faite ! ditArmand-Louis.

À la pointe du jour, deux troupes de cavaliersse rencontrèrent sur la route de Leipzig : l’une étaitconduite par M. de Chaufontaine, l’autre parM. de la Guerche. L’une avait vu mourir le comte dePappenheim ; l’autre ramenait le corps du roi Gustave-Adolphe.Bientôt après, les deux gentilshommes entraient chezM. de Pardaillan.

– Crois-tu que Frissonnante pourra sereposer maintenant ? demanda Carquefou.

– Qui sait ! Baliverne n’est pasfatiguée, répondait Magnus.

Adrienne et Diane attendaient leursfiancés.

– Un homme avait osé lever les yeux survous, il n’est plus, dit Renaud.

M. de Pardaillan prit la main deDiane et la mit dans celle du marquis.

– Madame, dit alors M. de laGuerche, la dragonne dont Jean de Werth parait la poignée de sonépée, la voici, et l’homme qui a porté la main sur le roi, je l’aitué.

– Madame de la Guerche, ditM. de Pardaillan, embrassez votre mari.

FIN

 

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer