Envers et contre tous

Chapitre 9LE SERMENT DE MAGNUS

Cependant, le jour succédait à la nuit ; onentendait partout dans la campagne ces bruits confus quiaccompagnent le matin ; les paysans poussaient leurs bœufsdans les guérets, cherchant d’un air inquiet s’ils n’apercevaientpas quelque ennemi sortant du coin de l’horizon ; des chariotspassaient sur la route ; les cloches d’un monastère voisinsonnaient ; le bourdonnement de la vie se réveillait. DéjàMagnus avait deux ou trois fois examiné si rien ne manquait auharnachement des chevaux. On ne distinguait plus la poussièresoulevée par la marche des cavaliers saxons, et cependant rienencore ne troublait le profond silence de l’hôtellerie.

– Voilà la première fois que mon maîtreest en retard ! dit Magnus.

– Laissez-le dormir. Dieu a béni lesommeil, répondit Carquefou.

Mais, tourmenté par l’appétit matinal auquelil n’était pas dans ses habitudes de résister, Carquefou quitta sacouche de paille et s’en alla faire un tour dans la cuisine.

Il reparut un instant après, la mineattristée.

– Voilà qui est singulier, dit-il, ni vic(tuailles) d’aucune sorte, ni cuisinier. J’ai rôdé dans tous lescoins : personne. Je crois que nous avons mis le pied dans uneauberge enchantée.

– Personne ! s’écria Magnus.

– Se mettre en route sans déjeuner, c’estlugubre !

Mais déjà Magnus ne l’écoutait plus. Ilmontait quatre à quatre l’escalier de l’auberge, franchissait lelong corridor et frappait à la porte de M. de laGuerche.

Rien ne lui répondit.

– C’est Magnus, ouvrez ! reprit-ild’une voix tonnante.

Il prêta l’oreille ; aucun son ne se fitentendre.

Carquefou, qui l’avait suivi, le vit pâlir.D’un coup de pied terrible, Magnus jeta la porte bas et seprécipita dans la chambre, qu’un rayon de lumière qui filtrait parla fente d’un volet éclairait à demi ; elle était vide. Maisla boiserie était ouverte à côté du lit, et le regard épouvanté deMagnus plongea dans ce gouffre noir.

– Là ! par là ! cria-t-il d’unevoix brisée.

Et, l’épée à la main il se jeta dans lepassage obscur. Carquefou ne le suivit pas cette fois ; maistraversant la chambre et le corridor d’un seul élan, il brisa laporte de Renaud sur ses gonds, et courut jusqu’à l’alcôve.

Un panneau semblable était ouvert dans lamuraille.

– Lui aussi ! les misérables !cria-t-il.

Et, comme l’avait fait Magnus, il s’engageadans la ruelle étroite qui rampait derrière l’alcôve.

Quelques marches se trouvèrent devant lui, illes descendit à tâtons, et arriva ainsi à l’extrémité d’un passagesecret qui aboutissait à une porte cachée dans l’angle d’unbâtiment détruit. Elle ouvrait sur les derrières de l’auberge, dansun endroit ombragé de grands arbres et semé de broussailles. Onvoyait sur la terre humide l’empreinte d’un grand nombre depas.

Carquefou y rencontra Magnus, qui l’avaitprécédé et qui rôdait comme un loup parmi les décombres. De sourdesimprécations sortaient de ses lèvres ; il était pâle à fairepeur.

Un capuchon de bure se trouva sous sespieds.

– Ah ! ce sont eux ! cria-t-il,et nous n’avons rien entendu… mais je ne suis donc plusMagnus !

Un instant la douleur fut plus forte que sonindomptable énergie ; le vieux reître tomba sur une pierre, levisage entre ses mains.

– Mon pauvre maître ! qu’en ont-ilsfait ? répétait-il en sanglotant.

Tout à coup, il se leva, et tendant la main àCarquefou, qui pleurait aussi :

– Frère, dit-il,Mlle de Souvigny etMlle de Pardaillan aux mains deM. de Pappenheim. M. de la Guerche etM. de Chaufontaine volés par Jean de Werth, car c’estlui, vois-tu, il ne leur reste plus à elles et à eux quenous ; mais si tu es bien résolu à tout tenter, comme je lesuis moi-même, qu’ils prennent garde ! ils ne savent pas ceque deux hommes peuvent faire !

– Compte sur moi, Magnus : commandeet j’obéirai, répondit simplement Carquefou.

– Veux-tu jurer avec moi qu’au péril dela vie, et fallût-il pousser jusqu’au bout du monde, nous sauveronsM. de la Guerche et M. de Chaufontaine et quesi l’un de nous succombe, l’autre dévouera son sang à cetteentreprise sacrée et y laissera ses os ?

– Je le jure !

– En chasse alors ! Il y a devantnous des bêtes fauves : nous les tuerons !

Carquefou se trouva en selle aussi vite queMagnus. Il n’avait plus faim, il n’avait plus soif, il n’avait pluspeur. Le premier soin des cavaliers, après avoir battu les environsde l’auberge, fut de suivre la direction qu’avait prise le troupeaudes moines ; ils arrivèrent ainsi à la forêt de sapins etdécouvrirent la litière renversée au fond du ravin. Magnus lamontra du doigt à Carquefou.

– Ils étaient là-dedans,comprends-tu ? dit-il.

Il n’y avait aucune trace de sang autour de lalitière ; l’idée d’un meurtre ne pouvait donc pas se présenterà leur esprit. D’ailleurs, si on avait voulu tuerM. de la Guerche et M. de Chaufontaine, on neles aurait pas enlevés.

– Cherchons toujours ! repritCarquefou.

Mais à l’extrémité de la clairière, au centrede laquelle les ravisseurs avaient fait halte, les tracesnombreuses imprimées sur le sol par les pieds des chevauxbifurquaient tout à coup. Deux longues traces qui couraient en sensinverse s’étendaient devant eux. Magnus retint la bride de soncheval.

– Prends à gauche, je prends à droite,dit-il à Carquefou ; celui d’entre nous qui atteindra lepremier la lisière de la forêt, la suivra à la rencontre del’autre. Aie l’œil ouvert, l’oreille tendue. Si tu découvres labande, casse une branche et incline-la dans la direction que tuauras prise ; je ne tarderai pas à te rejoindre. Ainsiferai-je de mon côté.

Magnus et Carquefou s’enfoncèrent sous lesvoûtes sombres de la forêt. Deux heures après, ils se rencontraientsur la lisière des sapins, l’un venant de l’est, l’autre del’ouest.

– Rien, dit Carquefou, si ce n’est despas de chevaux dans le sable, il y en a par centaines sur laroute.

– Tu as suivi une fausse piste, réponditMagnus : moi j’ai la bonne.

– Tu as vu le moine ?

– Le moine ? crois-tu donc qu’il aitgardé sa robe ?… Non ! non ! mais une pauvresse, quiramassait du bois mort, m’a raconté qu’elle avait vu passer deuxprisonniers, liés sur des chevaux au milieu d’une troupe d’hommesarmés. Ils allaient grand train.

– Allassent-ils plus vite que le vent,nous les atteindrons ! s’écria Carquefou.

La route dans laquelle ils venaient de sejeter les conduisit dans un gros bourg, où l’on avait vu dans lajournée vingt troupes de cavaliers ; quant aux prisonniers, onen comptait par douzaines, ceux-là jeunes, ceux-ci vieux.Quelques-unes de ces bandes s’étaient arrêtées, d’autres avaientpoursuivi leur chemin. Magnus et Carquefou couraient d’auberge enauberge sans se lasser, épiant et questionnant.

Ils n’avaient découvert aucun indice encore,lorsqu’un valet d’écurie leur parla d’un cavalier que son chevalavait renversé au moment où il mettait le pied à l’étrier. Dans sachute, l’homme s’était cassé la jambe ; on avait dû le porterdans une salle basse.

– Ce qu’il y a de plus singulier, ajoutale valet d’écurie, c’est que ce pauvre diable, qui jurait comme unpaïen, portait un énorme chapelet autour du cou : on auraitdit le chapelet d’un moine.

Ce fut pour Magnus un trait de lumière.

– Menez-moi vite auprès de cet homme,dit-il en échangeant un regard avec Carquefou, c’est lui que nouscherchons… Sera-t-il content de nous voir, bon Dieu !

Carquefou ne souffla mot et suivit Magnus, quele valet conduisait dans la chambre du blessé.

– Eh ! camarade ! dit le valeten poussant la porte, voilà des amis qui vous arrivent !

À la vue de Magnus et de Carquefou, qu’ilreconnut au premier coup d’œil, à la clarté d’une chandelle, leblessé fit un geste de terreur, qui confirma l’honnête Magnus danssa pensée première.

– Ne crie pas, ou tu es mort !dit-il en tirant le long poignard qu’il portait à la ceinture.

Carquefou ferma la porte soigneusement.

– Causez, dit-il, je me charge desimportuns.

Le blessé, couché sur un grabat, suivait tousles mouvements des deux amis d’un œil hagard.

– Tu étais avec ces coquins qui ontcouché la nuit dernière à l’auberge de maître Innocent ?reprit Carquefou.

Le blessé répondit par un gémissement.

– C’est vous qui avez enlevéM. de la Guerche et M. de Chaufontaine ?ajouta Magnus.

– Notre chef nous a enrôlés pour uneexpédition… un honnête soldat n’a que sa parole.

– Un chef, commentl’appelles-tu ?

– Mathéus Orlscopp.

– Mathéus ! cria Carquefou, qui fitun bond, tu dis Mathéus Orlscopp ?… Dieu du ciel ! sicette main ne lui ouvre pas le cœur promptement, le comte et lemarquis sont morts !

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