Envers et contre tous

Chapitre 19QUATRE CONTRE UN

Lesconditions d’échange venaient d’être ratifiées ; rien neretenait plus Armand-Louis et Renaud à Nuremberg. Ils prirent congéde Wallenstein et sortirent du camp à cheval.

À un trait d’arbalète du fossé, ilsrencontrèrent un cavalier qui, passant près d’eux, les salua.C’était le comte de Pappenheim ; il portait la cuirasse au doset un grand manteau agrafé sur ses épaules. Avant qu’Armand-Louisou Renaud eussent le temps de lui répondre, le comte était déjàloin.

– L’oiseau de proie s’envole à gauche,mauvais signe ! dit Carquefou.

– Sans compter que le pays est propiceaux embûches, murmura Rudiger.

La route s’engageait dans un pays boisé seméde gorges et de solitudes où croissaient çà et là des sapins et desbouleaux. Un vent bas soufflait, roulant des masses de vapeurserrantes qui s’épaississaient ou se dissipaient tour à tour.Armand-Louis et Renaud ressentaient l’influence de cette naturemélancolique ; ils songeaient et ne parlaient pas.

Magnus regardait tantôt en avant, tantôt enarrière, tantôt à gauche, tantôt à droite. Rudiger, de son côté,avait l’œil à tout.

– Si je meurs, ce qui est probable,murmurait Carquefou, je ne voudrais pas mourir par un tempssemblable et dans un tel paysage, j’aurais trop froid.

Et il roulait autour de ses flancs le manteauque la bise secouait.

Le brouillard courait sur la bruyère ;des bandes de corbeaux en rayaient la masse grise d’un vol sinistreet lourd.

Un cavalier passa comme un fantôme sur laroute, puis un autre, puis un troisième ; et tous trois seréunirent en avant de manière à ne former qu’un seul groupe.

Ils précédaient M. de la Guerche etRenaud d’une centaine de pas.

Magnus jeta les yeux sur l’extrémité d’unegorge que leur petite troupe venait de traverser.

Il aperçut au loin, presque effacés dans labrume, trois cavaliers qui marchaient au pas.

« Six en tout, pensa-t-il, ce n’est rienencore. »

Cependant il dégagea son bras droit ets’assura que ses pistolets jouaient librement dans leursfontes.

Presque aussitôt, Rudiger, qui venait d’enfaire autant et qui regardait de côté et d’autre, remarqua sur ladroite, dans la plaine, où rampait un taillis bas, trois autrescavaliers dont la tête et les épaules saillaient du milieu desbranches.

– Neuf, dit-il en les désignant à sonvoisin.

Magnus tourna rapidement les yeux du côté d’unbois qui s’étendait sur la gauche et dont leur petite troupecôtoyait la lisière.

L’obscurité s’y faisait plus noire ;cependant, parmi les troncs pâles des bouleaux, il distingua troisombres qui se glissaient dans l’épaisseur muette du bois.

« Hum ! ça fait douze,pensa-t-il. »

Cette fois il renouvela l’amorce despistolets, et, tirant l’épée du fourreau, la laissa pendre toutenue à son poignet. Rudiger avait pris la même précaution.

Carquefou, qui les observait, les imitascrupuleusement ; après quoi, se penchant à l’oreille deMagnus :

– Pourquoi ? lui dit-il.

Magnus étendit la main sans parler vers lesquatre coins de l’horizon.

– Oh ! oh ! fit Carquefou.

– Et remarquez qu’ils se rapprochent denous, dit Rudiger.

Magnus ne dit rien, seulement il fit à partlui cette remarque que, depuis un instant, chaque groupe s’étaitaugmenté d’une unité, ce qui portait le nombre des cavaliers àseize.

Au même instant, les quatre hommes quimarchaient en avant firent volte-face, et ceux qu’on voyait enarrière allongèrent le pas.

Par un mouvement simultané, les deux troupesqui trottaient dans la plaine et dans les bois dirigèrent leurcourse vers la route.

M. de la Guerche etM. de Chaufontaine étaient pris entre quatre feux.

En cet endroit où nulle hôtellerie, nullemaison, nulle cabane ne se voyait aussi loin que la vue pûts’étendre, deux bouquets noirs de sapins s’élevaient aux deux côtésde la route.

Magnus frappait déjà sur l’épauled’Armand-Louis, et Carquefou avertissait Renaud, lorsqu’un cavaliersortit du plus épais de ces massifs. Il avait la tête haute, l’épéeà la main.

Carquefou poussa un cri.

Le cavalier sourit, et, saluant du bout de sonépée :

– Je vois, messieurs, dit-il, que vousavez reconnu le capitaine Jacobus.

– Ah ! le bandit ! s’écriaRenaud.

– À présent, s’il vous plaît, réglons noscomptes.

Mais, au moment où le capitaine Jacobus levaiten l’air un pistolet pour donner le signal de l’attaque aux quatrebandes, qui n’étaient plus qu’à trente pas des gentilshommes, uncavalier s’élança d’un bond sur la route, et, portant un siffletd’argent à ses lèvres, en tira un son aigu. Un grand bruit de fers’éleva du milieu du brouillard, et le chemin se couvrit decuirassiers, qui, le sabre au poing, entourèrent lesassaillants.

– Capitaine Jacobus, bas les armes, ditle cavalier. Je suis le comte de Pappenheim.

Le capitaine Jacobus promena ses regardssurpris de tous côtés, mais de tous côtés un mur d’airainenveloppait ses bandes.

Il remit froidement son épée au fourreau.

– Vous êtes le plus fort, monseigneur,dit-il, mais j’ai grand-peur que vous n’ayez fait une sottise.

Le comte de Pappenheim étendit la main dans ladirection de Nuremberg ; le capitaine Jacobus réunit seshommes autour de lui, les rangs serrés des cuirassiers s’ouvrirent,et toute la bande s’éloigna comme une troupe de chacals qui vientd’entendre le rugissement du lion.

Les cuirassiers se reformèrent derrièreM. de Pappenheim, et marchant à leur tête, il escortaM. de la Guerche et M. de Chaufontaine jusqu’àl’extrémité de cette route dangereuse. Aux premières clartés dumatin, on vit un bourg dont les rayons s’éparpillaient sur les deuxcôtés du chemin.

– L’armée suédoise est devant vous,messieurs, leur dit-il alors, et l’armistice expire demain.

Et comme les deux gentilshommess’inclinaient :

– Sommes-nous quittes à présent, monsieurle comte ? reprit-il en s’adressant à M. de laGuerche. Les bois que vous venez de traverser ont-ils payé la dettedu camp de Stettin ? Le comte de Pappenheim s’est-il souvenudu comte Éberart ?

– Oui, répondit Armand-Louis.

– Alors, messieurs, bonne chance !Et, s’il plaît à Dieu, nous nous rencontrerons sur un champ debataille. Là, vous verrez que je n’oublie rien.

M. de Pappenheim salua fièrement dela main les deux gentilshommes, et, suivi de ses cuirassiers, il seperdit bientôt dans un nuage de poussière.

Et, le regardant, tandis que le Soldats’éloignait au pas, lentement, à la tête de sescuirassiers :

– Singulier homme ! dit Renaud.

– Étrange, en effet, réponditM. de la Guerche : il y a en lui comme un mélange detoutes les bonnes et de toutes les mauvaises qualités. Les unes luiappartiennent, les autres sont le résultat des événements et desluttes auxquels toute sa vie a été mêlée ; il a le germe desmeilleures et des plus hautes vertus, la passion de la gloire,l’amour de son pays et de sa religion, une fidélité à toute épreuveà son drapeau et à son empereur, une bravoure indomptable ;mais tout cela est comme envenimé et corrompu par une ambitionformidable, un orgueil implacable, le mépris des hommes et ledédain de toute règle. Hier, il marchait dans une ville en flammeset faisait passer son cheval sur les cadavres de dix milleAllemands. Que lui importait ! il n’y avait là que desrebelles et des protestants ! Et ce même jour il se mettaitrésolument, au péril de sa vie, entre deux femmes et une armée enproie à l’ivresse du pillage. Hier il aspirait impitoyablement à lamain d’une fille noble qui le repousse ; aujourd’hui il sauveson rival. Les événements l’ont rendu ce qu’il est, farouche,violent, capable des plus terribles représailles, des plus férocesexécutions, puis, par moments, son âme se réveille, et lamagnanimité se fait jour. L’arbre semble desséché, et il en tombeparfois un fruit mûr.

– Ma foi, si jamais je le tue, repritRenaud, je ne tuerai jamais plus vaillant homme deguerre !

Le jour même où l’armistice devait expirer,Armand-Louis et Renaud rejoignaient l’armée du roi. Immédiatementaprès, M. de la Guerche faisait demander une entrevue àGustave-Adolphe.

Le projet le plus audacieux avait germé dansson esprit. Il avait servi la cause de la Suède ; il croyaitavoir le droit de servir sa cause personnelle.

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