Envers et contre tous

Chapitre 25LA RETRAITE DES TROIS CENTS

Jean deWerth venait en effet d’arriver à Drachenfeld ; il avaitprofité d’un moment où les opérations de la guerre lui permettaientde s’absenter, pour rendre visite à Mme d’Igomer.Mais, au lieu de trouver au château une occasion nouvelle de fairesa cour à Mlle de Souvigny, que les dernièreslettres de la baronne lui représentaient comme animée d’un espritmoins hostile, il y parut au milieu du tumulte qui suit uneévasion. Aussitôt qu’il eut connaissance de ce qui venait de sepasser, il se jeta dans la forêt avec toute son escorte et fitsonner les clairons. On sait comment Mme d’Igomerfut informée de sa présence ; elle le rejoignit promptement etd’un commun accord ils poussèrent en toute hâte sur les traces desravisseurs.

Le nom de M. de la Guerche suffisaitpour stimuler l’ardeur de Jean de Werth.

Encore un échec après tant d’échecs, c’étaittrop, cette fois !

Le soleil brillait de tout son éclat lorsquela troupe commandée par le baron, grossie par la bande dont lecommandement était échu à Patricio Bempo depuis le trépas tragiquede Mathéus, rejoignit l’escadron de M. de la Guerche. Leshuguenots, qui s’attendaient à cette rencontre, étaient en ordre debataille à l’entrée d’un village dont ils avaient barricadé lesprincipales rues et occupé toutes les positions, pour mettrel’ennemi hors d’état de les tourner.

Aux premiers nuages de poussière quiannonçaient dans l’éloignement l’approche des Impériaux, lesdragons sautèrent en selle. Jean de Werth, qui marchait en tête deses gens, fit le tour du village au galop, ne trouva point d’issuequi ne fût gardée, et, ne pouvant maîtriser sa colère, donna lesignal de l’attaque. Il avait avec lui deux ou trois centscavaliers ; Patricio en avait réuni à peu près autant :les Impériaux possédaient ainsi l’avantage du nombre, mais celui dela position le compensait ; des deux côtés il y avait donc deschances égales pour la victoire.

Les trompettes des huguenots répondirent auxtrompettes des Impériaux, et les premiers coups de feuéclatèrent.

Jean de Werth menait la charge du côté droit,Patricio la menait du côté gauche. L’attaque eut le même élan et lamême furie ; mais la défense fut telle, que l’effort desassaillants se brisa aux bords du village.

Armand-Louis, avec M. d’Aigrefeuille,tenait tête à Jean de Werth ; Renaud, avecM. de Bérail, repoussait Patricio Bempo ;Mme d’Igomer, à cheval comme un reître, s’étaitplacée sur un monticule pour juger de l’action.Mlle de Souvigny etMlle de Pardaillan, cachées à l’abri desballes sous le porche d’une église, attendaient la fin ducombat ; quatre dragons désignés par le sort les gardaientpour repousser quiconque, par surprise, eût tenté de s’approcherd’elles.

Une ceinture de fumée entoura bientôt levillage, dans lequel un millier d’hommes s’acharnaient les unscontre les autres, les pieds dans le sang. Les chevaux hennissaientet tombaient, les détonations se succédaient sans intervalle ;les coups d’épée pétillaient sur les cuirasses, les crisretentissaient de toutes parts. Il y avait une sorte de fièvresombre et d’ardeur sauvage du côté des Impériaux, un entrainchevaleresque du côté des protestants ; les plus jeuneschantaient ; M. de Collonges n’épargnait ni lescoups ni les chansons ; Renaud faisait rage ; il y avaitsi longtemps qu’il n’avait eu l’occasion d’invoquer sainteEstocade !

Les gens de Patricio Bempo plièrentenfin ; un rang se rompit, puis un autre, et un escadronentier se débanda. Un cri de victoire s’éleva du milieu deshuguenots, mais Jean de Werth y répondit par une chargedésespérée.

Fatigué de le voir sans cesse ramener àl’assaut les vieilles compagnies qui le suivaient, Magnus voulutrompre cette furie par un coup décisif. Il prit avec luiM. de Saint-Paer et trente dragons, sortit du village parune ruelle écartée, gagna la plaine sans être vu, et tomba, avec laforce d’un torrent qui rompt ses digues, sur le flanc desImpériaux.

Cette fois, pris en tête parM. de la Guerche, de côté par Magnus, ébranlé en outrepar le mouvement des fuyards qui se jetaient sur lui, Jean de Werthcéda.

– Haut l’épée et tombons dessus !cria Armand-Louis.

Les dragons chargèrent à fond de train, et lesImpériaux écrasés plièrent comme un arbre qu’un vent d’orage couchesur le sol.

Au cœur même de la sanglante mêlée, Magnusrencontra Patricio.

– Encore ! s’écria-t-il.

Patricio n’attendit pas son attaque et fonditsur lui : Magnus para le coup, riposta, et la pointe rouge deBaliverne disparut dans la gorge de l’Italien, qui tomba sur lacroupe de son cheval. L’animal fit un écart, et Patricio Bempo,vidant les arçons, roula par terre lourdement.

– Il a été écrit : « Nem’induisez pas en tentation ! » dit Magnus.

Et, sautant par-dessus le cadavre dulieutenant, il promena Baliverne à travers les rangs brisés desvaincus.

Armand-Louis et M. de Bérails’acharnaient après Jean de Werth, qui reculait. Mieux monté,M. de Bérail l’atteignit. Jean de Werth seretourna ; un instant les deux hommes et les deux chevaux setrouvèrent confondus dans un tourbillon de poussière où luisaientles éclairs de deux épées. Puis un cavalier sortit du tourbillon.C’était Jean de Werth.

M. de Bérail chancelant glissa surl’herbe ; on le vit se soulever sur les genoux, ressaisir sonépée qui s’était échappée de sa main, puis tomber et resterimmobile. Son cheval effaré s’échappa, et celui de Jean de Werthpartit au galop.

Armand-Louis accourut, mais le terriblecapitaine était déjà loin, perdu dans la foule des fuyards.

– Et je n’ai pas cette dragonne qui pendau pommeau de son épée ! murmura M. de laGuerche.

Renaud, qui le suivait, sentit ses yeux semouiller en voyant M. de Bérail tout sanglant et lividecouché sur la bruyère. Il plaça les mains du mort en croix sur sapoitrine, enleva son épée et le couvrit d’un manteau.

– Il avait été mon ami, il était monfrère d’armes. Que la terre d’Allemagne lui soit légère !dit-il.

M. de Bérail n’était pas le seuldragon qui fût tombé dans la mêlée, d’autres manquaient également àl’appel. Les morts furent enterrés dans des fossés qu’un pan degazon recouvrit, les blessés installés dans la plus grande maisonavec un écrit qui informait les officiers impériaux qu’un nombreconsidérable de blessés autrichiens et bavarois répondait du sortdes Français qu’on laissait entre leurs mains, et Magnus pressa lespréparatifs du départ.

M. de Collonges, que cette journéejetait dans le ravissement, s’étonnait d’une si grande hâte.

– Monsieur, répondit Magnus, vous neconnaissez pas l’homme à qui nous avons affaire. Il sera sur notrepiste avant ce soir, comme un loup qui a flairé l’odeur dusang.

On quitta le village, auquel une centaine demorts et de mourants faisaient une ceinture, et l’on poussarapidement du côté du nord.

Malgré les pertes qu’il avait subies,l’escadron était animé d’une ardeur joyeuse qui semblait trouver unaliment plus vif dans la pensée du danger qui le pressait de toutesparts. Les ennemis pouvaient surgir à chaque instant de tous lespoints de l’horizon.

Les souvenirs de l’antiquité classique semêlaient dans leur esprit aux souvenirs héroïques de lachevalerie.

– Où sont les Arabes ? où sont lesSarrasins ? disait M. d’Aigrefeuille, qui pensait auxsombres templiers errant dans les solitudes mornes de laPalestine.

– Qui chantera au retour la retraite destrois cents, comme autrefois le vieux Xénophon la retraite des dixmille ? ajoutait M. de Saint-Paer.

Et tous souhaitaient la bataille au sortird’une bataille.

Bien qu’habituées l’une et l’autre à cesscènes de violence et à tous ces hasards terribles de la guerre,Mlle de Souvigny etMlle de Pardaillan ne pouvaient se défendred’une vive et profonde émotion à la pensée de tant de périls bravéspour elles, et d’un si noble dévouement. Au milieu de ces hardisdragons, elles étaient comme dans une famille de frères ; iln’y avait dans tous les rangs qu’un cœur et qu’une volonté. Ceux-làmêmes qui ne les avaient jamais vues tenaient à honneur de lessauver.

– Vous serez tirées du pays desPhilistins, nous l’avons juré, disaient les vieux calvinistes.

– Mon Dieu, mon roi, ma dame, et à larescousse ! disaient les plus jeunes, pour qui la Suède étaitun pays d’adoption.

On marcha tout le jour sans encombre. Vers lesoir on vit un nuage à l’extrémité de la route, du côté dumidi.

– Voici que l’orage s’avance, ditMagnus.

Les dragons atteignirent un bois aucommencement de la nuit, s’y enfoncèrent, et obliquant sur ladroite, en ayant soin d’observer un profond silence, parvinrentdans le creux d’un vallon, où ils établirent leur bivac après enavoir fermé l’entrée par un abatis.

– Ce n’est pas ici qu’ils tenteront denous attaquer, ces maudits Impériaux, dit Magnus, qui servait deguide.

– Tant pis…, réponditM. de Collonges, on en tuerait beaucoup.

Avant la pointe du jour, et après quelquesheures données au repos, l’escadron se remit en marche, éclairé entête et sur les flancs par de légers pelotons.

« Entrer dans ce bois, ce n’estrien ; en sortir est plus difficile », pensaitM. de la Guerche.

Magnus, pour qui aucun sentier n’avait desecret, inclinait alors vers la gauche.

Aux premières lueurs du matin, il atteignit lalisière de la forêt ; des vedettes se montraient à cheval dansles champs.

M. de la Guerche fit mettre pied àterre à tous les dragons derrière un saut de terrain, et Magnusavec Carquefou et M. de Collonges partirent dans troisdirections différentes avec la mission d’inspecter lesenvirons.

Au soleil levant, ils étaient de retour.

– Du côté du couchant, j’ai vu cinq centsmousquetaires, dit Magnus.

– Du côté du nord, j’ai compté quatreescadrons, dit M. de Collonges.

– Là-bas, du côté où nous sommes entrés,il y a un millier de sabres et de mousquets, dit Carquefou ;Frissonnante en est encore glacée.

– Si bien que nous sommes cernés, ditArmand-Louis.

Sans répondre, Magnus jeta la bride de soncheval aux mains de Carquefou, et, rampant sur les mains et lesgenoux, il gagna le taillis qui bordait la lisière du bois.

On attendit son retour dans un grand silence.Au bout d’une demi-heure, il reparut et remonta à cheval.

– Eh bien ? dit M. de laGuerche.

– J’ai découvert un passage au boutduquel il y a quatre cents cavaliers avec une poignée defantassins, répondit Magnus. Une moitié sommeille ou joue auxcartes. Ces gens-là nous croient fort loin, à l’autre bout dubois.

– Faisons-leur voir que nous sommes toutprès, dit Renaud. Nous leur passerons sur le ventre avant qu’ilsaient le temps de se reconnaître. Est-ce votre avis,messieurs ?

Tous les dragons brandirent leur sabre ensigne d’assentiment.

Armand-Louis plaça Adrienne et Diane au centred’un peloton dont il confia le commandement àM. d’Aigrefeuille, et, se mettant lui-même à la tête del’escadron, il marcha sans bruit jusqu’au bord du bois.

Parvenu là, et parcourant du regard la massedes compagnons qui frémissaient d’impatience derrière lui, il levason épée.

– Au galop ! cria-t-il.

Toute la troupe partit ventre à terre. C’étaitune avalanche, un ouragan. Les sentinelles eurent à peine le tempsde décharger leurs pistolets et furent culbutées. Les dragonsarrivèrent le fer haut sur le gros de la bande et l’enfoncèrent. Cefut en vain que fantassins et cavaliers essayèrent de se mettre enordre de bataille ; un seul escadron opposa une résistancesérieuse, mais, rompu bientôt, il suivit dans sa déroute le restede la troupe, que les huguenots taillaient en pièces.

Le chemin était libre. Cent cadavresjonchaient la plaine.

Armand-Louis chercha des yeuxM. d’Aigrefeuille.

– Vous m’avez confiéMlle de Souvigny etMlle de Pardaillan, les voici, dit-ilfièrement.

– Merci ! s’écria M. de laGuerche.

Mais il ne put même pas saisir la main deM. d’Aigrefeuille ; le vaillant gentilhomme venait delâcher la bride de son cheval et de rouler aux piedsd’Adrienne.

Une balle lui avait traversé la poitrine aucommencement de l’action, mais jusqu’au bout il avait fait sondevoir. La bataille gagnée, il était mort.

– Hier M. de Bérail,aujourd’hui M. d’Aigrefeuille ! Combien tomberontencore ? murmura M. de la Guerche.

Et la retraite commença.

Cette barrière vivante qu’on venait d’ouvrirfaisait partie d’un cercle de soldats que Jean de Werth avaitréunis autour du bois. Après sa première défaite, le baron s’étaitempressé de donner ordre aux divers détachements qui étaient dansles environs de le rejoindre en toute hâte ou de suivre unedirection que ses messagers leur indiquaient. Lui-même s’étaitlancé à la poursuite des huguenots, à la tête d’une poignéed’hommes qui s’étaient ralliés à lui.

Son premier soin, quand il vitM. de la Guerche et ses compagnons pénétrer dans le bois,fut de les y envelopper, ne voulant pas se hasarder à les y suivreau milieu des ombres de la nuit. Il prit, à la tête des plus grosescadrons, position sur la route que les dragons devaientlogiquement suivre pour gagner les cantonnements suédois ;mais la marche oblique de Magnus le trompa, et ce fut deux heuresaprès la sortie des Français que des fugitifs lui apprirent que lesdragons venaient d’échapper à l’étreinte de fer dans laquelle ilcroyait les étouffer.

Jean de Werth ramassa les bandes qu’il avaitsous la main et partit sur la trace des huguenots. C’était bien leloup dont avait parlé Magnus et qui a flairé l’odeur du sang.Personne n’osait lui parler ; il courait en avant des siens,silencieux, pâle, fatiguant la poignée de son sabre, mâchant sesmoustaches.

– Et rien ne les arrête ! rien neles atteint ! murmurait-il quelquefois.

Animée de la même ardeur, soutenue par la mêmehaine, dévorée par la même soif de vengeance,Mme d’Igomer galopait à côté de lui. Elle nesentait pas la fatigue, elle semblait de fer.

À l’abandon des villages, aux ruines fumantesqu’ils rencontraient, aux nombreux escadrons qui soulevaient lapoussière des routes çà et là, les dragons comprenaient qu’ilsapprochaient des campagnes où les deux armées de la Suède et del’Allemagne promenaient leurs bannières ennemies. Vers le soir,Magnus, qui courait toujours en avant, aperçut en travers de laroute des feux de bivac. Il lança son cheval, et reconnut lecampement d’un corps nombreux de cavalerie impériale, qui occupaitles deux côtés du chemin.

On ne pouvait passer qu’au travers des sabreset des pistolets.

À droite et à gauche, ce n’étaient queprairies et marécages coupés de cours d’eau parmi lesquels on nepouvait avancer sans guide. Attendre, c’était s’exposer à recevoirle choc de Jean de Werth et à être pris entre deux feux.

Magnus revint sur ses pas et exposa froidementla situation. Un conseil de guerre se réunit autour deM. de la Guerche.

– Nous avons cinq minutes pour délibérer,messieurs, dit Armand-Louis.

– C’est trop de quatre ; tirons nossabres et tombons sur cette canaille, réponditM. de Chaufontaine.

– Cette canaille compte trois millehommes, objecta Magnus, qu’on admettait volontiers à dire sonavis.

– La moitié de nous restera par terre, lamoitié passera, s’écria M. de Collonges.

– On a toujours le temps d’adopter laproposition de M. de Chaufontaine, repritArmand-Louis ; mais on peut aussi essayer d’un autremoyen.

– Parlez ! ditM. de Saint-Paer.

– Il est possible que Jean de Werth n’aitpas eu le temps d’avertir les cavaliers qui sont là de tout ce quis’est passé depuis notre départ de Drachenfeld ; c’estprobable même. Nous portions à la taille la ceinture verte, à noschapeaux la cocarde aux couleurs impériales.

– Hélas ! soupiraM. de Collonges.

– De plus, nous arrivons d’un côté oùl’on ne peut pas logiquement supposer qu’une troupe de Suédois sesoit engagée.

– C’est juste.

– Ne pouvons-nous hardiment nousprésenter aux chefs de cette cavalerie, nous donner pour desEspagnols ou des Italiens, selon qu’ils seront allemands ouhongrois, et leur demander la direction des cantonnements occupéspar le corps d’armée du général Pappenheim ? Si les rangss’ouvrent, nous passons ; si les chefs poussent la curiositétrop loin, nous dégainons.

– Bien pensé ! s’écriaM. d’Arrandes.

– Si l’opinion de M. de laGuerche est notre opinion à tous, dit M. de Voiras,piquons droit sur les Impériaux.

– Piquons ! répondit Renaud.

– Alors, l’arme au fourreau, et autrot ! reprit Armand-Louis.

Et il prit à partM. de Collonges.

– Vous êtes presque le plus jeune d’entrenous, dit-il, mais vous n’êtes pas le moins résolu ; à lapremière alerte, rapprochez-vous deMlle de Souvigny et deMlle de Pardaillan avec dix hommes bienmontés, et, si je vous fais un signe de la main, partez ventre àterre et passez.

– Si je ne passe pas, c’est que je seraimort ! répondit M. de Collonges.

Au bout de quelques centaines de pas,Armand-Louis et Magnus prirent les devants.

– Qui vive ! cria unesentinelle.

– Jésus et Marie ! réponditArmand-Louis.

Au cri de guerre de l’armée impériale, unofficier s’approcha.

– Qui êtes-vous ? d’oùvenez-vous ? dit ce cavalier, qu’à son accentM. de la Guerche reconnut pour un homme du payswallon.

– Nous faisons partie d’un régimentespagnol qui a ordre de rejoindre le corps du général Pappenheim,répondit Armand-Louis dans un mauvais allemand. Il nous estinterdit de perdre une heure, fallût-il laisser en route la moitiéde l’escadron. Si vous savez quelque chose de la direction qu’aprise le général, nous vous serions reconnaissants de nous ledire.

Quelques officiers se présentèrent ; l’und’eux, qui savait l’espagnol, interrogea Armand-Louis dans cettelangue. M. de la Guerche et Renaud, qui la parlaient aisément,répondirent avec d’habiles témoignages de joie.

Tout en parlant ainsi, on marchait ;l’escadron suivait, les rangs serrés :M. de Collonges auprès deMlle de Souvigny et deMlle de Pardaillan ; il ne quittait pasdes yeux M. de la Guerche.

– Ah ! deux femmes ? dit uncapitaine.

– Ma femme et sa sœur, réponditArmand-Louis tranquillement : doña Luisa-Fernanda de Coloredoy Penaflor, et doña Emmanuela-Dolorès de Miranda y Castejo. Ellesdoivent attendre la fin de la guerre à la cour de Son Altessel’électeur de Bavière.

Tout cela fut dit d’une voix naturelle etcalme ; Adrienne et Diane, qui avaient tout entendu, saluèrentles officiers wallons d’un mouvement de la tête. Tous leurrendirent ce salut, et l’on toucha bientôt aux limites ducampement.

La conversation allait toujours et avait mêmepris des allures dégagées, telles qu’il peut s’en établir entresoldats qui défendent la même cause.

Une idée subite illumina l’esprit deRenaud.

– Cher capitaine, dit-il d’un air leste àson voisin, mon cheval est un peu fatigué ; si j’avais letemps de le laisser à l’écurie pendant un jour ou deux, pour rienau monde je ne m’en déferais ; mais je suis pressé, comme voussavez, donnez-moi le vôtre, qui me paraît frais et gaillard, etvous aurez, en outre, dix ducats d’or.

– Soit, dit le capitaine, j’aurai leplaisir d’obliger un camarade.

Le troc fut conclu ; cet exemple séduisitun grand nombre de dragons, et tous ceux qui avaient des chevauxmalades, éreintés ou fourbus, proposèrent sur-le-champ des échangesdont l’appoint ingénieux de quelques pièces d’or hâta laconclusion.

Wallons et huguenots se séparèrent au boutd’un quart d’heure, également satisfaits les uns des autres. LesWallons pensaient qu’ils auraient de bons chevaux dans deux outrois jours, et que, provisoirement, ils avaient quelques bonsducats de plus dans la poche ; les huguenots, qui sentaientbondir et caracoler sous l’éperon de vigoureuses montures en étatde fournir une longue traite, estimaient qu’ils avaient fait unexcellent marché.

Une ou deux heures après cet échange, le baronJean de Werth entra dans le camp des Impériaux et se fitreconnaître. Son étonnement fut d’abord sans égal en ne voyant surla route qu’avait suivie M. de la Guerche aucune trace decombat, ni cadavre dans la campagne, ni blessé autour destentes.

Les fugitifs avaient dû nécessairementrencontrer les cavaliers wallons.

– Cependant ils n’ont pas d’ailes !dit-il.

Dix minutes ne s’étaient pas écoulées qu’ilsavait ce qui s’était passé.

– Et vous avez été leurs dupes !s’écria-t-il ; eux des Espagnols arrivant du Milanais ?eux des soldats destinés au corps de Pappenheim ? Mais ce sontdes huguenots, des Français !

Un cri de rage lui répondit. Un corps de cinqcents cavaliers, choisis parmi les mieux montés, fut mis à ladisposition de Jean de Werth, et l’on envoya des estafettes danstoutes les directions pour bien se rendre compte du cheminqu’avaient pris les insaisissables fugitifs.

Il n’était pas facile de le reconnaître, lepays étant sillonné par de nombreux escadrons dont les traces secroisaient dans tous les sens et se confondaient ; de plus,les protestants portaient, comme on sait, la cocarde impériale, etils avaient pour guide un homme qui connaissait admirablement lepays et était au fait de toutes les ruses de guerre. Leur bandeglissait à travers champs comme un brochet à travers les eauxtroubles d’un étang.

Quelques renseignements, qui avaient uncaractère assez complet d’exactitude, permirent enfin à Jean deWerth de se fixer sur le point de l’horizon vers lequel il devaitdiriger sa course. Mme d’Igomer se montrait plusirritée et plus impatiente encore que lui-même, et la nuit, qui lessurprit dans la campagne, n’arrêta pas leur marche.

Au point du jour, et grâce aux cavaliers quiéclairaient leurs flancs, ils savaient, à n’en pas douter, où setrouvaient les compagnons de M. de la Guerche. On eut dèslors l’espoir de les atteindre vers le soir.

Jean de Werth se tourna vers sescavaliers :

– Les huguenots sont devant vous.Souffrirez-vous que, rentrés dans leur patrie, ils racontentcomment ils ont vaincu les Impériaux dans dix rencontres ?

Un hourra terrible et les cliquetis de millesabres lui répondirent.

– Alors, mort aux Français !

Et la poursuite recommença.

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