La Marquise de Pompadour

Chapitre 20LA DÉCLARATION

Louis XV était resté près de Jeanne, dans le petit salon retiré,lorsque le malheureux d’Assas eut involontairement fait tomber laportière. Le roi, en effet, se souciait médiocrement de laréputation des femmes qu’il désirait. Rendons-lui d’ailleurs cettejustice qu’il ne permettait à personne de sourire d’elles en saprésence et qu’il les défendait avec une sorte d’emportementchevaleresque.

Jeanne, au contraire, lorsqu’elle se vit seule avec Louis, eutun mouvement d’effroi.

– Sire, murmura-t-elle, de grâce, permettez-moi de releverles tentures…

– Et pourquoi donc, ma belle enfant ? répondit le roi.Pensez-vous donc qu’on oserait vous soupçonner ? Croyez-moi,nul ne peut s’étonner qu’il me plaise de m’entretenir avec vous,seul à seule. Et si quelqu’un s’étonnait, je vous jure que vousn’en seriez pas atteinte… Ce mouchoir que vous m’avez ordonné degarder n’est pas plus près de mon cœur que le souci de votrerenommée…

En prononçant cette phrase alambiquée avec un sourire où il yavait plus de galanterie affectée que de passion, le roi saisit lamain de Jeanne et la conduisit jusqu’à un canapé où il la fitasseoir.

– Sire, balbutia Jeanne éperdue, m’asseoir devant leroi !… Votre Majesté oublie…

– Eh ! qu’importe de vaines questions d’étiquette, fitLouis XV en prenant place près d’elle. Il n’y a pas ici de majesténi de roi… il n’y a qu’un gentilhomme qui veut vous dire combien ilest charmé de vous approcher enfin de si près, après l’avoir sivivement souhaité…

– Il est donc vrai ! s’écria Jeanne dans la joie naïveet puissante de son âme ; vous avez désiré me voir !…

– Sur l’honneur !… Depuis que je vous ai rencontrée àla clairière de l’Ermitage, je suis comme un écolier amoureux… jerêve, je soupire, et, Dieu me damne, je fais des vers, ce qui faitque je dois vous paraître d’un ridicule…

– Oh ! Sire !… Vous !… Le roi !

Jeanne, toute haletante, avait prononcé ces mots avec uneconviction ardente, absolue, – une sorte de cri de révolte. Lamajesté royale, à ses yeux, ne pouvait pas tomber auridicule !

Louis XV haussa les épaules – imperceptiblement, –intérieurement, si on peut dire.

– Encore Sire ! pensa-t-il. Encore le roi ! il nes’agit point de cela en ce moment !

Jeanne ne voyait rien. Elle était comme éblouie. Ce cher rêvequ’elle avait à peine osé caresser dans le secret de ses pensées seréaliserait donc sans effort apparent !

Quoi ! c’était bien le roi de France qui était assis prèsd’elle, qui tenait sa main et qui lui parlait si doucement… qui luiparlait d’amour !…

Un sourire d’extase voltigeait sur ses lèvres.

Elle ne songeait à cacher ni son bonheur ni la joie intense quidébordait de son cœur.

Et elle était adorable…

Il eût fallu une âme de poète, d’artiste ou d’amoureux pourcomprendre et admirer ce qu’il y avait de pur, de radieux et deprofond dans cette passion qui éclatait à chacun de ses gestes…

Hélas ! Louis XV n’était qu’un roué !

Il ne voyait là qu’une amourette dont il s’amuserait huit jours…et puis il passerait à d’autres jeux !…

Il était bien loin de penser que cette petite fille pût prendreun empire quelconque sur lui…

Mais l’amour vrai, la passion sincère, possède de magnétiqueseffluves qui peu à peu pénètrent, attirent et fascinent…

Quelle que fût sa froideur, Louis XV fut ému de ce qu’ilentrevoyait.

Et cette émotion, si Jeanne eût connu la véritable insensibilitédu roi, eût été déjà pour elle un triomphe.

Mais bien loin de songer à analyser les sensations de Louis, lapauvre enfant n’avait même pas la force ou la volonté de s’observersoi-même.

Elle était comme un de ces jolis oiselets qu’on a longtempsretenus en cage, dans l’obscurité, sous des voiles, et qu’on lâchetout à coup au grand soleil.

La mignonne créature éperdue bat des ailes, toute ravie, touteéblouie ; son cœur bat, elle ne sait où se réfugier, la clartél’inonde, la transporte de joie… mais ose-t-elle seulement leverson regard timide vers l’astre éblouissant ?…

Ainsi Jeanne sentait son cœur éperdu voler de place en place,avec l’unique sensation délicieuse qu’il éprouvait un intenseéblouissement.

Sans doute Louis se rendit compte de ce qui se passait enelle.

Car, soudainement, il quitta ce sourire affecté qu’il avaitgardé jusque-là.

Son regard se troubla.

Il se pencha un peu vers l’exquise amante qui semblait s’offrirde toute son âme candide au premier baiser d’amour. Et ilreprit :

– Oui, depuis que je vous ai vue si jolie, si douce ;depuis que j’ai entendu votre voix me demander la grâce du pauvrecerf traqué, je n’ai plus songé qu’à vous… j’ai cherché à vousrevoir… et je vous ai revue… il me semblait que j’avais bien deschoses à vous dire… et maintenant, je n’ose plus…

Elle avait penché la tête.

Deux larmes de bonheur, deux perles admirables brillèrent entreses cils.

Le roi se laissa glisser presque à genoux, et reprenant ce stylemaniéré qu’il croyait plus apte à frapper l’imagination d’unepetite fille comme Jeanne, il murmura :

– Vous régnez déjà sur le cœur du roi… et quand il vousplaira, vous régnerez à la cour…

Mais ces paroles produisirent un tout autre effet que celuiqu’il attendait.

Jeanne essaya de dégager ses mains.

– Sire, murmura-t-elle, je ne puis désirer d’aller à lacour, car si j’y allais, ce serait…

– Ce serait pour y triompher, interrompit ardemment le roi.Ce serait pour y être admirée, enviée, pour être l’aimable reined’un monde aimable, élégant et fastueux… Mais ma pensée n’est pasde vous offenser, madame… elle est de me soumettre à vos désirs quiseront pour moi des ordres… Oh ! je vous en prie en grâce,parlez-moi selon votre cœur ; car moi, c’est avec tout moncœur que je vous parle… Dois je vous le dire ? Ne l’avez-vouspas deviné déjà ?… Faut-il prononcer ce mot qui fait de moivotre serviteur ?… Eh bien, je vous aime…

Jeanne ferma les yeux.

Son sein palpita.

Louis enlaça sa taille de ses deux bras, et répéta :

– Je vous aime… Et vous ?… Parlez ! oh ! degrâce !… dites-moi si je dois vivre ou mourir…

Hélas, encore une de ces phrases qui faisaient partie du bagageséducteur des roués d’alors.

Mais ce mot « mourir » produisit sur Jeanne unprodigieux effet.

Elle devint très pâle et laissa tomber sa tête sur l’épaule deLouis. Les larmes, des larmes délicieuses, une à une, débordèrentde ses yeux fermés.

– Ô mon roi ! balbutia-t-elle, s’il ne faut que monamour pour vous empêcher de mourir… eh bien… vivez… car Dieu m’esttémoin que je vous aime !… Depuis quand ? Je ne sais pas…Je crois que je vous aime depuis toujours… Si vous saviez commej’ai pleuré lorsqu’on vous ramena malade, lorsque tout Parispleurait ! Si vous saviez comme j’ai prié, les genoux sur lesdalles des églises !… Oh ! je ne puis tout vous dire, carje sens bien que je n’arriverai pas à traduire ce que je pense…mais depuis si longtemps… depuis que je sens battre mon cœur, vousêtes le souverain de mon âme… Tenez… lorsque j’allais à cetteclairière où vous m’avez rencontrée, que de fois j’ai écouté aufond du bois le son du cor de votre chasse ! Que de fois j’aiespéré vous voir passer ! Et alors je souhaitais d’être labiche qu’on poursuit ! que sais-je ? J’avais des rêveriesde folle !… Je songeais parfois que vous n’étiez pas le roi deFrance, et qu’un jour vous me trouveriez sur votre chemin, que vousme prendriez dans vos bras… et qu’en cette clairière, nousbâtirions l’ermitage d’amour où, loin du monde, nous passerionsnotre heureuse vie à nous adorer !…

– Chère âme ! s’écria Louis, remué cette fois jusqu’aufond de l’âme, je veux que votre rêve s’accomplisse ! Je veuxfaire bâtir à l’Ermitage un palais digne de votrebeauté !…

– Oh ! non !… pas un palais !… Sire !Sire !… pardonnez-moi… je vous aime pour vous… c’est vous quej’aime… le reste me fait horreur… Fêtes, grandeur, gloire,puissance… est-ce que tout cela existe devant l’amour !…

– L’amour !… Je connaîtrai donc enfin l’amourvrai !…

Plus étroitement, Louis, pâli, Louis, bouleversé, enlaçaJeanne ; ils étaient l’un contre l’autre ; maintenantelle avait ouvert les yeux… elle osait regarder le soleil en face…ils frémissaient… Leurs lèvres, doucement, se rapprochèrent, secherchèrent… se touchèrent et s’unirent…

Dans le lointain de la fête, les violons, accompagnés de harpes,jouaient un air de gavotte infiniment doux et tendre…

Sous le baiser du roi de France, le baiser de Louis… duBien-Aimé… son premier baiser d’amour, Jeanne devint blanche commeune morte…

– Je t’adore ! murmura Louis palpitant.

– Je vous aime, bégaya-t-elle, je vous aime… de toute monâme… ah ! de tout mon être…

À ce moment, les tentures de la portière se soulevèrent.

Une tête hideuse se montra et contempla un instant ce coupleharmonieux.

C’était Henri Le Normant d’Étioles !…

Il eut un sourire livide, et, se retournant, il fit signe àquelqu’un d’approcher, de regarder…

Et ce quelqu’un regarda à son tour…

Cet homme, à la vue du tableau d’amour qu’il avait sous lesyeux, poussa un rauque soupir, ses ongles déchirèrent sapoitrine ; il devint si pâle qu’on eût dit qu’il allait tomberlà, foudroyé !…

D’Étioles le prit par la main et l’entraîna.

Quand ils furent dehors, il gronda :

– Eh bien, maître Damiens, ne vous l’avais-je pasdit ? N’avais-je pas raison de croire queMme d’Étioles avait un amant ?…

Damiens poussa un sourd gémissement.

– Je vous ai adopté pour le confident de mes chagrins,reprit d’Étioles… vous m’avez juré de veiller…

– Je veillerai ! Oh ! Je veillerai !

– De me venger, s’il le faut !

Et Damiens, crispant les poings, serrant les dents,répondit :

– Oui !… je vous vengerai !…

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