La Marquise de Pompadour

Chapitre 31MYSTÈRES

Quatre jours s’écoulèrent.

Pendant ces quatre journées, Louis XV mena une vie exemplaire,s’occupa des affaires du royaume, joua le soir avec ses courtisans,fut gracieux avec la pauvre reine Marie, gai causeur avec sespoètes, sérieux avec ses ministres, et fit enfin en conscience sonmétier de roi.

Le soir du quatrième jour, vers dix heures, il se retira dans sachambre, et il était déjà à demi déshabillé lorsque ses yeuxtombèrent sur un papier plié en quatre et jeté sur une table.

Il le prit machinalement, le déplia, le lut et pâlit.

Le billet contenait ces mots :

« Mme d’Étioles s’ennuie. Elle est décidéeà regagner Paris dès demain. »

– Lebel ! fit le roi. Qui a apporté ce mot ?

– Moi, Sire ! répondit le valet de chambre.

– L’as-tu lu ?

– Non, Sire…

– Qui te l’a remis ?…

– La fille de chambre de la petite maison de SaMajesté.

– Quand cela ?…

– Il y a une heure.

– Et ne t’a-t-elle rien dit ?…

– Rien, Sire… si ce n’est…

– Si ce n’est ?… Achève donc, imbécile !…

– Qu’elle se tiendrait à la porte d’entrée, à partir deminuit…

Louis XV étouffa un rugissement de joie.

– Lebel, dit-il, habille-moi à l’instant…

– Quoi ! Votre Majesté veut sortir à pareilleheure !…

– Habille-moi, te dis-je !… D’ailleurs, tum’accompagneras. Avec toi, je n’ai rien à craindre.

Lebel jeta un rapide coup d’œil sur la pendule. Elle marquaitdix heures et demie. Il commença à habiller silencieusement leroi.

Louis XV, qu’on se figure volontiers comme une sorte de FrançoisIer plus policé, plus raffiné, mais tout aussientreprenant, Louis XV n’était ni un audacieux ni un oseur.

Il avait passé ces quatre journées à jouer la comédie de laréconciliation avec Marie Leszczynska, et il était en somme assezbourgeoisement effaré du coup d’audace qu’il avait fait en enlevantMme d’Étioles.

Pendant ces quatre jours, il ne se passa pas une heure où il nes’affirmât qu’il allait coûte que coûte se rendre à la petitemaison.

Tout au moins irait-il en plein jour saluer celle qu’il aimaitd’autant plus qu’il mettait plus de mystère à l’aimer.

Le billet reçu fut le feu mis aux poudres.

Comme tous les faibles qui foncent tête baissée sur l’obstaclede crainte d’en découvrir les dangers, Louis XV, une fois décidé,se mit à trépigner d’impatience.

Et s’il ne partit pas immédiatement, ce fut grâce à l’étrangelenteur que Lebel mit à l’habiller de pied en cap. Il était près deminuit lorsque Louis XV fut prêt. Et il fallait vingt minutesenviron pour se rendre à la petite maison.

Le cœur battant, les tempes en feu, il descendit enfin lessolennels escaliers du château, franchit les grilles, accompagné deLebel qui donnait le mot de passe, et d’un pas rapide se dirigeavers la petite maison.

 

Pendant ces quatre journées, que devenait le chevalierd’Assas ?

Le lendemain matin de ce fin repas qu’il avait si bien arrosé dechambertin et à la suite duquel il s’était cru transporté dans lepays des Mille et une Nuits, d’Assas s’étaitréveillé un peu tard et assez étonné de se trouver là.

Il crut d’abord qu’il continuait à rêver.

Mais la vue de la fameuse bourse contenant deux mille francs etqu’il avait jetée sur la table lui prouva qu’il se trouvait bien enprésence d’une réalité – mystérieuse et redoutable, peut-être, maisréalité dont, au demeurant, il n’avait pas à se plaindrejusque-là.

Il songea aussitôt qu’il y avait une deuxième bourse pareilledans le deuxième costume accroché dans l’armoire, et résolut deprofiter jusqu’au bout de la princière hospitalière deM. Jacques.

Il sauta donc de son lit, qui était fort moelleux, fit satoilette et revêtit l’un des deux costumes.

– On le dirait fait sur mesure, songea-t-il. Quoi qu’il ensoit, cela tombe à merveille. Car avec une casaque d’officier, jen’aurais pu faire vingt pas sans être remarqué.

Une fois habillé, il se dirigea vers la porte dans l’intentionde sortir. Derrière cette porte, il vit se dresser le valet jovialet loquace qui l’avait introduit.

– Monsieur le chevalier sort ? demanda cet homme.

– Oui, mon ami. Est-ce que par hasard ce seraitdéfendu ? Ne te gêne pas pour me le dire, car cela nem’empêcherait nullement de sortir.

– En aucune façon, monsieur. Et pourquoi serait cedéfendu ? Je voulais simplement demander à monsieur lechevalier ce qu’il désire manger à son dîner.

– Le rêve continue, pensa d’Assas. Ce que tu voudras, monami… comment ?

– Lubin, pour vous servir, mon officier. Et puis, jevoulais recommander à monsieur le chevalier de ne pas trop semontrer en plein jour.

– Et pourquoi cela, Lubin ?

– Parce que je suppose que si mon maître a offertl’hospitalité à monsieur le chevalier, c’est qu’il le juge entouréde graves dangers…

– Ah ! ah ! fit d’Assas qui tressaillit et dressal’oreille.

– Mon officier, reprit mystérieusement Lubin, nous avons euun de vos prédécesseurs tout tranquillement tué…

– Tué !… Ah çà !…

– Oh ! mon Dieu, oui ! Il était jeune comme vous,beau comme vous, audacieux comme vous ; un jour, il voulutsortir comme vous allez faire… il nous revint vers la nuit avecdeux bons coups d’épée au travers du corps, ce dont il trépassa uneheure plus tard le plus chrétiennement du monde, au reste. Nousavons appris par la suite que ce digne gentilhomme avait rôdé detrop près autour d’une maison solitaire où demeurait la dame de sespensées… et que quelque jaloux… le mari peut-être… vouscomprenez ? Enfin, j’ai cru de mon devoir de prévenir monsieurle chevalier.

– Ton intention est bonne, mon ami. Aussi, pour le soin quetu veux bien prendre de ma santé, voici deux louis…

À la grande surprise du chevalier, le valet Lubin sourit etrefusa poliment les deux louis, en disant qu’il se ferait chassers’il acceptait et que c’était lui, au contraire, qui était chargéde remplir les fameuses bourses à mesure qu’elles sevideraient.

D’Assas sortit, assez préoccupé de cet incident.

Les paroles de Lubin semblaient si bien s’appliquer à sa propresituation, il y avait, ou du moins il croyait comprendre une tellemenace sous les avertissements de cet étrange valet qui refusait lepourboire, qu’il en eut un frisson.

Mais pour rien au monde d’Assas n’eût renoncé à ce qu’il allaitfaire.

Et puis, en mettant les choses au pis, s’il était attaqué, il nese laisserait pas ainsi tout doucement égorger.

Et puis enfin, s’il était tué… eh bien ! il ne souffriraitplus, voilà tout !

D’Assas se rendit donc tout droit à la petite maison, résolu à yentrer, à voir Jeanne, à se jeter à ses pieds et à lui demanderpardon des paroles qu’il avait prononcées lors de la rencontre ducarrosse.

Car il ne mettait plus en doute que Jeanne n’eût été enlevée parviolence.

Seulement, il se disait que la violence avait été morale, que lamalheureuse jeune femme avait dû céder à quelque effrayante menacedans le genre de celles qui l’avaient décidée, elle si belle, àépouser d’Étioles, ce monstre.

Le chevalier partit presque en courant, résolu à frapper à laporte de la petite maison dès qu’il y arriverait.

Mais une fois qu’il fut en vue de la maison, il ralentit le pas,et finalement s’arrêta sous le quinconce où il avait rencontré duBarry.

Maintenant, il n’osait plus !…

Vingt fois il fit le mouvement de se diriger vers la porte,vingt fois il recula…

Enfin, après s’être vigoureusement morigéné soi-même sur salâcheté, il marcha droit à la porte et souleva le marteau… puis ilattendit, palpitant…

La porte ne s’ouvrit pas.

Aucune réponse ne lui parvint.

La maison ne donnait pas signe de vie.

À diverses reprises, il frappa.

Toujours même silence.

Enfin, il aperçut une sorte de paysan qui, le voyant frapper,s’arrêta, souleva son bonnet et dit :

– Mais, mon gentilhomme, cette maison est inhabitée. Vousappelez en vain… Voici des mois que je passe devant tous les jours,et jamais je n’y ai vu âme qui vive…

D’Assas eut une sueur froide.

Est-ce que Jeanne était repartie, ou bien est-ce qu’on l’avaittransportée ailleurs ?…

Non ! C’était impossible… Mais il fit cette réflexion qu’onne lui ouvrirait certainement pas et qu’en s’obstinant à frapper,il risquait de donner l’éveil à ces jaloux dont avait parléLubin…

Il se retira donc, et rentra fort désespéré dans la mystérieusemaison de la ruelle aux Réservoirs.

Il passa le reste de la journée et la soirée à combiner desplans pour le lendemain.

Il avait fait le tour de la maison.

Il avait vu la petite porte du jardin et il se disait que par làil réussirait peut-être à entrer.

Lubin, comme la veille, lui servit un excellent souper arrosé devins supérieurs. Comme la veille d’Assas finit par s’étourdir, etse coucha avec l’espoir de faire au moins de bons rêves puisque laréalité lui était si peu propice.

Malheureusement, il paraît que tout s’en mêlait, car il euttoutes les peines à s’endormir, et lorsqu’il fut enfin endormi, cefurent des cauchemars qui vinrent l’assaillir au lieu des rêvesd’amour qu’il avait espérés.

Ces rêves prirent bientôt la consistance de la réalité vivante,visible et tangible.

Il y avait une veilleuse dans la chambre.

Et à son indécise clarté, d’Assas pouvait parfaitementdistinguer tous les objets qui garnissaient cette pièce.

Rêvait-il ?… Était-il éveillé ?… Toujours est-il qu’ilavait les yeux entr’ouverts lorsqu’il lui sembla tout à couppercevoir un bruit imperceptible et un mouvement plus imperceptibleencore ; bruit et mouvement étaient ceux d’une porte qu’onouvre avec d’infinies précautions, et cette porte, c’étaitprécisément celle de sa chambre sur laquelle à ce moment son regardétait vaguement fixé…

D’Assas sentit le frisson de l’épouvante glisser le long de sesreins.

Il était brave, pourtant, follement brave et téméraire.

Mais, dans l’état d’esprit où il se trouvait, entouré de tout cemystère impénétrable, dans cette maison qui pouvait être untraquenard pour égorgements nocturnes, à peine éveillé des songespénibles qui avaient agité son sommeil, il eut la sensation aiguëqu’il allait être tué sans défense possible.

Il jeta un regard vers les pistolets qui étaient restés sur latable… et il allait bondir, lorsque la porte acheva de s’ouvrir etune femme parut !…

D’Assas demeura immobile, les yeux à demi fermés, pris d’uneirrésistible curiosité.

Qui était cette femme ? Que lui voulait-elle ?

Elle était enveloppée d’un long manteau noir, et un loup noirmasquait son visage.

Elle était arrêtée dans l’encadrement de la porte, et d’Assasvoyait briller ses yeux au fond des trous du masque.

Et maintenant, c’était une superstitieuse épouvante qui seglissait jusqu’à son âme !…

Qu’était-ce que cette statue noire ?… De quel enfersortait-elle ?…

Il eut un long frisson lorsqu’il vit la femme… la statue noires’avancer vers le lit.

Il voulut se redresser, appeler, crier, ouvrir tout à fait lesyeux…

Il se sentit paralysé par l’horreur.

La femme s’avançait les yeux fixés sur lui. Parfois, lorsque leplancher criait, elle s’arrêtait soudain, attendait quelquessecondes, puis se remettait en marche…

Enfin, elle atteignit le lit et se pencha doucement enmurmurant :

– Pas un geste… pas un mot… ou je paierai de ma vie sansdoute l’intérêt que je vous porte… Vous m’entendez, n’est-cepas ?… faites-moi comprendre que vous m’entendez en ouvrant eten fermant les paupières… mais, au nom du ciel,taisez-vous !…

D’Assas obéit… Il ouvrit et ferma les paupières.

Alors, tandis qu’un prodigieux étonnement enchaînait sa pensée,il sentit que la femme se baissait davantage vers lui… Et d’unevoix faible comme un souffle, elle murmura :

– Chevalier d’Assas, n’entrez jamais, ni le jour ni lanuit, sous quelque prétexte qu’on vous y invite, n’entrez jamaisdans le petit pavillon qui est en face de celui-ci !…Avez-vous compris ?… Si oui, répétez le même signe…

Pour la deuxième fois d’Assas ouvrit et referma lespaupières.

Alors, brusquement, il eut sur le front la sensation étranged’un baiser à la fois brûlant et glacé…

Il ouvrit brusquement les yeux…

La femme mystérieuse, la statue noire se redressait…

Elle mit le doigt sur sa bouche comme pour lui faire unerecommandation suprême… puis, avec la même lenteur, avec les mêmesinfinies précautions, elle se retira, atteignit la porte… la ferma…disparut, s’évanouit dans la nuit comme un fantôme…

Pendant de longues heures, le chevalier demeura éveillé, doutantparfois de ses sons, se demandant s’il n’avait pas eu quelquehallucination… Mais non !…

Comme pour répondre par avance à cette question, la statue noireavait laissé dans la chambre un pénétrant parfum de verveine…

Et d’Assas finissait par se demander même comment ce parfumpouvait persister aussi longtemps lorsque, s’étant à demi soulevésur le coude, il aperçut tout près de lui, sur les couvertures, unmouchoir de fine batiste richement brodé que l’inconnue, ens’appuyant des deux mains, avait dû oublier là…

C’était ce mouchoir qui était imprégné de verveine. Il portaitcomme chiffre un J et un B entrelacés, surmontés d’une couronnecomtale…

– Ne jamais pénétrer dans le pavillon d’en face !murmura le chevalier. Pourquoi ?… Que s’y passe-t-ildonc ?… Et que m’arriverait-il si jamais j’ypénétrais ?…

Il finit à la longue par s’assoupir…

À son réveil, il faisait grand jour.

Il allait sauter à bas de son lit, lorsque, sur la table denuit, il aperçut un petit papier plié en quatre.

Il l’ouvrit aussitôt et lut ces lignes :

« On vous recommande la patience. Vous avez commis hier degrandes imprudences. Lorsqu’il en sera temps, vous serez prévenu.Tenez-vous prêt. Dès que l’heure en sera venue, vous n’aurez qu’àvous rendre à l’heure qu’on vous indiquera à la petite maison où setrouve celle que vous aimez. Vous vous présenterez à la petiteporte bâtarde du jardin. Celle que vous aimez sortira par là. Vousserez prévenu du jour et de l’heure par un billet semblable àcelui-ci… D’ici là, prenez patience. Ne sortez pas ou peu. N’allezplus rôder là-bas… »

– Cela se complique et se simplifie en même temps !murmura d’Assas.

Il eut dès lors la sensation très nette qu’il était engrené dansquelque chose de formidable.

Mais le chevalier aimait. Il était ardemment et sincèrementépris. Il n’hésita pas. Il résolut de se fier au terribleorganisateur de toute cette pièce où il jouait un rôle sans savoirsi la pièce tournerait au drame ou à la tragédie…

Les jours suivants se passèrent sans incidents.

Lubin était aux petits soins et lui servait des dîners fins, luitenait compagnie, l’étourdissait de son babil…

Cependant, le matin du quatrième jour, d’Assas, rouged’impatience, était résolu à faire une nouvelle tentative du côtéde la petite maison.

Or, ce matin-là, par la même voie, lui parvint un nouvelavertissement ; c’est-à-dire qu’en se réveillant, il trouvasur la table de nuit un billet ainsi libellé :

« Ce soir, à dix heures, rendez-vous à la porte bâtarde dujardin de la petite maison. Celle que vous aimez sortira. Le restevous regarde… »

Le cœur de d’Assas battit à rompre et il eut la tentation debaiser ce billet !… Mais soudain il pâlit…

Il y avait un post-scriptum au billet !…

Et le post-scriptum disait :

« Si vous voulez continuer à accepter l’hospitalité quivous est offerte dans cette maison, et si vous décidez celle quevous aimez à vous accompagner, vous entrerez dans le pavillon d’enface qui est mieux aménagé pour recevoir une femme. »

– Le pavillon d’en face ! murmura d’Assas enfrissonnant Oh ! que médite-t-on ici ? Qu’yprépare-t-on ?… Et qui veut-on y tuer ?…

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