La Marquise de Pompadour

Chapitre 33LA MAISON DES RÉSERVOIRS

Jeanne, en voyant se refermer si brusquement la porte du jardin,eut la sensation qu’elle avait été jouée par celle qui avaitprétendu vouloir la sauver. La pensée lui vint d’appeler, derentrer coûte que coûte dans la maison. Mais si cette Julie avaitdit vrai, pourtant !…

Elle entendait les coups que l’on frappait à la ported’entrée…

La pensée du danger que courait le roi la fit frissonner.

– Oh ! murmura-t-elle, lui d’abord ! Il faut leprévenir ! le sauver !…

Et elle s’élança, s’écartant le plus possible de la ported’entrée, quitte à faire ensuite un crochet pour revenir surVersailles.

Car sa résolution était arrêtée.

Aller tout droit au château, et faire prévenir le roi qu’ungrave danger le menaçait s’il allait à la petite maison.

Comme elle s’engageait sous les quinconces, une ombre, un hommese détacha soudain de la nuit.

Elle étouffa un cri.

Mais, nous l’avons dit, Jeanne était brave.

Elle sortit de son sein un petit poignard à manche d’or ciselé,et, d’une voix ferme :

– Qui que vous soyez, dit-elle, place ! Laissez-moipasser ! Gentilhomme ou manant, ce que vous faites estindigne ! Mais je vous préviens que je suis décidée à medéfendre !… Regardez ceci !

L’homme se recula d’un pas, s’inclina profondément, et, d’unevoix où tremblait un sanglot :

– Mon malheur est grand, madame, d’avoir pu, ne fût-cequ’un instant, vous effrayer et passer peut-être à vos yeux pourquelque larron d’honneur…

– Le chevalier d’Assas ! s’écria Jeanne.

– Oui, madame !… Le chevalier d’Assas qui vientdéposer son amour à vos pieds et mettre son épée à votreservice…

Jeanne poussa un cri de joie, et tendit ses deux mains.

– Ah ! chevalier, fit-elle, dans les circonstances oùje me trouve, nulle rencontre ne pouvait m’inspirer la confianceque vous m’inspirez, vous…

Le cri, le geste et la parole transportèrent le chevalier.

C’était plus qu’il n’eût osé rêver.

Son cœur se dilata et se mit à battre la diane de l’amour.

– Éloignons-nous tout d’abord, dit Jeanne.

– Prenez mon bras, madame, fit d’Assas, et soyez convaincueque, sous la sauvegarde de ce bras, vous n’avez rien àcraindre !…

– Je le sais, chevalier, répondit Jeanne en prenant le brasque lui offrait d’Assas et en s’y suspendant, pleine deconfiance.

Ils se mirent en marche.

D’Assas croyait faire un beau rêve.

Jeanne à son bras ! sous sa protection ! Ce fut pourlui un instant plein de délices, une de ces minutes qu’on n’oubliejamais…

Il marchait dans une sorte de ravissement, n’osant prononcer unmot.

Et, de son côté, elle se taisait…

Cependant, pour elle beaucoup plus que pour d’Assas, le silencedevint bientôt plein d’embarras.

– Chevalier, demanda-t-elle alors, comment vous êtes-voustrouvé devant ce jardin juste au moment où j’en sortais ?…

– Pouvez-vous le demander ?… Dès que j’ai connu lamaison où vous vous étiez réfugiée, j’ai erré sous ces quinconcescomme une âme en peine…

– Mais comment avez-vous pu savoir que j’étais dans cettemaison ?

– J’ai suivi le carrosse qui vous a amenée, fit lechevalier en pâlissant à ce souvenir.

Le chevalier venait de faire un double mensonge.

C’est par Bernis qu’il avait été conduit jusqu’à la petitemaison.

C’est par le mystérieux billet qu’il avait reçu le matin qu’ilavait su que Jeanne en sortirait à dix heures.

Mais quel est l’amoureux qui n’a pas quelque faute de ce genre àse reprocher !

Jeanne réfléchissait. Elle voulait prévenir le roi du danger quile menaçait. Et elle ne pouvait pourtant pas demander à d’Assas,rival de Louis XV en amour, de l’aider en une pareilleœuvre !

Une chose la rassurait : c’est que les inconnus quivoulaient pénétrer dans la maison n’avaient d’autre projet que dela forcer à écrire au roi. C’est donc sur une lettre d’elle que cesgens comptaient pour attirer le roi dans leur guet-apens.

La lettre n’ayant pu être envoyée, puisqu’elle n’était pasécrite, le danger n’était pas immédiat.

Elle résolut donc d’attendre pour prévenir Louis XV.

Mais, en même temps, elle résolut de ne pas s’éloigner deVersailles.

– Où me conduisez-vous, chevalier ? reprit-elle.

– Où vous me donnerez l’ordre de vous conduire,madame ! Si vous désirez retourner à Paris, je puis, avec moncheval…

– Non, non, fit-elle vivement. Il faut que je reste àVersailles…

Un nuage passa sur le front de d’Assas qui poussa un profondsoupir.

Versailles !… C’est-à-dire le roi !…

Mais il était trop heureux de la sentir si près de lui pours’appesantir longtemps sur ses idées de jalousie.

– Puisque vous ne voulez pas retourner à Paris, dit-il enhésitant, je ne vois qu’un moyen…

– Et c’est… ? Parlez hardiment, chevalier…

– C’est de vous conduire chez moi ! fit d’Assas enrougissant comme s’il eût dit une énormité.

– C’est le mieux, dit-elle simplement. Chez vous, sous lagarde d’un homme comme vous, je n’aurai plus rien à craindre…

Cette simplicité avec laquelle Jeanne acceptait sa propositionnavra le pauvre d’Assas.

Il s’était attendu à une résistance… Jeanne consentait toutnaturellement à venir chez lui… comme elle se fût rendue chez unfrère. Et il eut alors la sensation aiguë et douloureuse que cellequ’il adorait lui témoignait par trop de confiance, qu’ellel’aimait vraiment comme un frère… et que jamais elle ne l’aimeraitautrement.

Et pourtant, de cette confiance, il éprouvait malgré tout unesorte de fierté.

Il se mit donc à marcher résolument vers les Réservoirs ets’arrêta devant la porte de la mystérieuse maison oùM. Jacques lui avait offert une si étrange hospitalité.

Mais alors, le souvenir de ces étrangetés mêmes lui revint toutà coup et le fit frissonner.

Il se rappela la visite de ce fantôme, de cette femme tout ennoir qui lui avait dit de ne jamais entrer dans le pavillon d’enface, sous quelque prétexte que ce fût !

Il se rappela que le billet reçu le matin lui disait justementque c’était ce pavillon d’en face qu’on mettait à sa disposition aucas où il rentrerait dans la maison avec Jeanne…

Il pressentit quelque terrible danger…

Il voulut reculer… trop tard ! La porte s’ouvraitdéjà ! Et Lubin – le valet attaché à son service –apparaissait.

D’Assas prit aussitôt son parti de l’aventure.

Il se sentait plein de force et de courage.

– Quoi qu’il arrive, pensa-t-il, je suis là pour laprotéger… Dès demain matin, je chercherai un autre refuge pourJeanne.

Et il entra !… Elle le suivit, trop préoccupée de sespropres pensées pour s’étonner des dispositions bizarres de cettemaison.

Dans la cour, Lubin, qui marchait en avant un flambeau à lamain, inclina à droite.

C’était dans le pavillon de gauche que logeaitd’Assas !

Il fut sur le point de demander à Lubin les raisons de cechangement de logis. Mais il était trop tard maintenant. Enparlant, il risquait non seulement d’épouvanter Jeanne, mais dedonner l’éveil à ceux qui pouvaient le guetter !

Il entra donc, la main sur la garde de son épée, dans cepavillon où, selon le mystérieux avis de la femme en noir, il n’eûtjamais dû pénétrer.

– Mes pistolets ? demanda-t-il rudement à Lubin.

– Les voici, monsieur, dit le valet en souriant.

Le chevalier aperçut alors sur une table ses pistolets que luimontrait Lubin.

Cette vue le rassura.

– Pour cette nuit, du moins, pensa-t-il, on ne veut riententer contre moi ou contre Jeanne. Sans quoi, on ne m’eût pasapporté ces armes de défense… à moins…

Une pensée soudaine traversa son esprit, et il examina lespistolets : ils étaient bien chargés…

Dès lors, d’Assas fut entièrement rassuré et commença à croireque le fantôme noir avec son avis n’était qu’un mythe de sonimagination.

D’ailleurs, il faut avouer que l’aspect du petit salon où ilvenait de pénétrer n’avait en soi rien de bien alarmant.

C’était un coquet et élégant boudoir où la plus difficile despetites-maîtresses n’eût rien trouvé à redire.

Cette élégance et cette coquetterie, Jeanne les avait remarquéesnon sans un certain trouble.

Comment le chevalier d’Assas, pauvre officier, plus habitué auxcamps qu’aux salons, avait-il pu songer à tous cesraffinements ?… Et comment avait-il pu, surtout, faire ladépense que nécessitait un pareil ameublement ?

Elle finit par se dire que le chevalier avait dû y engagerplusieurs années de sa solde.

– Pauvre garçon ! songea-t-elle en le regardant avecattendrissement.

D’ailleurs, elle était à l’aise dans cette situation qui eûtsemblé scabreuse à une femme d’esprit moins alerte…

Elle considérait ces tentures précieuses, ces meubles délicats,ces bibelots coûteux, avec une sorte de reconnaissanceattendrie.

– Il a voulu que je retrouve ici toutes mes habitudes…

Le chevalier, de son côté, s’étant assuré que ses pistoletschargés étaient à sa portée, examinait attentivement l’endroit oùil se trouvait et, n’y découvrant rien de suspect, s’abandonnait aucharme et au bonheur de se trouver si près de son idole.

– Madame est servie ! fit tout à coup Lubin enapparaissant au fond d’une pièce voisine.

– La magie continue, se dit le chevalier.

Jeanne ne se sentait aucun appétit. Mais elle eût cru froissercruellement le chevalier en lui refusant de s’asseoir à sa table etde faire honneur à ce repas qu’il avait dû prendre une joied’enfant à ordonner…

Elle passa donc dans la salle à manger qui était digne en toutdu petit boudoir…

– Chevalier, dit-elle en se mettant à table, vous avez faitdes folies… Ce salon, cette salle à manger… ce souper luxueusementordonné…

D’Assas demeura stupéfait.

Il n’avait pas songé à cela, lui ?…

Et comment faire pour détromper Jeanne ? Comment lui direqu’il n’était pas chez lui ?…

– Madame… balbutia-t-il.

– Mais vous m’attendiez donc ? reprit Jeanne tout àcoup.

– Eh bien, oui ! s’écria le chevalier en devenantpourpre. Je vous attendais ! Est-ce que je ne vous attends pastoujours ?

Il se détestait de mentir ainsi…

Mais il avait si bien compris la question qui allait surgir surles lèvres de Jeanne s’il ne répondait pas ainsi :

– Alors, vous attendiez une femme ?

– Je vous en supplie, continua-t-il d’une voix ardente et àla fois tremblante, ne m’interrogez pas, ne me demandez rien…Supposez… tenez… supposez que vous êtes transportée dans une maisonenchantée… que tout ce qui nous entoure n’est que pure magie etfantasmagorie…

– Oh ! mais vous allez m’effrayer !s’écria-t-elle gaiement, ou du moins en s’efforçant de paraîtregaie pour récompenser un peu le pauvre chevalier.

– Ne craignez rien, dit-il tout heureux en effet de cettegaieté ; je suis capable de m’écrier comme dans leCid : Paraissez, Maures et Castillans, c’est-à-direfantômes ou enchanteurs !… Nul de vous ne m’enlèverait en cemoment le cher trésor que j’ai l’insigne bonheur de posséder pourquelques instants…

– Pauvre garçon ! répéta Jeanne en elle-même, toutattendrie. Le chevalier avait prononcé ces paroles avec unevéritable exaltation. Dans son esprit, il s’adressait à ses ennemissupposés qui pouvaient être cachés dans la maison…

Et il jetait autour de lui un flamboyant regard…

Mais ce regard étant revenu à Jeanne, si belle, siresplendissante de son exquise jeunesse, et la voyant si paisible,et si calme, si loin d’elle… oh ! si loin… des larmesemplirent tout à coup ses yeux…

 

Le comte du Barry, comme on l’avait vu, avait accompagnéM. Jacques et Juliette jusqu’à la petite maison desquinconces.

Là, M. Jacques lui avait remis un billet, et le comtes’était élancé, tandis que Bernis faisait le signal convenu à Suzonqui devait ouvrir la porte du petit jardin.

Pendant que se passait entre Juliette, entrée dans la maison, etJeanne la scène que nous avons racontée, et à la suite de laquelleJeanne devait fuir la maison, le comte du Barry courait vers lechâteau de Versailles.

Il était à ce moment environ sept heures.

Le château était en pleine animation. C’était l’heure du dînerdu roi.

Du Barry pénétra dans les vastes et somptueux appartements quiconstituaient, vers l’aile droite, le logis privé de Louis XV. Ilrencontra en chemin une procession de marmitons qu’escortaient desSuisses en grande tenue de parade commandés par un officier.

L’officier venait en tête, l’épée à la main.

Derrière lui marchait un grave personnage qui était l’officierde la bouche du roi.

Puis venaient les marmitons, portant deux à deux des paniers oùétaient symétriquement rangés des plats couverts de leurs clochesd’argent.

C’était la viande du roi qui passait !…

C’est à dire son dîner.

Du Barry, de même que tous les gentilshommes qui se heurtaient àce singulier cortège, se découvrit et suivit.

Par une porte largement ouverte il vit la salle à manger.

Louis XV y entrait à ce moment, d’un air indolent, se mettait àtable et commençait à manger, choisissant soigneusement les plats,se plaignant que l’art de la cuisine tombât en décadence, et n’enperdant pas pour cela une bouchée. Bien que ce ne fût pas un royalmangeur comme Louis XIV, qui étonnait ses invités par saprodigieuse voracité, Louis XV était encore une très bonnefourchette.

Les courtisans admis à l’honneur de le voir manger s’étaientmassés dans un coin de la salle, silencieux attentifs au moindregeste du maître…

Louis XV ayant laissé tomber sa serviette, il y eut une ruée detous ces ducs, comtes et marquis… ce fut du Barry qui arrivapremier et eut l’honneur de la ramasser.

Le roi sourit, et du Barry, qui depuis quelque temps se trouvaitassez mal en cour, se trouva amplement récompensé. Mais une joied’un tout autre ordre lui était réservée.

– Comment va la comtesse ? lui demanda tout à coupLouis XV avec cette familiarité de bon bourgeois qui faisait levrai fond de son caractère… Comment ne la voit-on jamais àVersailles ?…

– Sire, dit du Barry qui tressaillit profondément,Mme la comtesse du Barry sera trop heureuse et tropflattée que Votre Majesté ait pris souci d’elle… Quant à venir àVersailles, la comtesse y doit être arrivée à cette heure et,puisque le roi l’ordonne, elle viendra lui faire sa révérence.

Le roi approuva d’un signe de tête.

Et le bruit de ces paroles se répandit aussitôt parmi lescourtisans qui jetèrent des regards d’envie à du Barry.

Cependant celui-ci s’était reculé, et bientôt il ne tarda pas àse confondre avec la foule.

Il regardait autour de lui, et semblait chercher quelqu’un…

Son dîner fini, le roi passa dans la grande salle où il se mit àjouer et se montra fort gai.

Du Barry s’était éclipsé.

Il monta deux étages, passa rapidement devant la chambre oùBernis avait eu avec M. Jacques cette conférence dont nousavons parlé, et parvint enfin à une porte. Un laquais ouvrit aucoup qu’il frappa.

– Est-ce que M. Lebel est visible ? demanda lecomte.

– Je puis le lui demander, fit le laquais.

Lebel était le valet de chambre du roi ; et ce laquais,c’était son valet de chambre, à lui !

L’appartement, composé de cinq pièces bien meublées, eût faitenvie à plus d’un riche bourgeois.

– M. Lebel est visible, fit le laquais en revenant. Simonsieur le comte veut me suivre…

Quelques instants plus tard, le comte entrait dans le salon deLebel, dont le service ne commençait que vers neuf heures du soirpour se terminer après le grand lever.

– Sommes-nous seuls ? fit du Barry à voix basse.

– Vous pouvez parler, répondit Lebel. Dans tout le château,les murs ont des oreilles. Mais ici je me suis arrangé pour que cesoreilles demeurent bouchées… Ainsi, ne craignez rien.

Du Barry tira d’une poche de sa poitrine le billet que lui avaitremis M. Jacques.

C’était, comme on l’avait vu, un papier simplement plié enquatre.

– Pour le roi ! dit le comte.

Lebel prit le papier, le lut, hocha la tête, et ditsimplement :

– Enfin !…

– Lebel, reprit le comte, il faut faire en sorte que le roine lise pas ce billet avant minuit.

– C’est-à-dire qu’on l’attend un peu après minuit. Soyeztranquille. Et dites à celui qui vous envoie que ses ordres serontexécutés à la lettre…

Lebel, alors, reconduisit lui-même du Barry jusqu’à sa porte,honneur qu’il n’accordait pas à tout le monde.

Du Barry descendit, se montra ostensiblement parmi lescourtisans, trouva moyen d’être encore aperçu du roi, puis, par unemanœuvre lente et savante, il sortit sans que personne l’eûtremarqué.

Il était alors neuf heures.

Il courut à la ruelle des Réservoirs…

– Le chevalier d’Assas ? demanda-t-il.

– Parti depuis une heure.

– On t’avait recommandé de le garder jusqu’à neuf heures etdemie.

– Le diable ne l’eût pas retenu, monsieur lecomte !

Au surplus, que le chevalier d’Assas fût déjà à son poste, celan’en valait que mieux, en cas d’imprévu.

Du Barry se dirigea donc alors vers la petite maison desquinconces.

À vingt pas devant la porte d’entrée, dans l’ombre épaisse desarbres serrés, il trouva Bernis qui attendait immobile, les yeuxfixés sur la porte, sa montre à la main.

– Où est le chevalier ? demanda le comte à voixbasse.

– Devant la porte bâtarde du jardin : je viens de m’enassurer.

– Bon. L’heure approche…

– Dans un quart d’heure.

– Et lui ?… reprit du Barry.

– Je ne sais. Mais tenez pour certain que lui ou son ombreest là quelque part, qui nous guette…

– Pourvu que Juliette réussisse !…

– Elle réussira ! dit Bernis.

Les deux personnages demeurèrent alors silencieux, entièrementenveloppés dans leurs manteaux, collés contre le tronc d’un arbre…Ils n’étaient émus ni l’un ni l’autre. Ce qu’ils faisaient là leursemblait tout naturel…

Le quart d’heure se passa.

– Dix heures ! murmura Bernis qui, malgré la profondeobscurité, parvint à déchiffrer la marche des aiguilles sur samontre. Allons, comte, il est temps d’agir…

– Faites le tour de la maison, et assurez-vous que leschoses se passent en règle. Moi, je me charge de la besogne devantla porte d’entrée.

Bernis se glissa, se faufila d’arbre en arbre…

Du Barry s’approcha de la porte et se mit à frapper, doucementd’abord, puis plus rudement.

C’étaient ces coups qu’avait entendus Jeanne et qui avaientdéterminé sa fuite !…

Dix minutes plus tard, Bernis le rejoignait…

– C’est fait ? demanda ardemment du Barry.

– Venez ! fit Bernis pour toute réponse.

Du Barry suivit Bernis qui bientôt lui montra un groupe confusdans l’ombre, marchant devant eux.

– Le chevalier d’Assas etMme d’Étioles ! murmura-t-il sourdement.

Une joie furieuse gronda en lui.

Enfin ! Il tenait d’Assas ! Il le tenait bien, cettefois !…

– Adieu ! fit Bernis. Mon rôle se termine en ce quivous concerne.

– Vous rentrez au château ? demanda du Barry.

– Oui ; pour suivre de près les évolutions auxquellesva se livrer Sa Majesté…

– Et moi, fit le comte, je vais suivre celles deM. d’Assas !… Bernis obliqua dans la direction duchâteau, et du Barry continua à suivre le chevalier et Jeanne.

– Pourvu qu’ils aillent là-bas ! grondait-il.

Il se sentit pâlir à la pensée que d’Assas pourrait peut-être nepas aller à la ruelle des Réservoirs… que Jeanne refuseraitpeut-être de le suivre là…

Il se fouilla et tira de son fourreau un fort poignard qu’ilgarda à la main.

– Tant pis ! mâchonna-t-il dans un mouvement de rage.Je le tiens. Je ne veux pas qu’il m’échappe !… S’il ne va paslà-bas… je le tue !…

Au bout de cinq cents pas, il se rassura : d’Assas,évidemment, se dirigeait vers les Réservoirs !…

Du Barry le vit entrer dans la ruelle qui débouchait juste enface…

Il eut un grognement de joie, comme peut en avoir le tigre quiest sûr de sa proie.

D’Assas et Jeanne s’arrêtaient devant la mystérieusemaison !…

Ils y entrèrent !…

– Enfin ! Enfin ! rugit en lui-même du Barry.

Et, certes, à ce moment il oubliait Juliette, monsieur Jacques,le rôle qu’il avait à jouer, il oubliait tout pour ne penser qu’àcette vengeance qu’il tenait enfin.

Il attendit une demi-heure devant la porte, – peut-être pour secalmer.

Enfin, il frappa doucement d’une façon spéciale. La portes’ouvrit aussitôt sans que personne parût.

Il entra, referma sans bruit, et se dirigea vers le pavillon degauche – celui qu’avait occupé d’Assas !

Alors, il s’assit, s’accouda à une table, mit sa tête dans samain et s’enfonça dans une sombre rêverie…

 

De longues heures s’écoulèrent.

Il était peut-être quatre ou cinq heures du matin.

Du Barry n’avait pas bougé de sa place.

À ce moment, il parut s’éveiller comme d’un long rêve qu’il eûtfait là sur ce coin de table.

Il jeta autour de lui des yeux sanglants. Les criminels quipréparent le meurtre ont de ces regards suprêmes.

Ils semblent craindre qu’on ne les ait guettés… que quelqu’und’invisible n’ait lu dans leur conscience…

Du Barry éprouvait peut-être cette crainte mystérieuse.

Mais il avait la crainte plus matérielle et plus positive devoir apparaître M. Jacques. Il était décidé à tout. Et ilsavait que M. Jacques lui défendrait de tuer… lui ordonneraitd’attendre…

Il ne voulait plus… il ne pouvait plus attendre !…

Il saisit un pistolet qu’il avait déposé sur la table enentrant, et le contempla quelques minutes.

Puis, d’un lent mouvement, il le replaça sur la table.

– Non ! murmura-t-il… cela fait trop de bruit… et puisune balle même à deux pas peut s’égarer… peut frapper à faux… etpuis… la balle… on ne la sent pas entrer… Non !… ceci vautmieux !…

Ceci !… C’était le poignard.

Il le saisit, et l’emmancha pour ainsi dire dans sa main.

Alors, doucement, sans bruit, il sortit dans la petite cour… etlentement se glissa vers le pavillon d’en face… le pavillon où setrouvaient Jeanne et le chevalier d’Assas !…

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer