La San-Felice – Tome II

LXIII – L’ABBÉ PRONIO

Vers la même heure où le procureur fiscalVanni faisait reconduire Nicolino à son cachot, le cardinal Ruffo,pour accomplir la promesse qu’il avait faite pendant la nuit auroi, se présentait à la porte de ses appartements.

L’ordre était donné de le recevoir. Il pénétradonc sans aucun empêchement jusqu’au roi.

Le roi était en tête-à-tête avec un hommed’une quarantaine d’années. On pouvait reconnaître cet homme pourun abbé à une imperceptible tonsure qui disparaissait au milieud’une forêt de cheveux noirs. Il était, au reste, vigoureusementdécouplé et paraissait plutôt fait pour porter l’uniforme decarabinier que la robe ecclésiastique.

Ruffo fit un pas en arrière.

– Pardon, sire, dit–il, mais je croyaistrouver Votre Majesté seule.

– Entrez, entrez, mon cher cardinal, dit leroi, vous n’êtes point de trop ; je vous présente l’abbéPronio.

– Pardon, sire, dit Ruffo en souriant, mais jene connais pas l’abbé Pronio.

– Ni moi non plus, dit le roi. Monsieur entreune minute avant Votre Éminence ; il vient de la part de mondirecteur, monseigneur Rossi, évêque de Nicosia ;M. l’abbé ouvrait la bouche pour me raconter ce qui l’amène,il le racontera à nous deux au lieu de le raconter à moi tout seul.Tout ce que je sais, par le peu de mots que M. l’abbé m’adits, c’est que c’est un homme qui parle bien et qui promet d’agirencore mieux. Racontez votre affaire : M. le cardinalRuffo est de mes amis.

– Je le sais, sire, dit l’abbé en s’inclinantdevant le cardinal, et des meilleurs même.

– Si je n’ai pas l’honneur de connaîtreM. l’abbé Pronio, vous voyez qu’en échange M. l’abbéPronio me connaît.

– Et qui ne vous connaît pas, monsieur lecardinal, vous, le fortificateur d’Ancône ! vous, l’inventeurd’un nouveau four à chauffer les boulets rouges !

– Ah ! vous voilà pris, mon éminentisme.Vous vous attendiez à ce que l’on vous fît des compliments survotre éloquence et votre sainteté, et voilà qu’on vous en fait survos exploits militaires.

– Oui, sire, et plût à Dieu que Votre Majestéeût confié le commandement de l’armée à Son Éminence au lieu de leconfier à un fanfaron autrichien.

– L’abbé, vous venez de dire une grandevérité, dit le roi en posant sa main sur l’épaule de Pronio.

Ruffo s’inclina.

– Mais je présume, dit-il, que M. l’abbén’est pas venu seulement pour dire des vérités qu’il me permettrade prendre pour des louanges.

– Votre Éminence a raison, dit Pronio ens’inclinant à son tour ; mais une vérité dite de temps entemps et quand l’occasion s’en présente, quoiqu’elle puisse parfoisnuire à l’imprudent qui la dit, ne peut jamais nuire au roi quil’entend.

– Vous avez de l’esprit, monsieur, ditRuffo.

– Eh bien, c’est l’effet qu’il m’a fait toutde suite, dit le roi ; et cependant il n’est que simple abbé,quand j’ai, à la honte de mon ministre des cultes, dans mon royaumetant d’ânes qui sont évêques !

– Tout cela ne nous dit pas ce qui amènel’abbé près de Votre Majesté ?

– Dites, dites, l’abbé ! le cardinal merappelle que j’ai affaire ; nous vous écoutons.

– Je serai bref, sire. J’étais hier, à neufheures du soir, chez mon neveu, qui est maître de poste.

– Tiens, c’est vrai, dit le roi, je cherchaisoù je vous avais déjà vu. Je me rappelle maintenant, c’est là.

– Justement, sire. Dix minutes auparavant, uncourrier était passé, avait commandé des chevaux et avait dit aumaître de poste : « Surtout ne faites pas attendre, c’estpour un très-grand seigneur ; » et il était reparti enriant. La curiosité me prit alors de voir ce très-grand seigneur,et, lorsque la voiture s’arrêta, je m’en approchai, et, à mon grandétonnement, je reconnus le roi.

– Il m’a reconnu et ne m’a rien demandé ;c’est déjà bien de sa part, n’est-ce pas, monéminentissime ?

– Je me réservais pour ce matin, sire,répondit l’abbé en s’inclinant.

– Continuez, continuez ! vous voyez bienque le cardinal vous écoute.

– Avec la plus grande attention, sire.

– Le roi, que l’on savait à Rome, continuaPronio, revenait seul dans un cabriolet, accompagné d’un seulgentilhomme qui portait les habits du roi, tandis que le roiportait les habits de ce gentilhomme ; c’était unévénement.

– Et un fier ! fit le roi.

– J’interrogeai les postillons de Fondi !et, de postillons en postillons, en remontant jusqu’à ceuxd’Albano, les nôtres avaient appris qu’il y avait eu une grandebataille, que les Napolitains avaient été battus et que le roi, –comment dirai–je cela, sire ? demanda en s’inclinantrespectueusement l’abbé, – et que le roi…

– Fichait le camp… Ah ! pardon,j’oubliais que vous êtes homme d’Église.

– Alors, j’ai été poursuivi de cette idée que,si les Napolitains étaient véritablement en fuite, ils courraienttout d’une traite jusqu’à Naples, et que, par conséquent, il n’yavait qu’un moyen d’arrêter les Français, qui, si on ne lesarrêtait pas, y seraient sur leurs talons.

– Voyons le moyen, dit Ruffo.

– C’était de révolutionner les Abruzzes et laTerre de Labour, et, puisqu’il n’y a plus d’armée à leur opposer,de leur opposer un peuple.

Ruffo regarda Pronio.

– Est-ce que vous seriez, par hasard, un hommede génie, monsieur l’abbé ? lui demanda-t-il.

– Qui sait ? répondit celui-ci.

– La chose m’en a tout l’air, sire.

– Laissez-le aller, laissez-le aller, dit leroi.

– Donc, ce matin, j’ai pris un cheval chez monneveu, je suis venu à franc étrier jusqu’à Capoue ; à la postede Capoue, je me suis informé, et j’ai appris que Sa Majesté étaità Caserte ; alors, je suis venu à Caserte et me suis présentéhardiment à la porte du roi, comme venant de la part de monseigneurRossi, évêque de Nicosia et confesseur de Sa Majesté.

– Vous connaissez monseigneur Rossi ?demanda Ruffo.

– Je ne l’ai jamais vu, dit l’abbé ; maisj’espérais que le roi me pardonnerait mon mensonge en faveur de labonne intention.

– Eh ! mordieu ! oui, je vouspardonne, dit le roi. Éminence, donnez-lui son absolution tout desuite.

– Maintenant, sire, vous savez tout, ditPronio : si le roi adopte mon projet d’insurrection, unetraînée de poudre n’ira pas plus vite ; je proclame la guerresainte, et, avant huit jours, je soulève tout le pays depuis Aquilajusqu’à Teano.

– Et vous ferez cela tout seul ? demandaRuffo.

– Non, monseigneur ; je m’adjoindrai deuxhommes d’exécution.

– Et quels sont ces deux hommes ?

– L’un est Gaetano Mammone, plus connu sous lenom du meunier de Sora.

– N’ai-je pas entendu prononcer son nom,demanda le roi, à propos du meurtre de ces deux jacobins dellaTorre ?

C’est possible, sire, répondit l’abbéPronio ; il est rare que Gaetano Mammone ne soit pas là quandon tue quelqu’un à dix lieues à la ronde ; il flaire lesang.

– Vous le connaissez ? demanda Ruffo.

– C’est mon ami, Éminence.

– Et quel est l’autre ?

– Un jeune brigand de la plus belle espérance,sire ; il se nomme Michele Pezza ; mais il a pris le nomde Fra-Diavolo, attendu probablement que ce qu’il y a de plusmalin, c’est un moine, et de plus mauvais le diable. À vingt et unans à peine, il est déjà chef d’une bande de trente hommes, qui setiennent dans les montagnes de Mignano. Il était amoureux de lafille d’un charron d’Itri, il l’a hautement demandée en mariage, onla lui a refusée ; alors, il a loyalement prévenu son rival,nommé Peppino, qu’il le tuerait s’il ne renonçait pas à Francesca,c’est le nom de la jeune fille ; son rival a persisté, etMichele Pezza lui a tenu parole.

– C’est-à-dire qu’il l’a tué ? demandaRuffo.

– Éminence, c’est mon pénitent. Il y a quinzejours qu’avec six de ses hommes les plus résolus, il a pénétré lanuit, par le jardin qui donne sur la montagne, dans la maison dupère de Francesca, a enlevé sa fille et l’a emmenée avec lui. Ilparaît que mon drôle a des secrets à lui pour se faire aimer desfemmes. Francesca, qui aimait Peppino, adore maintenant Fra-Diavoloet brigande avec lui comme si elle n’avait fait que cela toute savie.

– Et voilà les hommes que vous comptezemployer ? demanda le roi.

– Sire, on ne révolutionne pas un pays avecdes séminaristes.

– L’abbé a raison, sire, dit Ruffo.

– Soit ! Et, avec ces moyens-là, vouspromettez de réussir ?

– J’en réponds.

– Et vous soulèverez les Abruzzes, la Terre deLabour ?

– Depuis les enfants jusqu’aux vieillards. Jeconnais tout le monde, et tout le monde me connaît.

– Vous me paraissez bien sûr de votre affaire,mon cher abbé, dit le cardinal.

– Si sûr, que j’autorise Votre Éminence à mefaire fusiller si je ne réussis pas.

– Alors, vous comptez faire de votre amiGaetano Mammone et de votre pénitent Fra-Diavolo vos deuxlieutenants ?

– Je compte en faire deux capitaines commemoi ; ils ne valent pas moins que moi, et je ne vaux pas moinsqu’eux. Que le roi daigne seulement signer mon brevet et les leurs,pour prouver aux paysans que nous agissons en son nom, et je mecharge de tout.

– Eh ! eh ! dit le roi, je ne suispas scrupuleux ; mais nommer mes capitaines deux gaillardscomme ceux-là. Vous me donnerez bien dix minutes de réflexion,l’abbé ?

– Dix, vingt, trente, sire, je ne crains rien.L’affaire est trop avantageuse pour que Votre Majesté la refuse, etSon Éminence est trop dévouée aux intérêts de la couronne pour nepas la lui conseiller.

– Eh bien, l’abbé, dit le roi, laissez-nous uninstant seuls, Son Éminence et moi : nous allons causer devotre proposition.

– Sire, je serai dans l’antichambre à lire monbréviaire ; Votre Majesté me fera demander quand elle aurapris une résolution.

– Allez, l’abbé, allez.

Pronio salua et sortit.

Le roi et le cardinal se regardèrent.

– Eh bien, que dites-vous de cet abbé-là, monéminentissime ? demanda le roi.

– Je dis que c’est un homme, sire, et que leshommes sont rares.

– Un drôle de saint Bernard pour prêcher unecroisade, dites donc !

– Eh ! sire, il réussira peut-être mieuxque le vrai n’a réussi.

– Vous êtes donc d’avis que j’accepte sonoffre ?

– Dans la position où nous sommes, sire, jen’y vois pas d’inconvénient.

– Mais, dites-moi, quand on est petit-fils deLouis XIV et qu’on s’appelle Ferdinand de Bourbon, signer dece nom des brevets à un chef de brigands et à un homme qui boit lesang comme un autre boit de l’eau claire ! car je le connaisson Gaetano Mammone, de réputation du moins.

– Je comprends la répugnance de Votre Majesté,sire ; mais signez seulement celui de l’abbé, et autorisez-leà signer ceux des autres.

– Vous êtes un homme adorable, en ce que, avecvous, on n’est jamais dans l’embarras. Rappelons-nousl’abbé ?

– Non, sire ; laissons-lui le temps delire son bréviaire ; nous avons, de notre côté, à réglerquelques petites affaires au moins aussi pressées que lessiennes.

– C’est vrai.

– Hier, Votre Majesté m’a fait l’honneur de medemander mon avis sur la falsification de certaine lettre.

– Je me le rappelle parfaitement ; etvous m’avez demandé la nuit pour réfléchir. Mon éminentissime,avez-vous réfléchi ?

– Je n’ai fait que cela, sire.

– Eh bien ?

– Eh bien, il y a un fait que Votre Majesté necontestera point, c’est que j’ai l’honneur d’être détesté par lareine.

– Il en est ainsi de tout ce qui m’est fidèleet attaché, mon cher cardinal ; si nous avions le malheur denous brouiller, la reine vous adorerait.

– Or, étant déjà suffisamment détesté parelle, à mon avis, je désirerais bien, s’il était possible, sire,qu’elle ne me détestât point davantage.

– À quel propos me dites-vous cela ?

– À propos de la lettre de Sa Majestél’empereur d’Autriche.

– Que croyez-vous donc ?

– Je ne crois rien ; mais voici commentles choses se sont passées.

– Voyons cela, dit le roi s’accoudant sur sonfauteuil afin d’écouter plus commodément.

– À quelle heure Votre Majesté est-elle partiepour Naples, avec M. André Backer, le jour où le jeune homme aeu l’honneur de dîner avec Votre Majesté ?

– Entre cinq et six heures.

– Eh bien, entre six et sept heures,c’est-à-dire une heure après que Votre Majesté a été partie, avis aété donné au maître de poste de Capoue de dire à Ferrari, lorsqu’ilreprendrait chez lui le cheval qu’il y avait laissé, qu’il étaitinutile qu’il allât jusqu’à Naples, attendu que Votre Majesté étaità Caserte.

– Qui a donc donné cet avis ?

– Je désire ne nommer personne, sire ;seulement, je n’empêche point que Votre Majesté ne devine.

– Allez, je vous écoute.

– Ferrari, au lieu d’aller à Naples, est doncvenu à Caserte. Pourquoi voulait-on qu’il vînt à Caserte ? Jen’en sais rien. Pour essayer probablement sur lui quelque tentativede séduction.

– Je vous ai dit, mon cher cardinal, que je lecroyais incapable de me trahir.

– On n’a pas eu la peine de s’assurer de safidélité ; Ferrari, ce qui valait mieux, a fait une chute, aperdu connaissance et a été transporté à la pharmacie.

– Par le secrétaire de M. Acton, noussavons cela.

– Là, de peur que son évanouissement ne fûttrop court et qu’il ne revînt à lui au moment où l’on ne s’yattendrait pas, on a trouvé convenable de le prolonger à l’aide dequelques gouttes de laudanum.

– Qui vous a dit cela ?

– Je n’ai eu besoin d’interroger personne. Quine veut pas être trompé ne doit s’en rapporter qu’à soi.

Le cardinal tira de sa poche une cuiller àcafé.

– Voici, dit-il, la cuiller à l’aide delaquelle on les lui a introduites dans la bouche ; il en resteune couche au fond de la cuiller, ce qui prouve que le blessé n’apas bu le laudanum lui-même, vu qu’il eût enlevé cette couche avecses lèvres, et l’odeur âcre et persistante de l’opium indique,après plus d’un mois, à quelle substance appartenait cettecouche.

Le roi regarda le cardinal avec cet étonnementnaïf qu’il manifestait lorsqu’on lui démontrait une chose que seulil n’eût pas trouvée, parce qu’elle dépassait la portée de sonintelligence.

– Et qui a fait cela ? demanda-t-il.

– Sire, répondit le cardinal, je ne nommepersonne ; je dis : ON. Qui a fait cela ? Je n’ensais rien. ON l’a fait. Voilà ce que je sais.

– Et après ?

– Votre Majesté veut aller jusqu’au bout,n’est-ce-pas ?

– Certainement que je veux aller jusqu’aubout !

– Eh bien, sire, Ferrari évanoui par laviolence du coup, endormi pour surcroît de précautions avec dulaudanum, ON a pris la lettre dans sa poche, ON l’a décachetée enplaçant la cire au-dessus d’une bougie, ON a lu la lettre, et,comme elle contenait l’opposé de ce que l’ON espérait, ON a enlevél’écriture avec de l’acide oxalique.

– Comment pouvez-vous savoir précisément avecquel acide ?

– Voici la petite bouteille, je ne dirai pointqui le contenait, mais qui le contient ; la moitié à peine,comme vous le voyez, a été employée à l’opération.

Et, comme il avait tiré de sa poche la cuillerà café, le cardinal tira de sa poche un flacon à moitié videcontenant un liquide clair comme de l’eau de roche et évidemmentdistillé.

– Et vous dites, demanda le roi, qu’avec cetteliqueur on peut enlever l’écriture ?

– Que Votre Majesté ait la bonté de me donnerune lettre sans importance.

Le roi prit sur une table le premier placetvenu ; le cardinal versa quelques gouttes du liquide surl’écriture, il l’étendit avec son doigt, en couvrit quatre ou cinqlignes et attendit.

L’écriture commença par jaunir, puis s’effaçapeu à peu.

Le cardinal lava le papier avec de l’eauordinaire, et, entre les lignes écrites au-dessus et au-dessous, ilmontra au roi un espace blanc qu’il fit sécher au feu et surlequel, sans autre préparation, il écrivit deux ou troislignes.

La démonstration ne laissait rien àdésirer.

– Ah ! San-Nicandro !San-Nicandro ! murmura le roi, quand on pense que tu aurais pum’apprendre tout cela !

– Non pas lui, sire, attendu qu’il ne lesavait pas ; mais il eût pu vous le faire apprendre pard’autres plus savants que lui.

– Revenons à notre affaire, dit le roi enpoussant un soupir. Ensuite, que s’est-il passé ?

– Il s’est passé, sire, qu’après avoirsubstitué au refus de l’empereur une adhésion, on a recacheté lalettre et on l’a scellée d’un cachet pareil à celui de Sa MajestéImpériale ; seulement, comme c’était la nuit, à la lumière desbougies, que cette opération se faisait, on l’a recachetée avec dela cire rouge qui était d’une teinte un peu plus foncée que lapremière.

Le cardinal mit sous les yeux du roi la lettretournée du côté du cachet.

– Sire, dit-il, voyez la différence qu’il y aentre cette couche superposée et la couche inférieure ; aupremier abord, la teinte paraît la même, mais, en y regardant deprès, on reconnaît une différence légère et cependant visible.

– C’est vrai, s’écria le roi, c’est pardieuvrai !

– D’ailleurs, reprit le cardinal, voici lebâton de cire qui a servi à refaire le cachet ; Votre Majestévoit que sa couleur est identique avec la couche supérieure.

Le roi regardait avec étonnement les troispièces à conviction : cuiller, flacon, bâton de cire àcacheter que Ruffo venait de mettre sous ses yeux et avait déposéesles unes à côté des autres sur une table.

– Et comment vous êtes vous procuré cettecuiller, ce flacon et cette cire ? demanda le roi, tellementintéressé par cette intelligente recherche de la vérité, qu’il nevoulait point en perdre un détail.

– Oh ! de la façon la plus simple, sire.Je suis à peu près le seul médecin de votre colonie deSan-Leucio ; je viens donc de temps en temps à la pharmacie duchâteau pour y chercher quelques médicaments ; je suis venu cematin à la pharmacie comme d’habitude, mais avec certaine idéearrêtée ; j’ai trouvé cette cuiller sur la table denuit, ce flacon dans l’armoire vitrée, et ce bâton decire sur la table.

– Et cela vous a suffi pour toutdécouvrir ?

– Le cardinal de Richelieu ne demandait quetrois lignes de l’écriture d’un homme pour le faire pendre.

– Oui, dit le roi ; malheureusement, il ya des gens que l’on ne pend pas, quelque chose qu’ils aientfaite.

– Maintenant, dit le cardinal en regardantfixement le roi, tenez-vous beaucoup à Ferrari ?

– Sans doute que j’y tiens.

– Eh bien, sire, il n’y aurait pas de mal àl’éloigner pour quelque temps. Je crois l’air de Naples on ne peutplus malsain pour lui en ce moment.

– Vous croyez ?

– Je fais plus que le croire, sire, j’en suissûr.

– Pardieu ! c’est bien simple, je vais lerenvoyer à Vienne.

– C’est un voyage fatigant, sire ; maisil y a des fatigues salutaires.

– D’ailleurs, vous comprenez bien, monéminentissime, que je veux avoir le cœur net de la chose ; enconséquence, je renvoie à l’empereur, mon gendre, la dépêche danslaquelle il me dit qu’il se mettra en campagne aussitôt que jeserai rentré à Rome, et je lui demande de mon côté ce qu’il pensede cela.

– Et, pour qu’on ne se doute de rien, VotreMajesté part pour Naples aujourd’hui avec tout le monde, en disantà Ferrari de venir me trouver cette nuit à San-Leucio, etd’exécuter mes ordres comme si c’étaient ceux de Votre Majesté.

– Et vous, alors ?

– Moi, j’écris à l’empereur au nom de VotreMajesté, j’expose ses doutes et le prie de m’envoyer la réponse, àmoi.

– À merveille ! mais Ferrari va tomberdans les mains des Français ; vous comprenez bien que leschemins sont gardés.

– Ferrari va par Bénévent et Foggia àManfredonia ; là, il s’embarque pour Trieste, et, de Trieste,reprend la poste jusqu’à Vienne si le vent est bon ; iléconomise deux jours de route et vingt-quatre heures de fatigue,et, par le même chemin qu’il est allé, il revient.

– Vous êtes un homme prodigieux, mon chercardinal ! rien ne vous est impossible.

– Tout cela convient à VotreMajesté ?

– Je serais bien difficile si cela ne meconvenait pas.

– Alors, sire, occupons-nous d’autrechose ; vous le savez, chaque minute vaut une heure, chaqueheure vaut un jour, chaque jour une année.

– Occupons-nous de l’abbé Pronio, n’est-cepas ? demanda le roi.

– Justement, sire.

– Croyez-vous qu’il aura eu le temps de lireson bréviaire ? demanda en riant le roi.

– Bon ! s’il n’a pas eu le temps de lelire aujourd’hui, dit Ruffo, il le lira demain : il n’est pashomme à douter de son salut pour si peu de chose.

Ruffo sonna.

Un valet de pied parut à la porte.

– Prévenez l’abbé Pronio que nous l’attendons,dit le roi.

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