Scène II
Clarice, laNourrice
Clarice
Tu me veux détourner d’une seconde flamme,
Dont je ne pense pas qu’autre que toi meblâme.
Être veuve à mon âge, et toujours déplorer
La perte d’un mari que je puisréparer !
Refuser d’un amant ce doux nom demaîtresse !
N’avoir que des mépris pour les vœux qu’ilm’adresse !
Le voir toujours languir dessous ma dureloi !
Cette vertu, nourrice, est trop haute pourmoi.
La Nourrice
Madame, mon avis au vôtre ne résiste
Qu’alors que votre ardeur se porte versPhiliste.
Aimez, aimez quelqu’un ; mais comme àl’autre fois
Qu’un lien digne de vous arrête votrechoix.
Clarice
Brise là ce discours dont mon amours’irrite ;
Philiste n’en voit point qui le passe enmérite.
La Nourrice
Je ne remarque en lui rien que de fortcommun,
Sinon que plus qu’un autre il se rendimportun.
Clarice
Que ton aveuglement en ce point estextrême !
Et que tu connais mal et Philiste etmoi-même,
Si tu crois que l’excès de sa civilité
Passe jamais chez moi pourimportunité !
La Nourrice
Ce cajoleur rusé, qui toujours vousassiège,
A tant fait qu’à la fin vous tombez dans sonpiège.
Clarice
Ce cavalier parfait, de qui je tiens lecœur,
A tant fait que du mien il s’est renduvainqueur.
La Nourrice
Il aime votre bien, et non votre personne.
Clarice
Son vertueux amour l’un et l’autre luidonne :
Ce m’est trop d’heur encor, dans le peu que jevaux,
Qu’un peu de bien que j’ai supplée à mesdéfauts.
La Nourrice
La mémoire d’Alcandre, et le rang qu’il vouslaisse,
Voudraient un successeur de plus hautenoblesse.
Clarice
S’il précéda Philiste en vaines dignités,
Philiste le devance en raresqualités ;
Il est né gentilhomme, et sa vertu répare
Tout ce dont la fortune envers lui futavare :
Nous avons, elle et moi, trop de quoil’agrandir.
La Nourrice
Si vous pouviez, madame, un peu vousrefroidir
Pour le considérer avec indifférence,
Sans prendre pour mérite une fausseapparence,
La raison ferait voir à vos yeux insensés
Que Philiste n’est pas tout ce que vouspensez.
Croyez-m’en plus que vous ; j’ai vieillidans le monde,
J’ai de l’expérience, et c’est où je mefonde ;
Éloignez quelque temps ce dangereuxcharmeur,
Faites en son absence essai d’une autrehumeur ;
Pratiquez-en quelque autre, etdésintéressée,
Comparez-lui l’objet dont vous êtesblessée ;
Comparez-en l’esprit, la façon,l’entretien,
Et lors vous trouverez qu’un autre le vautbien.
Clarice
Exercer contre moi de si noirsartifices !
Donner à mon amour de si cruelssupplices !
Trahir tous mes désirs ! éteindre un feusi beau !
Qu’on m’enferme plutôt toute vive autombeau.
Fais venir cet amant : dussé-je lapremière
Lui faire de mon cœur une ouvertureentière,
Je ne permettrai point qu’il sorte d’avecmoi
Sans avoir l’un à l’autre engagé notrefoi.
La Nourrice
Ne précipitez point ce que le tempsménage :
Vous pourrez à loisir éprouver soncourage.
Clarice
Ne m’importune plus de tes conseilsmaudits,
Et sans me répliquer fais ce que je tedis.