Scène première
Célidan,Clarice
Célidan
N’espérez pas, madame, avec cet artifice,
Apprendre du forfait l’auteur ni lecomplice :
Je chéris l’un et l’autre, et crois qu’ilm’est permis
De conserver l’honneur de mes plus chersamis.
L’un, aveuglé d’amour, ne jugea point deblâme
À ravir la beauté qui lui ravissaitl’âme ;
Et l’autre l’assista parimportunité :
C’est ce que vous saurez de leur témérité.
Clarice
Puisque vous le voulez, monsieur, je suiscontente
De voir qu’un bon succès a trompé leurattente ;
Et me résolvant même à perdre à l’avenir,
De toute ma douleur l’odieux souvenir,
J’estime que la perte en sera plus aisée,
Si j’ignore les noms de ceux qui l’ontcausée.
C’est assez que je sais qu’à votre heureuxsecours
Je dois tout le bonheur du reste de mesjours.
Philiste autant que moi vous en estredevable ;
S’il a su mon malheur, il estinconsolable ;
Et dans son désespoir sans doutequ’aujourd’hui
Vous lui rendez la vie en me rendant àlui.
Disposez du pouvoir et de l’un et del’autre ;
Ce que vous y verrez, tenez-le comme auvôtre ;
Et souffrez cependant qu’on le puisseavertir
Que nos maux en plaisirs se doiventconvertir.
La douleur trop longtemps règne sur soncourage.
Célidan
C’est à moi qu’appartient l’honneur de cemessage ;
Mon secours sans cela, comme de nul effet,
Ne vous aurait rendu qu’un serviceimparfait.
Clarice
Après avoir rompu les fers d’une captive,
C’est tout de nouveau prendre une peineexcessive,
Et l’obligation que j’en vais vous avoir
Met la revanche hors de mon peu depouvoir.
Ainsi dorénavant, quelque espoir qui meflatte,
Il faudra malgré moi que j’en demeureingrate.
Célidan
En quoi que mon service oblige votreamour,
Vos seuls remerciements me mettent àretour.