Scène VIII
Chrysante,Doris,Célidan,Clarice,Philiste
Chrysante, àClarice.
Je viens après mon fils vous rendre uneassurance
De la part que je prends en votredélivrance ;
Et mon cœur tout à vous ne saurait endurer
Que mes humbles devoirs osent se différer.
Clarice, àChrysante.
N’usez point de ce mot vers celle dontl’envie
Est de vous obéir le reste de sa vie,
Que son retour rend moins à soi-même qu’àvous.
Ce brave cavalier accepté pour époux,
C’est à moi désormais, entrant dans safamille,
À vous rendre un devoir de servante et defille ;
Heureuse mille fois, si le peu que je vaux
Ne vous empêche point d’excuser mesdéfauts,
Et si votre bonté d’un tel choix secontente !
Chrysante, àClarice.
Dans ce bien excessif, qui passe monattente,
Je soupçonne mes sens d’une infidélité,
Tant ma raison s’oppose à ma crédulité.
Surprise que je suis d’une tellemerveille,
Mon esprit tout confus doute encor si jeveille ;
Mon âme en est ravie, et ces ravissements
M’ôtent la liberté de tous remerciements.
Doris,à Clarice.
Souffrez qu’en ce bonheur mon zèlem’enhardisse
À vous offrir, madame, un fidèle service.
Clarice, àDoris.
Et moi, sans compliment qui vous farde moncœur,
Je vous offre et demande une amitié desœur.
Philiste, àCélidan.
Toi, sans qui mon malheur étaitinconsolable,
Ma douleur sans espoir, ma perteirréparable,
Qui m’as seul obligé plus que tous mesamis,
Puisque je te dois tout, que je t’ai toutpromis,
Cesse de me tenir dedansl’incertitude :
Dis-moi par où je puis sortird’ingratitude ;
Donne-moi le moyen, après un tel bienfait,
De réduire pour toi ma parole en effet.
Célidan, àPhiliste.
S’il est vrai que ta flamme et celle deClarice
Doivent leur bonne issue à mon peu deservice,
Qu’un bon succès par moi réponde à tous vosvœux,
J’ose t’en demander un pareil à mes feux.
(MontrantChrysante.)
J’ose te demander, sous l’aveu de Madame,
Ce digne et seul objet de ma secrèteflamme,
Cette sœur que j’adore, et qui pour faire unchoix
Attend de ton vouloir les favorables lois.
Philiste, àCélidan.
Ta demande m’étonne ensemble etm’embarrasse :
Sur ton meilleur ami tu brigues cetteplace,
Et tu sais que ma foi la réserve pour lui.
Chrysante, àPhiliste.
Si tu n’as entrepris de m’accablerd’ennui,
Ne te fais point ingrat pour une âme sidouble.
Philiste, àCélidan.
Mon esprit divisé de plus en plus setrouble ;
Dispense-moi, de grâce, et songe qu’avanttoi
Ce bizarre Alcidon tient en gage ma foi.
Si ton amour est grand, l’excuse t’estsensible ;
Mais je ne t’ai promis que ce qui m’estpossible ;
Et cette foi donnée ôte de mon pouvoir
Ce qu’à notre amitié je me sais tropdevoir.
Chrysante, àPhiliste.
Ne te ressouviens plus d’une vieillepromesse ;
Et juge, en regardant cette bellemaîtresse,
Si celui qui pour toi l’ôte à sonravisseur
N’a pas bien mérité l’échange de ta sœur.
Clarice, àChrysante.
Je ne saurais souffrir qu’en ma présence ondie
Qu’il doive m’acquérir par uneperfidie ;
Et pour un tel ami lui voir si peu de foi
Me ferait redouter qu’il en eût moins pourmoi.
Mais Alcidon survient ; nous l’allonsvoir lui-même
Contre un rival et vous disputer ce qu’ilaime.