Scène V
Alcidon,Doris
Alcidon
Adieu, mon cher souci ; sois sûre que monâme
Jusqu’au dernier soupir conservera saflamme.
Doris
Alcidon, cet adieu me prend au dépourvu.
Tu ne fais que d’entrer ; à peine t’ai-jevu :
C’est m’envier trop tôt le bien de taprésence.
De grâce, oblige-moi d’un peu decomplaisance,
Et puisque je te tiens, souffre qu’avecloisir
Je puisse m’en donner un peu plus deplaisir.
Alcidon
Je t’explique si mal le feu qui meconsume,
Qu’il me force à rougir d’autant plus qu’ils’allume
Mon discours s’en confond, j’en demeureinterdit ;
Ce que je ne puis dire est plus que je n’aidit :
J’en hais les vains efforts de ma languegrossière,
Qui manquent de justesse en si bellematière,
Et ne répondant point aux mouvements ducœur,
Te découvrent si peu le fond de malangueur.
Doris, si tu pouvais lire dans ma pensée,
Et voir jusqu’au milieu de mon âmeblessée,
Tu verrais un brasier bien autre et bien plusgrand
Qu’en ces faibles devoirs que ma bouche terend.
Doris
Si tu pouvais aussi pénétrer mon courage,
Et voir jusqu’à quel point ma passionm’engage,
Ce que dans mes discours tu prends pour desardeurs
Ne te semblerait plus que de tristesfroideurs.
Ton amour et le mien ont faute de paroles.
Par un malheur égal ainsi tu meconsoles ;
Et de mille défauts me sentant accabler,
Ce m’est trop d’heur qu’un d’eux me fait teressembler.
Alcidon
Mais quelque ressemblance entre nous quisurvienne,
Ta passion n’a rien qui ressemble à lamienne,
Et tu ne m’aimes pas de la même façon.
Doris
Si tu m’aimes encor, quitte un si fauxsoupçon ;
Tu douterais à tort d’une chose tropclaire ;
L’épreuve fera foi comme j’aime à teplaire.
Je meurs d’impatience, attendant l’heureuxjour
Qui te montre quel est envers toi monamour ;
Ma mère en ma faveur brûle de même envie.
Alcidon
Hélas ! ma volonté sous un autreasservie,
Dont je ne puis encore à mon gré disposer,
Fais que d’un tel bonheur je ne sauraisuser.
Je dépends d’un vieil oncle, et s’il nem’autorise,
Je ne te fais qu’en vain le don de mafranchise ;
Tu sais que tout son bien ne regarde quemoi,
Et qu’attendant sa mort je vis dessous saloi.
Mais nous le gagnerons, et mon humeuraccorte
Sait comme il faut avoir les hommes de sasorte :
Un peu de temps fait tout.
Doris
Ne précipite rien.
Je connais ce qu’au monde aujourd’hui vaut lebien.
Conserve ce vieillard ; pourquoi temettre en peine,
À force de m’aimer, de t’acquérir sahaine ?
Ce qui te plaît m’agrée ; et ceretardement,
Parce qu’il vient de toi, m’obligeinfiniment.
Alcidon
De moi ! C’est offenser une pureinnocence.
Si l’effet de mes vœux n’est pas en mapuissance,
Leur obstacle me gêne autant ou plus quetoi.
Doris
C’est prendre mal mon sens ; je saisquelle est ta foi.
Alcidon
En veux-tu par écrit une entièreassurance ?
Doris
Elle m’assure assez de tapersévérance ;
Et je lui ferais tort d’en recevoird’ailleurs
Une preuve plus ample ou des garantsmeilleurs.
Alcidon
Je l’apporte demain, pour mieux faireconnaître…
Doris
J’en crois si fortement ce que j’en voisparaître,
Que c’est perdre du temps que de plus enparler.
Adieu. Va désormais où tu voulais aller.
Si pour te retenir j’ai trop peu demérite,
Souviens-toi pour le moins que c’est moi quite quitte.
Alcidon
Ce brusque adieu m’étonne et je n’entends pasbien…