Scène VII
Philiste,Clarice
Philiste
Ma douleur, qui s’obstine à combattre majoie,
Pousse encor des soupirs, bien que je vousrevoie ;
Et l’excès des plaisirs qui me viennentcharmer
Mêle dans ces douceurs je ne sais quoid’amer :
Mon âme en est ensemble et ravie etconfuse.
D’un peu de lâcheté votre retour m’accuse,
Et votre liberté me reproche aujourd’hui
Que mon amour la doit à la pitié d’autrui.
Elle me comble d’aise et m’accable dehonte ;
Celui qui vous la rend, en m’obligeant,m’affronte :
Un coup si glorieux n’appartenait qu’àmoi.
Clarice
Vois-tu dans mon esprit des doutes de tafoi ?
Y vois-tu des soupçons qui blessent toncourage,
Et dispensent ta bouche à ce fâcheuxlangage ?
Ton amour et tes soins trompés par monmalheur,
Ma prison inconnue a bravé ta valeur.
Que t’importe à présent qu’un autre m’endélivre,
Puisque c’est pour toi seul que Clarice veutvivre,
Et que d’un tel orage en bonace réduit
Célidan a la peine, et Philiste lefruit ?
Philiste
Mais vous ne dites pas que le point quim’afflige,
C’est la reconnaissance où l’honneur vousoblige :
Il vous faut être ingrate, ou bien àl’avenir
Lui garder en votre âme un peu desouvenir.
La mienne en est jalouse, et trouve cepartage,
Quelque inégal qu’il soit, à sondésavantage ;
Je ne puis le souffrir. Nos pensers à tousdeux
Ne devraient, à mon gré, parler que de nosfeux.
Tout autre objet que moi dans votre esprit mepique.
Clarice
Ton humeur, à ce compte, est un peutyrannique :
Penses-tu que je veuille un amant sijaloux ?
Philiste
Je tâche d’imiter ce que je vois envous ;
Mon esprit amoureux, qui vous tient pour sareine,
Fait de vos actions sa règle souveraine.
Clarice
Je ne puis endurer ces proposoutrageux :
Où me vois-tu jalouse, afin d’êtreombrageux ?
Philiste
Quoi ! ne l’étiez-vous point l’autre jourqu’en visite
J’entretins quelque temps Bélinde etChrysolite ?
Clarice
Ne me reproche point l’excès de mon amour.
Philiste
Mais permettez-moi donc cet excès à montour :
Est-il rien de plus juste, ou de pluséquitable ?
Clarice
Encor pour un jaloux tu seras forttraitable,
Et n’es pas maladroit en ces douxentretiens,
D’accuser mes défauts pour excuser lestiens ;
Par cette liberté tu me fais bien paraître
Que tu crois que l’hymen t’ait déjà rendumaître,
Puisque laissant les vœux et lessubmissions,
Tu me dis seulement mes imperfections.
Philiste, c’est douter trop peu de tapuissance,
Et prendre avant le temps un peu trop delicence.
Nous avions notre hymen à demainarrêté ;
Mais, pour te bien punir de cette liberté,
De plus de quatre jours ne crois pas qu’ils’achève.
Philiste
Mais si durant ce temps quelque autre vousenlève,
Avez-vous sûreté que, pour votre secours,
Le même Célidan se rencontretoujours ?
Clarice
Il faut savoir de lui s’il prendrait cettepeine.
Vois ta mère et ta sœur que vers nous ilamène.
Sa réponse rendra nos débats terminés.
Philiste
Ah ! mère, sœur, ami, que vousm’importunez !