Scène VI
Célidan, laNourrice
La Nourrice
Ah !
Célidan
J’entends des soupirs.
La Nourrice
Destins !
Célidan
C’est la nourrice ;
Qu’elle vient à propos !
La Nourrice
Ou rendez-moi Clarice…
Célidan
Il la faut aborder.
La Nourrice
Ou me donnez la mort.
Célidan
Qu’est-ce ? qu’as-tu, nourrice, àt’affliger si fort ?
Quel funeste accident ? quelle pertearrivée ?
La Nourrice
Perfide ! c’est donc toi qui me l’asenlevée ?
En quel lieu la tiens-tu ? dis-moi, qu’enas-tu fait ?
Célidan
Ta douleur sans raison m’impute ceforfait ;
Car enfin je t’entends, tu cherches tamaîtresse ?
La Nourrice
Oui, je te la demande, âme double ettraîtresse.
Célidan
Je n’ai point eu de part en cetenlèvement ;
Mais je t’en dirai bien l’heureuxévénement.
Il ne faut plus avoir un visage si triste,
Elle est en bonne main.
La Nourrice
De qui ?
Célidan
De son Philiste.
La Nourrice
Le cœur me le disait, que ce rusé flatteur
Devait être du coup le véritable auteur.
Célidan
Je ne dis pas cela, nourrice ; ducontraire,
Sa rencontre à Clarice était fortnécessaire.
La Nourrice
Quoi ! l’a-t-il délivrée ?
Célidan
Oui.
La Nourrice
Bons dieux !
Célidan
Sa valeur
Ôte ensemble la vie, et Clarice au voleur.
La Nourrice
Vous ne parlez que d’un.
Célidan
L’autre ayant pris la fuite,
Philiste a négligé d’en faire lapoursuite.
La Nourrice
Leur carrosse roulant, comme est-il avenu…
Célidan
Tu m’en veux informer en vain par le menu.
Peut-être un mauvais pas, une branche, unepierre,
Fit verser leur carrosse, et les jeta parterre ;
Et Philiste eut tant d’heur que de lesrencontrer
Comme eux et ta maîtresse étaient prêts d’yrentrer.
La Nourrice
Cette heureuse nouvelle a mon âme ravie.
Mais le nom de celui qu’il a privé devie ?
Célidan
C’est… je l’aurais nommé mille fois en unjour :
Que ma mémoire ici me fait un mauvaistour !
C’est un des bons amis que Philiste eût aumonde.
Rêve un peu comme moi, nourrice, et meseconde.
La Nourrice
Donnez-m’en quelque adresse.
Célidan
Il se termine en don.
C’est… j’y suis ; peu s’en faut ;attends, c’est…
La Nourrice
Alcidon ?
Célidan
T’y voilà justement.
La Nourrice
Est-ce lui ? Quel dommage
Qu’un brave gentilhomme en la fleur de sonâge…
Toutefois il n’a rien qu’il n’ait bienmérité,
Et grâces aux bons dieux, son desseinavorté…
Mais du moins, en mourant, il nomma soncomplice ?
Célidan
C’est là le pis pour toi.
La Nourrice
Pour moi !
Célidan
Pour toi, nourrice.
La Nourrice
Ah ! le traître !
Célidan
Sans doute il te voulait du mal.
La Nourrice
Et m’en pourrait-il faire ?
Célidan
Oui, son rapport fatal…
La Nourrice
Ne peut rien contenir que je ne le dénie.
Célidan
En effet, ce rapport n’est qu’unecalomnie.
Écoute cependant : il a dit qu’à tonsu
Ce malheureux dessein avait étéconçu ;
Et que pour empêcher la fuite de Clarice,
Ta feinte pâmoison lui fit un bonoffice ;
Qu’il trouva le jardin par ton moyenouvert.
La Nourrice
De quels damnables tours cet imposteur sesert !
Non, monsieur ; à présent il faut que jele die !
Le ciel ne vit jamais de telle perfidie.
Ce traître aimait Clarice, et brûlant de cefeu,
Il n’amusait Doris que pour couvrir sonjeu ;
Depuis près de six mois il a tâché sanscesse
D’acheter ma faveur auprès de mamaîtresse ;
Il n’a rien épargné qui fût en sonpouvoir ;
Mais me voyant toujours ferme dans ledevoir,
Et que pour moi ses dons n’avaient aucuneamorce,
Enfin il a voulu recourir à la force.
Vous savez le surplus, vous voyez soneffort
À se venger de moi pour le moins en samort :
Piqué de mes refus, il me fait criminelle,
Et mon crime ne vient que d’être tropfidèle.
Mais, monsieur, le croit-on ?
Célidan
N’en doute aucunement.
Le bruit est qu’on t’apprête un rudechâtiment.
La Nourrice
Las ! que me dites-vous ?
Célidan
Ta maîtresse en colère
Jure que tes forfaits recevront leursalaire ;
Surtout elle s’aigrit contre ta pâmoison.
Si tu veux éviter une infâme prison,
N’attends pas son retour.
La Nourrice
Où me vois-je réduite,
Si mon salut dépend d’une soudainefuite !
Et mon esprit confus ne sait oùl’adresser.
Célidan
J’ai pitié des malheurs qui te viennentpresser :
Nourrice, fais chez moi, si tu veux, taretraite ;
Autant qu’en lieu du monde elle y serasecrète.
La Nourrice
Oserais-je espérer que la compassion…
Célidan
Je prends ton innocence en ma protection.
Va, ne perds point de temps : être icidavantage
Ne pourrait à la fin tourner qu’à tondommage.
Je te suivrai de l’œil, et ne dis encorrien
Comme après je saurai m’employer pour tonbien :
Durant l’éloignement ta paix se pourrafaire.
La Nourrice
Vous me serez, monsieur, comme un dieututélaire.
Célidan
Trêve, pour le présent, de cesremerciements ;
Va, tu n’as pas loisir de tant decompliments.