Scène III
Alcidon,Célidan
Célidan
Ah ! je cherchais une heure avec toid’entretien ;
Ta rencontre jamais ne fut plus opportune.
Alcidon
En quel point as-tu mis l’état de mafortune ?
Célidan
Tout va le mieux du monde. Il ne se pouvaitpas
Avec plus de succès supposer untrépas ;
Clarice au désespoir croit Philiste sansvie.
Alcidon
Et l’auteur de ce coup ?
Célidan
Celui qui l’a ravie,
Un amant inconnu dont je lui fais parler.
Alcidon
Elle a donc bien jeté des injures enl’air ?
Célidan
Cela s’en va sans dire.
Alcidon
Ainsi rien ne l’apaise ?
Célidan
Si je te disais tout, tu mourrais de tropd’aise.
Alcidon
Je n’en veux point qui porte une si dureloi.
Célidan
Dans ce grand désespoir elle parle de toi.
Alcidon
Elle parle de moi !
Célidan
« J’ai perdu ce que j’aime,
Dit-elle ; mais du moins si cet autrelui-même,
Son fidèle Alcidon, m’en consolaitici ! »
Alcidon
Tout de bon ?
Célidan
Son esprit en paraît adouci.
Alcidon
Je ne me pensais pas si fort dans samémoire.
Mais non, cela n’est point, tu m’en donnes àcroire.
Célidan
Tu peux, dans ce jour même, en voir lavérité.
Alcidon
J’accepte le parti par curiosité.
Dérobons-nous ce soir pour lui rendrevisite.
Célidan
Tu verras à quel point elle met tonmérite.
Alcidon
Si l’occasion s’offre, on peut ladisposer,
Mais comme sans dessein…
Célidan
J’entends, à t’épouser.
Alcidon
Nous pourrons feindre alors que par madiligence
Le concierge, rendu de mon intelligence,
Me donne un accès libre aux lieux de saprison ;
Que déjà quelque argent m’en a fait laraison,
Et que, s’il en faut croire une justeespérance,
Les pistoles dans peu feront sadélivrance,
Pourvu qu’un prompt hymen succède à mesdésirs.
Célidan
Que cette invention t’assure deplaisirs !
Une subtilité si dextrement tissue
Ne peut jamais avoir qu’une admirableissue.
Alcidon
Mais l’exécution ne s’en doit passurseoir.
Célidan
Ne diffère donc point. Je t’attends vers lesoir ;
N’y manque pas. Adieu. J’ai quelque affaire enville.
Alcidon,seul.
Ô l’excellent ami ! qu’il a l’espritdocile !
Pouvais-je faire un choix plus commode pourmoi ?
Je trompe tout le monde avec sa bonnefoi ;
Et quant à sa Doris, si sa poursuite estvaine,
C’est de quoi maintenant je ne suis guère enpeine ;
Puisque j’aurai mon compte, il m’importe fortpeu
Si la coquette agrée ou néglige son feu.
Mais je ne songe pas que ma joieimprudente
Laisse en perplexité ma chèreconfidente ;
Avant que de partir, il faudra sur le tard
De nos heureux succès lui faire quelquepart.