La Veuve

Scène première

Philiste,Alcidon

 

Alcidon

J’en demeure d’accord, chacun a saméthode ;

Mais la tienne pour moi serait tropincommode :

Mon cœur ne pourrait pas conserver tant defeu,

S’il fallait que ma bouche en témoignât sipeu.

Depuis près de deux ans tu brûles pourClarice ;

Et plus ton amour croît, moins elle en ad’indice.

Il semble qu’à languir tes désirs sontcontents,

Et que tu n’as pour but que de perdre tontemps.

Quel fruit espères-tu de ta persévérance

À la traiter toujours avecindifférence ?

Auprès d’elle assidu, sans lui parlerd’amour,

Veux-tu qu’elle commence à te faire lacour ?

Philiste

Non ; mais, à dire vrai, je veux qu’elledevine.

Alcidon

Ton espoir qui te flatte en vain sel’imagine :

Clarice avec raison prend pour stupidité

Ce ridicule effet de ta timidité.

Philiste

Peut-être. Mais enfin vois-tu qu’elle mefuie,

Qu’indifférent qu’il est, mon entretienl’ennuie,

Que je lui sois à charge, et lorsque je lavoi,

Qu’elle use d’artifice à s’échapper demoi ?

Sans te mettre en souci quelle en sera lasuite,

Apprends comme l’amour doit régler saconduite.

Aussitôt qu’une dame a charmé nos esprits,

Offrir notre service au hasard d’unmépris,

Et nous abandonnant à nos brusquessaillies,

Au lieu de notre ardeur lui montrer nosfolies,

Nous attirer sur l’heure un dédainéclatant,

Il n’est si maladroit qui n’en fît bienautant.

Il faut s’en faire aimer avant qu’on sedéclare ;

Notre submission à l’orgueil la prépare.

Lui dire incontinent son pouvoirsouverain,

C’est mettre à sa rigueur les armes à lamain.

Usons, pour être aimés, d’un meilleurartifice,

Et sans lui rien offrir, rendons-lui duservice ;

Réglons sur son humeur toutes nos actions,

Réglons tous nos desseins sur sesintentions,

Tant que par la douceur d’une longuehantise,

Comme insensiblement elle se trouve prise.

C’est par là que l’on sème aux dames desappas

Qu’elles n’évitent point, ne les prévoyantpas.

Leur haine envers l’amour pourrait être unprodige

Que le seul nom les choque, et l’effet lesoblige.

Alcidon

Suive qui le voudra ce procédénouveau :

Mon feu me déplairait caché sous cerideau.

Ne parler point d’amour ! Pour moi, je medéfie

Des fantasques raisons de taphilosophie :

Ce n’est pas là mon jeu. Le jolipasse-temps

D’être auprès d’une dame et causer du beautemps,

Lui jurer que Paris est toujours plein defange,

Qu’un certain parfumeur vend de fort bonne eaud’ange,

Qu’un cavalier regarde un autre detravers,

Que dans la comédie on dit d’assez bonsvers,

Qu’Aglante avec Philis dans un mois semarie !

Change, pauvre abusé, change de batterie,

Conte ce qui te mène, et ne t’amuse pas

À perdre innocemment tes discours et tespas.

Philiste

Je les aurais perdus auprès de mamaîtresse,

Si je n’eusse employé que la communeadresse,

Puisqu’inégal de biens et de condition,

Je ne pouvais prétendre à son affection.

Alcidon

Mais si tu ne les perds, je le tiens àmiracle,

Puisqu’ainsi ton amour rencontre un doubleobstacle,

Et que ton froid silence et l’inégalité

S’opposent tout ensemble à ta témérité.

Philiste

Crois que de la façon dont j’ai su meconduire

Mon silence n’est pas en état de menuire :

Mille petits devoirs ont tant parlé pourmoi,

Qu’il ne m’est plus permis de douter de safoi.

Mes soupirs et les siens font un secretlangage

Par où son cœur au mien à tous momentss’engage :

Des coups d’œil languissants, des sourisajustés,

Des penchements de tête à demi concertés,

Et mille autres douceurs, aux seuls amantsconnues,

Nous font voir chaque jour nos âmes toutesnues,

Nous sont de bons garants d’un feu qui chaquejour…

Alcidon

Tout cela, cependant, sans lui parlerd’amour ?

Philiste

Sans lui parler d’amour.

Alcidon

J’estime ta science ;

Mais j’aurais à l’épreuve un peud’impatience.

Philiste

Le ciel, qui nous choisit lui-même despartis,

À tes feux et les miens prudemmentassortis,

Et comme à ces longueurs t’ayant faitindocile,

Il te donne en ma sœur un naturel facile,

Ainsi pour cette veuve il a sum’enflammer,

Après m’avoir donné par où m’en faireaimer.

Alcidon

Mais il lui faut enfin découvrir toncourage.

Philiste

C’est ce qu’en ma faveur sa nourriceménage :

Cette vieille subtile a mille inventions

Pour m’avancer au but de mesintentions ;

Elle m’avertira du temps que je doisprendre ;

Le reste une autre fois se pourra mieuxapprendre :

Adieu.

Alcidon

La confidence avec un bon ami

Jamais sans l’offenser ne s’exerce à demi.

Philiste

Un intérêt d’amour me prescrit ceslimites :

Ma maîtresse m’attend pour faire desvisites

Où je lui promis hier de lui prêter lamain.

Alcidon

Adieu donc, cher Philiste.

Philiste

Adieu, jusqu’à demain.

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