La Veuve

Scène IV

Clarice,Philiste, laNourrice

 

Clarice

Paresseux, qui tardez si longtemps àvenir,

Devinez la façon dont je veux vous punir.

Philiste

M’interdiriez-vous bien l’honneur de votrevue ?

Clarice

Vraiment, vous me jugez de sens fortdépourvue :

Vous bannir de mes yeux ! une si dureloi

Ferait trop retomber le châtiment sur moi,

Et je n’ai pas failli, pour me punirmoi-même.

Philiste

L’absence ne fait mal que de ceux que l’onaime.

Clarice

Aussi, que savez-vous si vos perfections

Ne vous ont rien acquis sur mesaffections ?

Philiste

Madame, excusez-moi, je sais mieuxreconnaître

Mes défauts, et le peu que le ciel m’a faitnaître.

Clarice

N’oublierez-vous jamais ces termesravalés,

Pour vous priser de bouche autant que vousvalez ?

Seriez-vous bien content qu’on crût ce quevous dites ?

Demeurez avec moi d’accord de vosmérites ;

Laissez-moi me flatter de cette vanité,

Que j’ai quelque pouvoir sur votreliberté,

Et qu’une humeur si froide, à toute autreinvincible,

Ne perd qu’auprès de moi le titred’insensible :

Une si douce erreur tâche às’autoriser ;

Quel plaisir prenez-vous à m’endésabuser ?

Philiste

Ce n’est point une erreur ;pardonnez-moi, madame,

Ce sont les mouvements les plus sains de monâme.

Il est vrai, je vous aime, et mes feuxindiscrets

Se donnent leur supplice en demeurantsecrets.

Je reçois sans contrainte une ardeurtéméraire ;

Mais si j’ose brûler, je sais aussi metaire ;

Et près de votre objet, mon uniquevainqueur,

Je puis tout sur ma langue, et rien dessus moncœur.

En vain j’avais appris que la seuleespérance

Entretenait l’amour dans la persévérance,

J’aime sans espérer ; et mon cœurenflammé

A pour but de vous plaire, et non pas d’êtreaimé.

L’amour devient servile, alors qu’il sedispense

À n’allumer ses feux que pour larécompense.

Ma flamme est toute pure, et sans rienprésumer,

Je ne cherche en aimant que le seul biend’aimer.

Clarice

Et celui d’être aimé, sans que tu leprétendes,

Préviendra tes désirs et tes justesdemandes.

Ne déguisons plus rien, cher Philiste :il est temps

Qu’un aveu mutuel rende nos vœux contents.

Donnons-leur, je te prie, une entièreassurance,

Vengeons-nous à loisir de notreindifférence,

Vengeons-nous à loisir de toutes ceslangueurs

Où sa fausse couleur avait réduit noscœurs.

Philiste

Vous me jouez, madame, et cette accortefeinte

Ne donne à mon amour qu’une railleuseatteinte.

Clarice

Quelle façon étrange ! En me voyantbrûler,

Tu t’obstines encore à ledissimuler ;

Tu veux qu’encore un coup je me donne lahonte

De te dire à quel point l’amour pour toi medompte :

Tu le vois cependant avec pleine clarté,

Et veux douter encor de cettevérité ?

Philiste

Oui, j’en doute, et l’excès du bonheur quim’accable

Me surprend, me confond, me paraîtincroyable.

Madame, est-il possible ? et me puis-jeassurer

D’un bien à quoi mes vœux n’oseraientaspirer ?

Clarice

Cesse de me tuer par cette défiance.

Qui pourrait des mortels troubler notrealliance ?

Quelqu’un a-t-il à voir dessus mesactions,

Dont j’aie à prendre l’ordre en mesaffections ?

Veuve, et qui ne dois plus de respect àpersonne,

Ne puis-je disposer de ce que je tedonne ?

Philiste

N’ayant jamais été digne d’un tel honneur,

J’ai de la peine encore à croire monbonheur.

Clarice

Pour t’obliger enfin à changer de langage,

Si ma foi ne suffit que je te donne engage,

Un bracelet exprès tissu de mes cheveux,

T’attend pour enchaîner et ton bras et tesvœux ;

Viens le quérir, et prendre avec moi lajournée

Qui termine bientôt notre heureux hyménée.

Philiste

C’est dont vos seuls avis se doiventconsulter :

Trop heureux, quant à moi, de lesexécuter !

La Nourrice,seule.

Vous comptez sans votre hôte, et vous pourrezapprendre

Que ce n’est pas sans moi que ce jour se doitprendre.

De vos prétentions Alcidon averti

Vous fera, s’il m’en croit, un dangereuxparti.

Je lui vais bien donner de plus sûresadresses

Que d’amuser Doris par de faussescaresses ;

Aussi bien, m’a-t-on dit, à beau jeu beauretour :

Au lieu de la duper avec ce feint amour,

Elle-même le dupe, et lui rendant sonchange,

Lui promet un amour qu’elle garde àFlorange :

Ainsi, de tous côtés primé par un rival,

Ses affaires sans moi se porteraient fortmal.

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