La Veuve

Examen

 

Cette comédie n’est pas plus régulière queMélite en ce qui regarde l’unité de lieu, et a le mêmedéfaut au cinquième acte, qui se passe en compliments pour venir àla conclusion d’un amour épisodique ; avec cette différencetoutefois que le mariage de Célidan avec Doris a plus de justessedans celle-ci que celui d’Éraste avec Chloris dans l’autre. Elle aquelque chose de mieux ordonné pour le temps en général, qui n’estpas si vague que dans Mélite, et a ses intervalles mieuxproportionnés par cinq jours consécutifs. C’était un tempéramentque je croyais lors fort raisonnable entre la rigueur des vingt etquatre heures et cette étendue libertine qui n’avait aucunesbornes. Mais elle a ce même défaut dans le particulier de la duréede chaque acte, que souvent celle de l’action y excède de beaucoupcelle de la représentation. Dans le commencement du premier,Philiste quitte Alcidon pour aller faire des visites avec Clarice,et paraît en la dernière scène avec elle au sortir de ces visites,qui doivent avoir consumé toute l’après-dînée, ou du moins lameilleure partie. La même chose se trouve au cinquième :Alcidon y fait partie avec Célidan d’aller voir Clarice sur le soirdans son château, où il la croit encore prisonnière, et se résoutde faire part de sa joie à la nourrice, qu’il n’oserait voir dejour, de peur de faire soupçonner l’intelligence secrète etcriminelle qu’ils ont ensemble ; et environ cent vers après,il vient chercher cette confidente chez Clarice, dont il ignore leretour. Il ne pouvait être qu’environ midi quand il en a formé ledessein, puisque Célidan venait de ramener Clarice (ce quevraisemblablement il a fait le plus tôt qu’il a pu, ayant unintérêt d’amour qui le pressait de lui rendre ce service en faveurde son amant) ; et quand il vient pour exécuter cetterésolution, la nuit doit avoir déjà assez d’obscurité pour cachercette visite qu’il lui va rendre. L’excuse qu’on pourrait y donner,aussi bien qu’à ce que j’ai remarqué de Tircis dansMélite, c’est qu’il n’y a point de liaisons de scènes, etpar conséquent point de continuité d’action. Aussi, on pourraitdire que ces scènes détachées qui sont placées l’une après l’autrene s’entre-suivent pas immédiatement, et qu’il se consume un tempsnotable entre la fin de l’une et le commencement de l’autre ;ce qui n’arrive point quand elles sont liées ensemble, cetteliaison étant cause que l’une commence nécessairement au mêmeinstant que l’autre finit.

Cette comédie peut faire connaître l’aversionnaturelle que j’ai toujours eue pour les a parte. Elle m’en donnaitde belles occasions, m’étant proposé d’y peindre un amourréciproque qui parût dans les entretiens de deux personnes qui neparlent point d’amour ensemble, et de mettre des complimentsd’amour suivis entre deux gens qui n’en ont point du tout l’un pourl’autre, et qui sont toutefois obligés, par des considérationsparticulières, de s’en rendre des témoignages mutuels. C’était unbeau jeu pour ces discours à part, si fréquents chez les anciens etchez les modernes de toutes les langues ; cependant j’ai sibien fait, par le moyen des confidences qui ont précédé ces scènesartificieuses, et des réflexions qui les ont suivies, que sansemprunter ce secours, l’amour a paru entre ceux qui n’en parlentpoint, et le mépris a été visible entre ceux qui se font desprotestations d’amour. La sixième scène du quatrième acte semblecommencer par ces a parte, et n’en a toutefois aucun. Célidan et lanourrice y parlent véritablement chacun à part, mais en sorte quechacun des deux veut bien que l’autre entende ce qu’il dit. Lanourrice cherche à donner à Célidan des marques d’une douleur trèsvive, qu’elle n’a point, et en affecte d’autant plus les dehorspour l’éblouir ; et Célidan, de son côté, veut qu’elle aitlieu de croire qu’il la cherche pour la tirer du péril où il feintqu’elle est, et qu’ainsi il la rencontre fort à propos. Le reste decette scène est fort adroit, par la manière dont il dupe cettevieille, et lui arrache l’aveu d’une fourbe où on le voulaitprendre lui-même pour dupe. Il l’enferme, de peur qu’elle ne fasseencore quelque pièce qui trouble son dessein ; et quelques-unsont trouvé à dire qu’on ne parle point d’elle au cinquième ;mais ces sortes de personnages, qui n’agissent que pour l’intérêtdes autres, ne sont pas assez d’importance pour faire naître unecuriosité légitime de savoir leurs sentiments sur l’événement de lacomédie, où ils n’ont plus que faire quand on n’y a plus affaired’eux ; et d’ailleurs Clarice y a trop de satisfaction de sevoir hors du pouvoir de ses ravisseurs et rendue à son amant, pourpenser en sa présence à cette nourrice, et prendre garde si elleest en sa maison, ou si elle n’y est pas.

Le style n’est pas plus élevé ici que dansMélite, mais il est plus net et plus dégagé des pointesdont l’autre est semée, qui ne sont, à en bien parler, que defausses lumières, dont le brillant marque bien quelque vivacitéd’esprit, mais sans aucune solidité de raisonnement. L’intrigue yest aussi beaucoup plus raisonnable que dans l’autre ; etAlcidon a lieu d’espérer un bien plus heureux succès de sa fourbequ’Éraste de la sienne.

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