Scène première
Philiste,Lycas
Philiste
Des voleurs cette nuit ont enlevéClarice !
Quelle preuve en as-tu ? queltémoin ? quel indice ?
Ton rapport n’est fondé que sur quelque fauxbruit.
Lycas
Je n’en suis par les yeux, hélas ! quetrop instruit ;
Les cris de sa nourrice en sa maisondéserte
M’ont trop suffisamment assuré de saperte ;
Seule en ce grand logis, elle court haut etbas,
Elle renverse tout ce qui s’offre à sespas,
Et sur ceux qu’elle voit frappe sansreconnaître ;
À peine devant elle oserait-onparaître :
De furie elle écume, et fait sans cesse unbruit
Que le désespoir forme, et que la ragesuit ;
Et parmi ses transports, son hurlementfarouche
Ne laisse distinguer que Clarice en sabouche.
Philiste
Ne t’a-t-elle rien dit ?
Lycas
Soudain qu’elle m’a vu,
Ces mots ont éclaté d’un transportimprévu :
« Va lui dire qu’il perd sa maîtresse etla nôtre » ;
Et puis incontinent, me prenant pour unautre,
Elle m’allait traiter en auteur duforfait ;
Mais ma fuite a rendu sa fureur sanseffet.
Philiste
Elle nomme du moins celui qu’elle ensoupçonne ?
Lycas
Ses confuses clameurs n’en accusentpersonne,
Et même les voisins n’en savent que juger.
Philiste
Tu m’apprends seulement ce qui peutm’affliger,
Traître, sans que je sache où, pour monallégeance,
Adresser ma poursuite et porter mavengeance.
(Seul.)
Tu fais bien d’échapper ; dessus toi madouleur,
Faute d’un autre objet, eût vengé cemalheur :
Malheur d’autant plus grand que sa sourceignorée
Ne laisse aucun espoir à mon âme éplorée,
Ne laisse à ma douleur, qui va finir mesjours,
Qu’une plainte inutile au lieu d’un promptsecours :
Faible soulagement en un coup sifuneste ;
Mais il s’en faut servir, puisque seul il nousreste.
Plains, Philiste, plains-toi, mais avec desaccents
Plus remplis de fureur qu’ils ne sontimpuissants ;
Fais qu’à force de cris poussés jusqu’en lanue,
Ton mal soit plus connu que sa causeinconnue ;
Fais que chacun le sache, et que par tesclameurs
Clarice, où qu’elle soit, apprenne que tumeurs.
Clarice, unique objet qui me tiens enservage,
Reçois de mon ardeur ce derniertémoignage :
Vois comme en te perdant je vais perdre lejour,
Et par mon désespoir juge de mon amour.
Hélas ! pour en juger, peut-être est-ceta feinte
Qui me porte à dessein cette cruelleatteinte,
Et ton amour, qui doute encor de messerments,
Cherche à s’en assurer par mesressentiments.
Soupçonneuse beauté, contente ton envie,
Et prends cette assurance aux dépens de mavie.
Si ton feu dure encor, par mes dernierssoupirs
Reçois ensemble et perds l’effet de tesdésirs ;
Alors ta flamme en vain pour Philisteallumée,
Tu lui voudras du mal de t’avoir tropaimée ;
Et sûre d’une foi que tu crainsd’accepter,
Tu pleureras en vain le bonheur d’endouter.
Que ce penser flatteur me dérobe àmoi-même !
Quel charme à mon trépas de penser qu’ellem’aime !
Et dans mon désespoir qu’il m’est douxd’espérer,
Que ma mort, à son tour, la ferasoupirer !
Simple, qu’espères-tu ? Sa pertevolontaire
Ne veut que te punir d’un amourtéméraire ;
Ton déplaisir lui plaît, et tous autrestourments
Lui sembleraient pour toi de légerschâtiments.
Elle en rit maintenant, cette belleinhumaine ;
Elle pâme de joie au récit de ta peine,
Et choisit pour objet de son affection
Un amant plus sortable à sa condition.
Pauvre désespéré, que ta raisons’égare !
Et que tu traites mal une amitié sirare !
Après tant de serments de n’aimer rien quetoi,
Tu la veux faire heureuse aux dépens de safoi ;
Tu veux seul avoir part à la douleurcommune ;
Tu veux seul te charger de toutel’infortune,
Comme si tu pouvais en croissant tesmalheurs
Diminuer les siens, et l’ôter aux voleurs.
N’en doute plus, Philiste, un ravisseurinfâme
A mis en son pouvoir la reine de ton âme,
Et peut-être déjà ce corsaire effronté
Triomphe insolemment de sa fidélité.
Qu’à ce triste penser ma vigueurdiminue !