La Veuve

Scène VI

Alcidon, laNourrice

 

La Nourrice

Je te prends au sortir d’un plaisantentretien.

Alcidon

Plaisant, de vérité, vu que mon artifice

Lui raconte les vœux que j’envoie àClarice ;

Et de tous mes soupirs, qui se portent plusloin,

Elle se croit l’objet, et n’en est quetémoin.

La Nourrice

Ainsi ton feu se joue ?

Alcidon

Ainsi quand je soupire,

Je la prends pour une autre, et lui dis monmartyre,

Et sa réponse, au point que je puissouhaiter,

Dans cette illusion a droit de me flatter.

La Nourrice

Elle t’aime ?

Alcidon

Et de plus, un discours équivoque

Lui fait aisément croire un amourréciproque.

Elle se pense belle, et cette vanité

L’assure imprudemment de macaptivité ;

Et comme si j’étais des amants ordinaires,

Elle prend sur mon cœur des droitsimaginaires,

Cependant que le sien sent tout ce que jefeins,

Et vit dans les langueurs dont à faux je meplains.

La Nourrice

Je te réponds que non. Si tu n’y metsremède,

Avant qu’il soit trois jours Florange lapossède.

Alcidon

Et qui t’en a tant dit ?

La Nourrice

Géron m’a tout conté ;

C’est lui qui sourdement a conduit cetraité.

Alcidon

C’est ce qu’en mots obscurs son adieu voulaitdire.

Elle a cru me braver, mais je n’en fais querire ;

Et comme j’étais las de me contraindretant,

La coquette qu’elle est m’oblige en mequittant.

Ne m’apprendras-tu point ce que fait tamaîtresse ?

La Nourrice

Elle met ton agente au bout de sa finesse.

Philiste assurément tient son espritcharmé ;

Je n’aurais jamais cru qu’elle l’eût tantaimé.

Alcidon

C’est à faire à du temps.

La Nourrice

Quitte cette espérance :

Ils ont pris l’un de l’autre une entièreassurance,

Jusqu’à s’entre-donner la parole et lafoi.

Alcidon

Que tu demeures froide en te moquant demoi !

La Nourrice

Il n’est rien de si vrai ; ce n’est pointraillerie.

Alcidon

C’est donc fait d’Alcidon ! Nourrice, jete prie…

La Nourrice

Rien ne sert de prier ; mon espritépuisé

Pour divertir ce coup n’est point assezrusé.

Je n’en sais qu’un moyen, mais je ne l’osedire.

Alcidon

Dépêche, ta longueur m’est un secondmartyre.

La Nourrice

Clarice, tous les soirs, rêvant à sesamours,

Seule dans son jardin fait trois ou quatretours.

Alcidon

Et qu’a cela de propre à reculer maperte ?

La Nourrice

Je te puis en tenir la fausse porteouverte.

Aurais-tu du courage assez pourl’enlever ?

Alcidon

Oui, mais il faut retraite après où mesauver ;

Et je n’ai point d’ami si peu jaloux degloire

Que d’être partisan d’une action si noire.

Si j’avais un prétexte, alors je ne dispas

Que quelqu’un abusé n’accompagnât mes pas.

La Nourrice

On te vole Doris, et ta feinte colère

Manquerait de prétexte à quereller sonfrère !

Fais-en sonner partout un fauxressentiment :

Tu verras trop d’amis s’offriraveuglément,

Se prendre à ces dehors, et sans voir dans tonâme,

Vouloir venger l’affront qu’aura reçu taflamme.

Sers-toi de leur erreur, et dupe-les sibien…

Alcidon

Ce prétexte est si beau que je ne crains plusrien.

La Nourrice

Pour ôter tout soupçon de notreintelligence,

Ne faisons plus ensemble aucuneconférence,

Et viens quand tu pourras ; je t’attendsdès demain.

Alcidon

Adieu. Je tiens le coup, autant vaut, dans mamain.

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