La Veuve

Scène VI

Chrysante,Célidan,Doris

 

Chrysante

Son feu précipité

Lui fait faire envers vous uneincivilité ;

Vous la pardonnerez à cette ardeur tropforte

Qui sans vous dire adieu, vers son objetl’emporte.

Célidan

C’est comme doit agir un véritable amour.

Un feu moindre eût souffert quelque plus longséjour ;

Et nous voyons assez par cette expérience

Que le sien est égal à son impatience.

Mais puisqu’ainsi le ciel rejoint ces deuxamants,

Et que tout se dispose à voscontentements,

Pour m’avancer aux miens, oserais-je,madame

Offrir à tant d’appas un cœur qui n’est queflamme,

Un cœur sur qui ses yeux de tout tempsabsolus

Ont imprimé des traits qui ne s’effacentplus ?

J’ai cru par le passé qu’une ardeurmutuelle

Unissait les esprits et d’Alcidon etd’elle,

Et qu’en ce cavalier son désir arrêté

Prendrait tous autres vœux pourimportunité.

Cette seule raison m’obligeant à me taire,

Je trahissais mon feu de peur de luidéplaire ;

Mais aujourd’hui qu’un autre en sa placereçu

Me fait voir clairement combien j’étaisdéçu,

Je ne condamne plus mon amour au silence,

Et viens faire éclater toute sa violence.

Souffrez que mes désirs, si longtempsretenus,

Rendent à sa beauté des vœux qui lui sontdus ;

Et du moins, par pitié d’un si cruelmartyre,

Permettez quelque espoir à ce cœur quisoupire.

Chrysante

Votre amour pour Doris est un si grandbonheur

Que je voudrais sur l’heure en accepterl’honneur ;

Mais vous voyez le point où me réduitPhiliste,

Et comme son caprice à mes souhaitsrésiste.

Trop chaud ami qu’il est, il s’emporte à touscoups

Pour un fourbe insolent qui se moque denous.

Honteuse qu’il me force à manquer depromesse,

Je n’ose vous donner une réponse expresse,

Tant je crains de sa part un désordrenouveau.

Célidan

Vous me tuez, madame, et cachez lecouteau :

Sous ce détour discret un refus se colore.

Chrysante

Non, monsieur, croyez-moi, votre offre noushonore.

Aussi dans le refus j’aurais peu deraison :

Je connais votre bien, je sais votremaison.

Votre père jadis (hélas ! que cettehistoire

Encor sur mes vieux ans m’est douce en lamémoire !),

Votre feu père, dis-je, eut de l’amour pourmoi ;

J’étais son cher objet ; et maintenant jevoi

Que comme par un droit successif defamille,

L’amour qu’il eut pour moi, vous l’avez pourma fille.

S’il m’aimait, je l’aimais ; et lesseules rigueurs

De ses cruels parents divisèrent noscœurs :

On l’éloigna de moi par ce maudit usage

Qui n’a d’égard qu’aux biens pour faire unmariage ;

Et son père jamais ne souffrit son retour

Que ma foi n’eût ailleurs engagé monamour :

En vain à cet hymen j’opposai maconstance ;

La volonté des miens vainquit marésistance.

Mais je reviens à vous, en qui je voisportraits

De ses perfections les plus aimablestraits.

Afin de vous ôter désormais toute crainte

Que dessous mes discours se cache aucunefeinte,

Allons trouver Philiste, et vous verrezalors

Comme en votre faveur je ferai mesefforts.

Célidan

Si de ce cher objet j’avais mêmeassurance,

Rien ne pourrait jamais troubler monespérance.

Doris

Je ne sais qu’obéir, et n’ai point devouloir.

Célidan

Employer contre vous un absolupouvoir !

Ma flamme d’y penser se tiendraitcriminelle.

Chrysante

Je connais bien ma fille, et je vous répondsd’elle.

Dépêchons seulement d’aller vers cesamants.

Célidan

Allons : mon heur dépend de voscommandements.

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