L’Amérique mystérieuse – Todd Marvel Détective Milliardaire – Tome II

CHAPITRE IV – VERS LE MEXIQUE

L’évanouissement de Marianna avait été de peude durée, la fraîcheur du sous-bois, humide de rosée, l’avaitpromptement fait revenir à elle. Mais, en reprenant conscience desa navrante situation, la pauvre mulâtresse sentit renaître sesangoisses et son chagrin.

L’espoir qu’elle avait un instant caressé deretrouver l’enfant avant qu’on se fût aperçu de sa disparition,s’était évanoui. Le cœur gonflé d’amertume, elle se disait qu’il nelui restait plus qu’à aller apprendre à Marthe la terrible nouvelleet elle tremblait à la seule pensée de la scène qui allait seproduire. Puis, les travailleurs de la plantation battraient lepays dans toutes les directions et, peut-être retrouveraient-ils lepetit Georges.

Là-dessus d’ailleurs elle ne se faisait aucuneillusion : l’enfant était perdu pour toujours. Ceux quil’avaient enlevé, avaient dû machiner leur coup de longue date etprendre toutes les précautions pour s’assurer l’impunité.

Elle ne doutait pas que le coupable ne fûtElihu Kraddock, dont elle se rappelait la physionomie sinistre,pour l’avoir vu une ou deux fois au moment du procès et ellen’osait songer à ce que le bandit avait pu faire de l’innocent babytombé entre ses mains.

Torturée par les horribles images qui seprésentaient à son esprit, Marianna pleurait à chaudes larmes. Elleeût voulu mourir ; l’idée d’un suicide qui mettrait fin d’unseul coup aux tortures morales qu’elle endurait se précisait deplus en plus dans son esprit.

Lentement, comme à regret elle se dirigeaitvers la porte du jardin, et à mesure qu’elle s’en rapprochait, sadémarche devenait plus hésitante, elle poussait de profondssoupirs.

– Non, c’est impossible !bégaya-t-elle, je n’oserai jamais…

Elle fit encore quelques pas et se trouva toutà coup nez à nez avec un adolescent dépenaillé et d’une remarquablelaideur, dans lequel on a sans doute reconnu Petit Dadd qui, luiaussi, se dirigeait vers la porte du jardin.

En l’apercevant, Marianna avait eu unmouvement de recul. Dadd, dont le coup d’œil perçant avait tout desuite reconnu la femme dans la chambre de laquelle il s’étaitintroduit la nuit précédente, comprit qu’il fallait tout d’abord larassurer.

– Vous pleurez, lui dit-il de sa voix laplus douce, si vous êtes la personne que je pense, je suispeut-être en mesure de vous consoler.

– Que voulez-vous dire ? s’écria lamulâtresse, se raccrochant avidement au vague espoir que luisuggérait la phrase de l’inconnu.

– Figurez-vous, ajouta-t-il d’un tonpersuasif, qu’un de mes camarades et moi – nous sommes deux pauvresdiables de tramps – nous avons trouvé un petit enfant…

– Ah ! si vous pouviez dire vrai,fit Marianna en joignant les mains, je crois que je deviendraisfolle de joie !… Vous ne voulez pas vous moquer de moi, aumoins ? Répétez-moi que c’est bien vrai, que vous avez trouvéun enfant !…

– C’est tout ce qu’il y a de plus vrai,déclara Dadd solennellement, je vous en donne ma parole d’honneur.D’ailleurs vous allez le voir dans un instant, il est ici, à deuxpas.

– Où cela ? – non, je ne peux pascroire que c’est vrai ! – Je vous en suppliemontrez-le-moi ! Je meurs d’impatience…

– Calmez-vous, je vous répète qu’il estlà. Hé, Toby, apporte le baby !

« Mon camarade, ajouta-t-il, est resté unpeu en arrière, il marche très doucement pour ne pas réveiller lepetit.

La vérité, c’est que Dadd qui était en touteschoses d’une extrême prudence, s’était dit qu’en arrivant avecl’enfant dans les bras, il risquait tout d’abord d’être pris pourle voleur. De la façon dont il avait arrangé la chose, une méprise,même momentanée, n’était pas possible.

Toby ne tarda pas à paraître portant avecprécaution le petit Georges.

Avec la rapidité d’un vautour qui fond sur saproie, Marianna s’était jetée sur l’enfant, l’arrachant presque desbras de Toby, et elle le couvrait de baisers et de caresses, riantet pleurant à la fois.

Ainsi bousculé, le petit Georges se mit luiaussi à pleurer et la mulâtresse se souvint tout à coup qu’iln’avait pas bu depuis le milieu de la nuit.

– Pauvre chéri ! murmura-t-elle, ilmeurt de faim, et moi qui n’y pensais pas.

Elle dégrafa précipitamment son peignoir, elledonna le sein à l’enfant qui, aussitôt calmé, se mit à boireavidement.

Assise sur une grosse racine d’arbre etcouvant des yeux le cher bébé reconquis, Marianna demeuraitsilencieuse, toute à la joie immense qu’elle ressentait, le regardperdu dans un rêve. On eût dit que maintenant qu’elle le tenait, illui était égal de savoir comment il avait été volé, puisretrouvé.

En diplomate avisé, Dadd attendait patiemmentqu’elle le questionnât. Il tenait toute prête une histoiresuffisamment vraisemblable.

– Mon camarade et moi, raconta-t-il, nousavons passé la nuit dans les bois. Nous cherchions à regagner lagrande route, quand nous avons aperçu un homme qui marchait en seretournant fréquemment, comme quelqu’un qui vient de faire unmauvais coup. Il portait ce baby dans ses bras et était suivi d’ungrand chien noir.

– Un chien noir, interrompit Marianna,c’est certainement Elihu ! J’en étais sûre.

– Les allures de cet homme nous parurentsuspectes. Nous le suivîmes sans nous montrer pour voir ce qu’ilallait faire. Il s’arrêta au pied d’un chêne dont le tronc estentièrement creux et y cacha l’enfant après lui avoir arrangé unlit de mousse et avoir dissimulé la cavité avec des branchages.

Dadd aurait pu fournir des détails encore pluscirconstanciés, car c’était lui-même qui avait eu l’idée de lacachette et qui avait exécuté tout ce qu’il mettait sur le comptede l’homme au chien noir.

– Vous comprenez, conclut-il, que dès quele bandit a eu les talons tournés, nous nous sommes emparés dupetit avec l’intention de le rapporter à ses parents, si nousparvenions à les découvrir.

Dadd ajouta modestement :

– Nous n’avons fait que notre devoir,tous les honnêtes gens, à notre place, auraient agi de la mêmefaçon.

– Vous êtes de braves garçons, fitMarianna tout émue et moi qui ne vous ai pas seulement remerciés.Je ne sais pas où j’ai la tête, mais vous n’avez rien perdu pourattendre et, aujourd’hui, vous pourrez vous vanter d’avoir fait unebonne journée ! Grâce à Dieu, vous n’avez pas affaire à uneingrate !…

– Quand on a fait une bonne action, on afait une bonne journée, répliqua Dadd d’un petit air cafard, sanssoupçonner aucunement qu’il rééditait une pensée de l’empereurTitus.

– Venez avec moi, dit la mulâtresse, jevais commencer par vous servir un lunch solide et ensuite…

– Impossible, répliqua Dadd toujourscirconspect, il faut que nous prenions le train. J’ai une sœur trèsmalade qui m’attend et de plus on nous a promis du travail dans uneusine, à huit milles d’ici.

– Tant pis, lors attendez-moi là, je vaisrevenir dans cinq minutes, vous serez contents de moi, je vous lepromets.

Toute joyeuse, Marianna disparut avec l’enfantpar la porte du jardin qu’elle laissa entrebâillée.

 

Elle ne revint qu’au bout d’une demi-heure etles deux bandits commençaient à trouver le temps long, quand elleapparut, pliant sous le faix de toutes sortes d’objets.

C’était d’abord un sac de toile, gonflé depain, de jambon, de boîtes de conserve sans oublier une petitefiole de whisky, puis un paquet de vieux vêtements encore assezprésentables, parmi lesquels il y avait une robe de femme et uncorsage pour la prétendue sœur de Dadd, enfin une boîte quirenfermait du savon, du tabac, un peigne et un rasoir.

– Ce n’est pas tout, dit Marianna en leurprésentant une enveloppe. Mrs Grinnel vous remercie infinimentet vous prie d’accepter ce bank-note pour vous aider à sortird’affaire. Elle a été très contrariée que vous refusiez de passerquelques jours à l’hacienda.

Le bank-note était un billet de cinq centsdollars.

– Je suis confus de vos bontés, – s’écriaDadd, avec une émotion réelle, ou, tout au moins, fort bien jouée,– mistress, permettez-moi de vous embrasser.

Marianna s’exécuta de bonne grâce et dut aussisubir l’accolade de Toby qui tenait à se montrer à la hauteur deson compagnon.

Quand la porte du jardin se fut refermée surla généreuse mulâtresse, Dadd et Toby exécutèrent une véritablegigue, tellement ils étaient satisfaits de la tournure desévénements.

L’avenir leur apparaissait sous les plusriantes couleurs.

Tout d’abord ils se jetèrent sur lesprovisions comme des loups affamés, mangèrent comme des ogres et nelaissèrent pas une goutte de whisky. Ensuite Toby se rasa etrevêtit un complet assez propre trouvé dans un des paquets.

– Supprime donc ta moustache, luiconseilla Dadd, tu sais que ton signalement est affichépartout.

– Tu as raison, mais pourquoi nechanges-tu pas de vêtements ? Il y en a là un qui t’irait trèsbien.

– Moi, j’ai une autre idée, fit le jeunebandit, fort occupé à examiner le corsage et la robe destinés à sasœur.

– Qu’est-ce que tu vas faire.

– Tout simplement me camoufler en petitevieille, comme cela m’est déjà arrivé. Je suis assez laid pourcela. Quant à toi, je vais te passer au jus de tabac et tu feras unmulâtre superbe. Je parierais que la gare, située à deux millesd’ici, est infestée de policemen, il faut prendre sesprécautions.

*

**

Deux heures plus tard, en dépit du policemaninstallé en face du guichet de distribution des billets, Dadd etToby, grâce à leurs déguisements, purent prendre place sansencombre dans un train à destination du Texas.

Ils se rendaient à Mexico.

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