L’Amérique mystérieuse – Todd Marvel Détective Milliardaire – Tome II

CHAPITRE III – LES EMBARRAS DE PETITDADD

Lorsque Dadd, après un de ces profondssommeils, qui sont un véritable bienfait pour l’organisme, ouvritles yeux à la lumière, il faisait grand jour.

Le soleil était déjà très haut sur l’horizonet la brise marine qui pénétrait par le hublot resté ouvert,répandait dans la cabine une fraîcheur délicieuse.

Dadd se frotta les yeux, bâilla et s’étira,comme un chat troublé dans son repos.

Il regarda ensuite autour de lui avecébahissement.

Ses idées n’étaient pas encore très nettes. Ilse croyait toujours dans sa caisse à piano et il s’étonnait de latrouver si grande.

Puis, tout à coup, le souvenir de ce quis’était passé la veille, lui revint en mémoire, et il se mit à rirede bon cœur des aventures assez bizarres dans lesquelles il s’étaitlancé, sous l’influence du champagne sec.

Puis assis sur son lit, et malgré le violentmal de tête qu’il ressentait, il essaya de réfléchirsérieusement.

– Jusqu’ici, murmura-t-il, en se grattantle bout du nez par un tic qui lui était habituel, tout va bien,mais comment les choses vont-elles se passer lorsque nousarriverons en France ?…

« Puis il y a ces sacrés documents, je nevois pas trop comment je pourrai mettre la main dessus.

« Et Virginia, qu’est-elledevenue ?

Il avait murmuré cette dernière phrase ensouriant, mais presque aussitôt ses traits prirent une expressionmélancolique.

« Pauvre fille ! soupira-t-il.Qu’est-ce qu’ils ont bien pu en faire.

« Vraiment, on dira ce qu’on voudra, maisje n’ai pas agi tout à fait en gentleman.

Une autre constatation vint encore augmentersa tristesse.

Il ressentait d’affreux tiraillementsd’estomac, encore aggravés par ses libations de la nuitprécédente.

Il eût été homme à ronger jusqu’à l’os unjambon de mouton entouré d’une livre ou deux de belles pommes deterre, en l’arrosant de quelques bouteilles d’ale.

– Sale affaire ! se dit-il. Je suisplein de ressources quand j’ai bien dîné. Mais si on me prend parla famine, je deviens complètement idiot…

« Je vois d’ici la tête que feraient ToddMarvel et les autres si, quand va sonner la cloche du lunch,j’allais tranquillement m’asseoir dans la salle à manger endemandant cérémonieusement à Miss Elsie si elle a passé une bonnenuit !…

Le cœur navré, Dadd s’approcha du robinet dulavabo et, faute de mieux, absorba une forte prise d’eau douce.

Ce rafraîchissement lui procura d’ailleurs uncertain soulagement.

Il s’occupa ensuite de réparer tant bien quemal le désordre de sa toilette.

Un morceau de savon qu’il trouva dans untiroir lui permit d’effacer complètement les traces de cirage quile rendaient hideux.

Il se trempa ensuite dans l’eau fraîche, etdonna quelques soins à son complet qui imbibé d’eau de mer et àdemi séché était devenu une véritable loque.

Enfin, il inspecta ses outils, et constataavec plaisir qu’ils étaient en excellent état, à peine un peutachés de rouille.

Il était occupé à ces petits soinsd’intérieur, lorsque de l’autre côté de la cloison, il entendit unsanglot déchirant.

Dadd avait une foule de défauts, mais il avaitl’émotion facile.

S’il eût vécu au XVIIIe siècle, onl’aurait infailliblement rangé dans la catégorie des « âmessensibles ».

– Ce sont les sanglots d’une femme,murmura-t-il. Certes, je ne suis pas parfait, mais quand j’entendscela, je me sens le cœur déchiré… Il faut voir de quoi ilretourne !

Il choisit dans sa trousse une excellentevrille et se mit en devoir de percer un trou dans la cloison.

Cinq minutes plus tard, et grâce au silencequi régnait dans cette partie du yacht, il pouvait entendre tout cequi se disait dans la cabine voisine.

Il eut un tressaillement en reconnaissant àtravers ces sanglots, la voix de l’inoubliable Virginia.

Une autre personne, qui parlait avec beaucoupde douceur – Dadd supposa que c’était Miss Elsie – essayait deconsoler l’infortunée négresse.

Dadd eut un sourire d’orgueil.

– Eh bien ! se dit-il, ce n’étaittout de même pas si bête que ça mon idée de la caisse à piano.

« Ça a marché épatamment.

« Ah ! si Virginia savait que jesuis là, elle en attraperait la colique !

Tout en s’abandonnant à ces vaniteusespensées, Dadd ne perdait pas un mot de la conversation.

Miss Virginia parlait de sa situation perdue,des difficultés qu’elle aurait à regagner Libéria, où, peut-êtreles chefs de la colonie ne voudraient plus d’elle, l’accuseraientde s’être enfuie avec un Blanc.

– N’ayez aucune crainte, lui dit MissElsie avec bonté. Demain au point du jour, comme vient de mel’expliquer Mr Todd Marvel, le Desdemona passe aularge des îles Açores.

« Le yacht stoppera à peu de distance dela ville de Madère, juste assez de temps pour qu’une embarcationaille vous déposer à terre.

Cette déclaration, au lieu d’apaiser Virginia,ne fit qu’amener un redoublement de sanglots et de larmes.

– Et moi, quéque deviendrai dans paysinconnu ? bégaya la pauvre bachelière, qui dans son émoioubliait toute sa science, et se remettait à employer le patois deson enfance. Mistress veut abandonner pauvre petite négresse !Je vois bien, ah ! je vois bien !…

– Mais non, mon enfant, répondit MissElsie, à la fois apitoyée et amusée.

« Je ne veux pas du tout me débarrasserde vous, comme vous avez l’air de le croire.

« Si vous voulez rester avec nous, j’enserai enchantée…

Virginia était décidément difficile àconsoler.

– Non, non ! s’écria-t-elle, je veuxpas rester, je veux aller à Libéria !…

– Le meilleur moyen d’y arriver, dit MissElsie avec beaucoup de patience, c’est de faire ce que je vousdis.

« Vous descendrez à Madère, là il y a unservice de bateaux, très régulier.

« Vous prendrez un billet pour Monrovia,où vous serez presque aussi tôt arrivée que vos amis du BookerWashington.

Virginia semblait à demi convaincue. Elleessuya ses larmes, et resta silencieuse une longue minute.

– Oui, dit-elle enfin sur un ton dereproche, mais pas d’argent pour le passage !

– Ne vous inquiétez pas de cela.

« Voici un petit portefeuille quicontient trois mille dollars.

– Pour moi ! fit Virginiaextasiée.

– Oui ! c’est pour vous. Il y a unpeu plus que le prix du passage, mais vous garderez le reste ensouvenir de vos amis du Desdemona.

« Maintenant, faites un bout de toiletteet vous allez venir déjeuner avec nous à la salle à manger dubord.

« Il faut prendre des forces pourcontinuer le voyage !

Et elle ajouta, d’un ton dereproche :

– Comment ! vous n’avez pas touchéau chocolat, aux tartines, aux œufs à la coque que je vous avaisfait envoyer ? C’est fort mal !

Pour toute réponse Virginia dans un élan degratitude se jeta aux genoux de sa bienfaitrice, et dans un gesteplein de douceur et d’humilité, lui embrassa la main avec uneferveur passionnée.

Dadd avait entendu la porte de la cabine serefermer, le bruit avait cessé.

– Elles sont parties« becqueter », dit-il dans l’affreux argot qu’ilemployait. Je ne serais pas fâché d’en faire autant.

L’idée qu’il y avait de l’autre côté de lacloison un excellent petit déjeuner, lui mettait l’eau à la boucheet stimulait son imagination inventive.

Il pensa d’abord à sortir par le hublot de sacabine et à pénétrer dans celle de Virginia de la même manière.

Mais cette acrobatie qu’il avait exécutée enpleine nuit, et sous l’empire de la surexcitation causée par lechampagne, lui paraissait imprudente, sinon impossible en pleinjour.

Il avait heureusement d’excellents outils, ilne fallait pas, comme disent les Français, « chercher midi àquatorze heures ».

Il tira de sa sacoche trois bouts de métallongs chacun comme la main, et un peu plus gros que le pouce.

Il les vissa soigneusement les uns au bout desautres.

Quand il eut terminé cette opération, il avaiten mains une superbe pince, de celles que les cambrioleursappellent « pince monseigneur » et que lui dénommaitfacétieusement « un sucre de pomme ».

Avec l’extrémité aplatie du levier, il n’eutqu’à donner une légère pesée pour faire sauter le cadenas.

Méthodiquement, il démonta son outil, le remiten place, entrebâilla la porte, et après avoir constaté que lecouloir était désert, replaça le cadenas de telle sorte qu’àpremière vue, il paraissait intact.

Virginia n’avait pas pris la peine de fermerla porte de sa cabine.

Dadd entra et tout d’abord il engloutit lapile de « tostes » grillés beurrés et salés à point, quiétaient déposés sur un plateau de vermeil.

On eût dit un loup affamé.

Il goba ensuite les œufs qu’il déclara depremière fraîcheur, et termina par le chocolat qu’il s’assura àlui-même être le meilleur qu’il eût jamais goûté.

Après ce lunch il se sentait un tout autrehomme. Sa verve, sa belle humeur, et sa philosophie optimiste, luiétaient revenues.

Il se disposait à regagner sa cabine, quand ileut une autre idée.

– Je suis fort bien ici, se dit-il,pourquoi m’en irai-je ?

« Personne n’aura l’idée d’aller mechercher chez Virginia.

« Je suis plus en sûreté chez elle, quepartout ailleurs.

Cette réflexion faite, il se glissa sous lelit, sans crainte de surprise, et se mit, comme il disait, à« tirer des plans ».

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