L’Amérique mystérieuse – Todd Marvel Détective Milliardaire – Tome II

Douzième épisode – L’HALLUCINANTEPHOTOGRAPHIE

CHAPITRE PREMIER – UN MISANTHROPECONVAINCU

Un des quarante ascenseurs qui desservent lestrois mille chambres du Gigantic Hotel, Stade Street, àChicago, venait de s’arrêter au quinzième étage. Le Noir vêtud’écarlate et galonné d’or, préposé au service de l’appareil,ouvrit les portes grillagées et une jeune fille vêtue de deuil,s’élança impétueusement hors de la cage dorée.

Pendant que « l’élévateur »continuait son ascension vers les étages supérieurs, un Noir nonmoins galonné que le premier était accouru au-devant de lavisiteuse.

– Je voudrais voir Miss Elsie Godescal,demanda-t-elle impatiemment. Est-elle ici ?

– Miss Godescal est chez elle, réponditle Noir avec la déférence d’un serviteur bien stylé. Qui dois-jeannoncer ?

– Miss Gladys Barney.

Le Noir s’éclipsa : Miss Barney s’assitdans une bergère de la luxueuse antichambre dont la décoration, depur style Louis XVI, eût été irréprochable sans l’éclat trop neufdes dorures trop abondantes, et les tons un peu crus destapisseries à personnages.

Grande et mince, le nez aquilin un peu tropaccentué, la bouche un peu grande, Miss Gladys n’était pasprécisément jolie, mais ses grands yeux bruns avaient uneexpression de douceur captivante, son sourire était plein defranchise et son teint, d’un éclat éblouissant, ses dents trèsblanches et bien rangées, ses lèvres très rouges, une abondantechevelure châtain foncé, lui conféraient ce charme de fraîcheur etde santé, qui est commun à beaucoup d’Américaines. En ce moment,elle était toute rose d’impatience.

– Quelle idée, songeait-elle, a eue Elsiede venir se loger dans un pareil caravansérail ! Il y a unquart d’heure que je la cherche !…

Mais déjà le domestique noir était de retour.Silencieusement, il précéda la visiteuse jusqu’à un petit salondont il lui ouvrit la porte.

Miss Elsie, qui prenait le thé en compagnie dedeux gentlemen d’allure impeccable, avait couru à la rencontre deson amie. Les deux jeunes filles s’embrassèrentaffectueusement.

– Que je suis heureuse de te voir !s’écria Elsie. Nous allons tâcher de t’être utiles, nous sommesvenus exprès pour cela. Mais avant tout, il faut en finir avec lesprésentations : Mr Todd Marvel, mon fiancé, que tu as dûvoir chez mon tuteur ; Mr Floridor Quesnel, un ami de monfiancé.

Gladys Barney s’inclina gracieusement, toutheureuse de se trouver en présence de ce fameux détectivemilliardaire dont les exploits étaient passés à l’état delégende.

– Sur ma demande, déclara Elsie avec unsourire d’orgueilleuse tendresse, mon cher Todd veut bien mettreses talents à ta disposition. Il faudra que ton affaire soit bienembrouillée, s’il n’arrive pas à la rendre claire et limpide commedu cristal !

– N’exagérons rien, fit le détective,modestement. Il m’arrive, comme à tout le monde, d’entrer en lutteavec des adversaires plus forts et plus habiles que moi. Ainsi, cefameux docteur Klaus Kristian…

Elsie pâlit et frissonna.

– Je vous en prie, murmura-t-elle, neprononcez pas ce nom. Celui qui le porte m’inspire une horreur etune épouvante indicibles…

– Nous sommes débarrassés de lui,heureusement, répondit Todd Marvel en prenant doucement dans sesmains celles de la jeune fille, je vous promets que je n’enparlerai plus…

Puis se tournant vers Gladys.

– Miss Barney, ajouta-t-il, si vousvoulez bien m’exposer votre affaire, dans le plus grand détail, jevous dirai ce que nous pouvons en espérer.

– Les faits en eux-mêmes sont trèssimples. J’ai été dépouillée de plus de deux millions de dollars etje ne puis rien contre mes voleurs.

– En êtes-vous bien sûre ?

– Vous allez en juger : je suisl’unique héritière de ma tante Elspeth Barney, décédée il y a deuxmois, et qui, sans être milliardaire, possédait une des grossesfortunes de Chicago. Parmi les valeurs énumérées dans le testament,se trouvent deux millions de dollars d’actions, des puitspétrolifères du Wyoming, de la société Jack Randall.

– Excellentes valeurs, interrompit lemilliardaire, elles ont atteint ces jours derniers un cours trèsélevé.

– Ces actions, reprit Gladys Barneyétaient déposées chez Jack Randall, comme l’attestait un certificaten bonne forme, portant les numéros des titres, trouvé par moi dansle coffre-fort de ma tante, et remontant à deux ans.

« Je me suis rendue aux établissementsRandall avec mon certificat et là j’ai eu la désagréable surprised’apprendre que ma tante avait vendu ses actions un mois avant sondécès, on m’a mis sous les yeux des reçus signés d’elle etparfaitement en règle.

– Et vous croyez que ces reçus sont fauxet que Randall s’est approprié les actions ?

– J’en suis convaincue, mais je n’en puisapporter aucune preuve matérielle. Ma tante Elspeth était unepersonne très sérieuse et très ordonnée, elle gérait elle-même safortune, elle était absolument incapable de porter sur sontestament des valeurs qui ne lui appartenaient plus.

Todd Marvel et Floridor échangèrent un coupd’œil significatif.

– Voilà qui est étrange, déclara lemilliardaire. À quelle date a été écrit le testament ?

– Quinze jours environ avant la mort dema tante – alors qu’elle était en pleine possession de toutes sesfacultés intellectuelles – et par conséquent quinze jours après laprétendue vente des actions.

Todd Marvel réfléchit pendant quelquesinstants.

– Dites-moi maintenant, fit-il, quelle aété l’attitude de Jack Randall ? Qu’a-t-il répondu à vosréclamations ?

– Je n’ai pas vu Jack Randall lui-même,il est impossible de le voir – mais ceci est un autre mystère surlequel je reviendrai – son homme de confiance, Mr Ary Morlans’est montré plein de courtoisie ; il a même consenti àconfier à un homme d’affaires, qui les a fait expertiser, les reçussignés de ma tante et les experts ont reconnu la parfaiteauthenticité de la signature.

– De sorte que tout le monde vous a donnétort ?

– Absolument…

– Vous n’allez pas en faire autant ?j’espère, ajouta Gladys en souriant.

– Rassurez-vous. Cette affairem’intéresse passionnément. Laissez-moi maintenant vous poserquelques questions. Vous disiez à l’instant qu’il était impossiblede voir Mr Randall ?

– C’est du moins très difficile.Mr Randall est paraît-il atteint d’une noire misanthropie. Ilvit seul dans son magnifique hôtel, situé sur les bords du lacMichigan. Jamais il ne sort, jamais il ne reçoit, il a rompu avectoutes ses anciennes relations.

« Cette attitude, qu’il a prise – assezrécemment d’ailleurs, – me contrarie d’autant plus que ma feuetante le considérait comme un homme parfaitement intègre et lemettait au nombre de ses amis les meilleurs et les plus sûrs. C’està n’y rien comprendre !

– Parbleu, interrompit Floridor, il estévident pour moi que Mr Randall est séquestré.

Miss Barney protesta avec une certainevivacité.

– Mais non, fit-elle, il n’est passéquestré. On le voit, difficilement, il est vrai, mais on levoit ! Par exemple, on n’en est pas plus avancé. Il ne demeurejamais plus de quelques minutes avec ses visiteurs et il leur tienttoujours à peu près le même langage : « Si vous venezpour affaires, adressez-vous à Mr Ary Morlan ; si c’estpour toute autre raison, il m’est impossible de vous entendre, leplus grand service que vous puissiez me rendre est de respecter masolitude. »

– Une dernière question, fit lemilliardaire. Quel genre d’homme est-ce que cet AryMorlan ?

– Quoique en sa qualité d’Anglo-Indien,il ait le teint légèrement cuivré, c’est à tous égards un parfaitgentleman, de manières très distinguées. Très intelligent, trèsactif, il est estimé dans le monde des affaires. Sous sonimpulsion, la société des puits pétrolifères du Wyoming que dirigeJack Randall est entrée dans une ère de prospérité inouïe.

– Cela suffit ! s’écria Todd Marvelen se levant précipitamment, je vais à l’instant même rendre visiteà Mr Jack Randall, il faut à tout prix que j’aie la clef decet irritant mystère.

– Je vous souhaite de réussir, dit MissBarney, sans beaucoup de conviction.

– Il réussira, j’en suis sûre !déclara Elsie avec enthousiasme. Mon cher Todd a résolu avecbonheur des problèmes autrement épineux !

– Au revoir, chère Elsie, murmura lemilliardaire en effleurant d’un respectueux baiser le front de safiancée, au revoir Miss Gladys, je vous retrouverai ici dans uneheure, et si je n’ai pas remporté une victoire complète, j’espèredu moins ne pas revenir tout à fait bredouille.

– Dois-je vous accompagner ? demandaFloridor.

– Bien entendu. N’oublie ni ton browning,ni ton appareil photographique.

– Lequel ?

– Le « silencieux » celui dontle déclic ne fait pas de bruit, j’ai idée que cet appareil ne noussera pas inutile…

 

Après avoir louvoyé pendant longtemps dans lacohue des véhicules de tout genre qui encombraient Stade Street etles rues avoisinantes, la Rolls Royce de Todd Marvel, pilotée parFloridor, s’engagea dans Michigan Avenue, une luxueuse voieombragée par de beaux arbres et bordée d’un côté par le lac, del’autre par de véritables palais de style italien, mauresque,anglais ou espagnol, mais où le gothique dominait. Quelques minutesplus tard, la voiture stoppait en face d’une haute construction àtourelles et à créneaux, dont les murailles de granit étaientpercées d’étroites fenêtres ogivales. C’était la demeure dumilliardaire Jack Randall.

Après avoir franchi une grille de fer forgé etdoré, les deux visiteurs furent introduits dans un salon d’attentesévèrement meublé de bahuts d’ébène et de raides fauteuilsespagnols : un lustre flamand, aux lourdes boules de cuivre,pendait de la voûte : dès le seuil de la pièce on se sentaitétreint par une inexplicable sensation de tristesse et desolennité.

Une haute verrière d’une tonalité jaune etviolette, représentant le supplice de saint Barthélemy écorché vif,éclairait tous les objets d’une lumière fiévreuse et mélancolique.Mais l’attention de Todd Marvel fut surtout retenue par un grandportrait d’homme, en pied, de grandeur nature, qui se détachait deson cadre d’ébène avec un puissant relief, une saisissanteimpression de vie.

Il représentait un homme à la barbegrisonnante, entièrement vêtu de noir, énergique et grave ; saphysionomie portait la trace de fatigues et de chagrins sansnombre, mais on y lisait aussi un entêtement et une audaceformidables.

Sans s’en rendre compte, Todd Marvel se sentitpuissamment attiré par ce portrait, il ne pouvait en détacher sesregards.

– Cet homme a dû soutenir de terriblesluttes contre la mauvaise chance, dit-il à Floridor.

– Si c’est, comme je le suppose, JackRandall que représente ce tableau, vous êtes tout à fait dans levrai. Il paraît qu’il a fait fortune, comme simple prospecteur auMexique.

Cette conversation fut interrompue par leretour du domestique.

– Mr Randall regrette de ne pouvoirvous recevoir, déclara-t-il, mais si vous désirez voir Mr AryMorlan, il sera heureux de votre visite.

– C’est bien, dit le milliardaire, quis’attendait à cette réponse, je verrai Mr Ary Morlan.

L’homme de confiance de Jack Randall ne tardapas à paraître et Todd Marvel dut reconnaître que Miss Barneyn’avait nullement exagéré en le représentant comme un gentlemand’une rare distinction de manières.

Indien par sa mère, Anglais par son père, AryMorlan réunissait en lui les qualités des deux races, la volontétenace de l’Anglo-Saxon, l’intuitive pénétration et la finesse del’Hindou, l’obstination alliée à la souplesse du diplomate. Âgéd’environ trente-cinq ans, il était grand et robuste, avec uneaisance et une franchise d’allures qui le rendaient tout de suitesympathique.

De l’Anglais, il tenait ses poings solides,ses larges épaules, son front têtu, martelé de bosses volontaires,mais la régularité presque féminine de ses traits, son teintbronzé, ses yeux noirs d’un éclat presque inquiétant, décelaientl’Oriental.

Après avoir salué les visiteurs avec unecourtoisie parfaite, il aborda sans préambule le sujet qui lesintéressait.

– Vous vouliez voir Mr JackRandall ? dit-il d’une voix singulièrement musicale et bientimbrée, ce n’est malheureusement pas possible aujourd’hui. Il estd’une santé chancelante et, en ce moment surtout, extrêmementfatigué, puis vous n’ignorez sans doute pas qu’il a horreur detoute espèce de visites. Il est devenu peu à peu véritablementmisanthrope et je vous surprendrai peut-être en vous apprenant quec’est à peine s’il consent à me recevoir moi-même pendant le tempsnécessaire au règlement des affaires les plus urgentes.

– On m’avait déjà dit cela en effet,répondit Todd Marvel avec beaucoup de calme.

– Maintenant, reprit Mr Ary Morlan,avec un cordial sourire, s’il s’agit d’une affaire d’argent, quellequ’elle soit, j’ai pleins pouvoirs pour traiter et je seraipersonnellement heureux d’être agréable à Mr Todd Marvel queje n’avais pas le plaisir de connaître, mais dont j’ai souvententendu vanter les qualités d’homme d’affaires et… dedétective.

– Voici de quoi il s’agit, répondit ToddMarvel, sur le même ton de politesse et de cordialité que soninterlocuteur. Je viens au nom de Miss Gladys Barney, qui est uneamie d’enfance de ma fiancée…

Une ombre de contrariété passa sur les traitsde l’Anglo-Indien.

– Vraiment, répliqua-t-il avec une nuancede lassitude et d’énervement, je ne comprends rien à la conduite deMiss Barney. Tous les jours, elle m’envoie de nouveaux mandataires,qui, tous, me répètent la même histoire. Ce n’est pas ma faute sila tante de Miss Gladys a vendu ses actions au lieu de les garderpour son héritière. J’ai même consenti à laisser vérifier les reçuspar des experts. Je crois qu’on ne peut pas pousser la complaisanceplus loin. Beaucoup, à ma place, auraient envoyé promener MissBarney en lui disant de s’adresser à la justice, si elle se croitréellement lésée.

– Je suis au courant de tout cela,répondit le milliardaire, sans se laisser démonter par cetteattaque directe.

– Somme toute, que voulez-vous ? Unenouvelle expertise des reçus signés par Mrs ElspethBarney ? Je veux bien y consentir pour vous être agréable,quoique vraiment…

– Non, déclara Todd Marvel avec fermeté,je désire voir Mr Jack Randall, il était l’ami et le conseilde Mrs Elspeth, et il suffirait peut-être d’un mot de lui pourdissiper tout ce mystère.

Au grand étonnement du milliardaire,Mr Ary Morlan ne s’insurgea pas contre la demande qui luiétait faite.

– Écoutez, dit-il, du ton le plusconciliant, j’ai à cœur de vous faire plaisir et je tiens aussi àen finir, une fois pour toutes, avec les réclamations injustifiéesde Miss Gladys : je vais tâcher de décider Mr JackRandall à vous recevoir.

– Je suis très sensible à l’obligeance devotre procédé, répondit Todd Marvel à demi convaincu, il estpossible, après tout, que Miss Barney se soit trompée.

– Voulez-vous m’attendre quelquesinstants ? Je vais user de persuasion pour faire consentirMr Randall à une entrevue.

Ary Morlan disparut par une porte latérale.Todd Marvel et le Canadien demeurèrent seuls.

– Je ne sais pas trop que penser, murmurale milliardaire, quelle est ton impression ?

– Je commence à craindre que Miss Barneyne soit dans son tort. Je serais bien étonné si ce Mr Morlan,qui me paraît un aimable gentleman n’était pas d’une parfaiteloyauté.

– Ne te hâte pas de conclure, répliqua lemilliardaire assez perplexe. Quoi qu’il en soit, si Mr JackRandall nous reçoit, arrange-toi de façon à prendre de lui un oudeux clichés, et cela, naturellement, sans être vu desintéressés.

– Je crois pouvoir y réussir…

Le milliardaire mit un doigt sur seslèvres ; Ary Morlan revenait, la physionomie souriante.

– Soyez satisfait, fit-il. J’ai puconvaincre mon directeur plus facilement que je ne pensais. Il seraici dans un instant. Et tenez, le voilà !

Jack Randall, très reconnaissable grâce à lafrappante ressemblance du portrait à l’huile, venait d’entrer dansla pièce par la porte du fond. Il salua d’un léger signe de têteles deux visiteurs.

– Sirs, je connais le but de votredémarche, fit-il, d’une voix assourdie et tremblotante, je n’airien à ajouter à ce que vous a dit Mr Ary Morlan, Miss Barneyest dans l’erreur la plus complète.

« Vous avez désiré me voir, vous devezêtre satisfaits. Excusez-moi de ne pas rester plus longtemps. J’aipour habitude de ne jamais entrer en conversation suivie avec quique ce soit. C’est une règle formelle que je me suis imposée etdont je ne me dépars jamais. »

Avant que Todd Marvel fût revenu de sasurprise, Jack Randall avait salué légèrement de la même façonqu’en entrant et s’était retiré.

Il y eut une minute d’un silence embarrassant,Todd Marvel et Floridor avaient l’impression qu’en dépit del’évidence apparente des faits ils se heurtaient à un étrangemystère.

– J’espère, dit enfin Ary Morlan, quevous ne conservez plus aucun doute. Mr Jack Randall a étéparfaitement explicite.

– C’est évident, balbutia le milliardairemachinalement.

– S’il n’est pas entré dans des détailsplus circonstanciés, c’est qu’il a horreur des explications, lesrares entrevues qu’il accorde ne sont jamais plus longues.

Todd Marvel avait eu le temps de seressaisir ; ce fut très aimablement qu’il répondit.

– Il me reste maintenant, Mr Morlan,à vous remercier de votre obligeance en vous priant d’excuser notrevisite importune.

– J’espère que vous ferez comprendre àMiss Barney qu’elle a tort de s’obstiner dans des prétentions querien ne justifie.

– Je n’y manquerai pas.

– Si j’avais un conseil à lui donner, ceserait de faire certaines recherches dans les banques. Il se peutfort bien que la défunte ait déposé les deux millions de dollarsdans un établissement financier et qu’elle ait égaré le reçu.

– Non, répondit le milliardaire d’un tontrès calme, car le testament mentionne les actions avec leursnuméros, je croirais plutôt à une de ces crises d’amnésie sifréquentes chez les malades. Mrs Elspeth a oublié qu’elleavait vendu ses titres.

– Ma foi, je crois que vous avez raison,c’est la seule explication possible…

Mr Ary Morlan insista pour reconduire sesvisiteurs jusqu’à leur auto et ne se retira qu’après avoir échangéavec eux de vigoureux shake-hand.

Pendant qu’ils franchissaient en quatrièmevitesse la distance qui sépare la Michigan Avenue du GiganticHotel, Todd Marvel et Floridor n’échangèrent pas une parole.Tous deux demeuraient plongés dans leurs réflexions.

– J’ai pu prendre deux clichés, ditseulement le Canadien.

– C’est bien, sitôt rentré, tu iras aulaboratoire photographique de l’hôtel en faire tirer quelquesépreuves que tu m’apporteras immédiatement.

Le premier soin du milliardaire fut de serendre au petit salon de thé du quinzième étage où l’attendaientGladys et Elsie et de les mettre au courant de sa visite.

Elles l’écoutèrent sans l’interrompre, mais àmesure qu’il avançait dans son récit, Miss Barney donnait dessignes de nervosité et d’impatience.

– Alors, dit-elle, non sans une certaineamertume, vous aussi allez donner raison à mes spoliateurs ?On dira bientôt que c’est moi qui ai tous les torts !…

– Non, répondit-il gravement, je suis sûrde la légitimité de vos réclamations. Il y a dans toute cetteaffaire un mystère que je veux arriver à percer, mais je crains quece ne soit pas sans peine.

– Avez-vous quelque indice, si faiblesoit-il ? demanda Miss Elsie.

– Pas le moindre jusqu’ici. J’avoue quetoutes les vraisemblances sont du côté de nos adversaires. Tout ceque j’ai pu, c’est de faire prendre par Floridor une photographiede monsieur Jack Randall.

– À quoi cela nousavancera-t-il ?

– Peut-être à rien, mais cela peut avoiraussi une grande importance. Si Jack Randall est mort ou séquestré,nous le découvrirons tout de suite. Je sais où me procurerd’anciennes photographies de lui. Nous ferons la comparaison aprèsagrandissement et mensuration anthropométrique… Mais voiciprécisément Floridor qui revient avec des épreuves.

Le Canadien pénétra en coup de vent dans lepetit salon ; il paraissait absolument bouleversé, hors delui.

– Que t’arrive-t-il ? demanda ToddMarvel.

– Par exemple, s’écria Floridor dont lestraits exprimaient la stupeur la plus profonde, je n’aurais jamaissoupçonné chose pareille ! Ce qui m’arrive estextraordinaire ! Je me demande si je ne deviens pasfou !

– Qu’y a-t-il donc ? interrogeaimpatiemment le milliardaire. Les clichés…

– Eh ! bien, sur les clichés il n’ya rien du tout, vous m’entendez ? Rien, pas la moindre tracede Mr Jack Randall.

– Tu déraisonnes, s’écria Todd Marvel, ens’emparant avec vivacité des épreuves que Floridor tenait à lamain.

À leur tour, le milliardaire et les deuxjeunes filles jetèrent un cri de surprise.

– C’est à n’y pas croire, s’exclama ToddMarvel, littéralement abasourdi. Ce Randall n’est pourtant pas unspectre, un pur esprit ; je l’ai vu de mes yeux, pendant queFloridor le photographiait ! Je l’ai entendu parler et il n’ya aucun vestige de sa présence sur le cliché.

– Je ne sais comment vous expliquer cephénomène déconcertant, déclara Miss Gladys, mais il me donneraison.

– Tâchons de réfléchir avec sang-froid,répondit Todd Marvel. Je ne crois pas, vous le supposez bien, quenous nous trouvions en présence d’un fait surnaturel. Nous avonstous deux vu et entendu Mr Randall dans le décor même quereproduit la photographie. Il y a certainement à ce mystère uneexplication logique et scientifique. C’est cette explication qu’ils’agit de trouver.

– J’en ai bien découvert une, déclaraFloridor. Je vous la donne pour ce qu’elle vaut. J’ai vu danscertains théâtres des apparitions produites, à ce que l’on m’a dit,à l’aide d’une glace sans tain placée dans les sous-sols etpuissamment éclairée.

Todd Marvel secoua la tête.

– Ta solution est mauvaise, fit-il. Il nepeut être question ici de ces fantômes que font apparaître lesprestidigitateurs. Ces illusions ne sont possibles que sur unescène, placée assez loin du spectateur et plongée dans uneobscurité complète. Nous n’étions qu’à quelques pas deMr Randall. Si ç’avait été un spectre, comme tu te le figures,nous aurions vu tout le détail de la machinerie. Enfin, lesapparitions de ce genre ne parlent pas.

– D’ailleurs, ajouta Miss Elsie, ilfaisait grand jour ; l’hypothèse de Mr Floridor n’estdonc pas admissible.

Pendant une discussion qui dura près de deuxheures on chercha vainement à résoudre cette troublante énigme. Ondut y renoncer. Pour la première fois, peut-être, Todd Marvel setrouvait en présence d’un mystère véritablement impénétrable.

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