L’Amérique mystérieuse – Todd Marvel Détective Milliardaire – Tome II

CHAPITRE II – LE PNEU QUADRILLÉ

Une demi-heure s’était écoulée depuis ledépart de Miss Elsie et de son amie, et Peter David était encore àla même place, affalé sur une banquette de l’antichambre.

Le brave Noir était la fois furieux etinquiet.

Il était très vexé dans son amour-propre deserviteur de confiance que sa jeune maîtresse n’eût pas voulul’emmener, de plus les allures taciturnes et tant soit peumystérieuses de l’homme à la pelisse de renard ne lui inspiraientpas confiance.

Mr Todd Marvel, sans nul doute, blâmeraitsa fiancée de s’être aventurée ainsi à la légère. Pourtantl’existence de la lettre était un fait rassurant.

Si du moins Miss Elsie avait eu la bonne idéede téléphoner à Harrisburg avant de partir, la plus élémentaireprudence le commandait.

Il se dit tout à coup que ce qu’elle n’avaitpas fait, rien ne l’empêchait de le faire. Que n’y avait-il paspensé plus tôt.

Il décrocha le récepteur de l’appareil placédans l’antichambre et demanda Harrisburg.

– Harrisburg n’a pas le téléphone avecChicago, lui expliqua courtoisement l’employé, la ligne est enconstruction, mais si vous voulez envoyer un télégramme…

De plus en plus mécontent, le Noir raccrochale récepteur, et en désespoir de cause il se disposait à allerrejoindre son ami Washington, le chef de l’huîtrerie, quand un desboys de l’étage lui remit une carte postale pour Miss Elsie.

Il jeta les yeux sur la signature, c’étaitcelle de Todd Marvel.

– Lisons cela, se dit le brave Noir aprèsavoir hésité une seconde, en l’absence de Miss, c’est presque mondevoir…

La carte ne contenait que ces quelques lignesgriffonnées en hâte :

Chère Elsie, j’ai réussi de façon trèscomplète, Jack Randall est retrouvé et votre amie rentrera enpossession de ses actions, mais je suis obligé de demeurer encoreun jour à Harrisburg.

Jusqu’à mon retour, soyez très prudente,ne recevez aucune visite, sortez le moins possible et jamais sansêtre accompagnée par Betty et David. J’ai des raisons de craindrequ’Ary Morlan ne s’en prenne à vous de la défaite qu’il a essuyée,Je n’ai pas besoin d’insister sur l’importance de marecommandation.

Votre très affectueux et dévoué,Todd…

– Quel malheur ! balbutia le Noiravec accablement, la première lettre était fausse c’est sûr… Voilàles deux misses enlevées par des bandits !… Que va me direMr Todd Marvel ? Car c’est un peu de ma faute, j’auraisdû empêcher Miss Elsie de partir.

Affolé à l’idée de la responsabilité qu’ilcroyait avoir encourue, Peter David courut trouver sa femmeMrs Betty et la mit au courant.

La dévouée chamber-maid se montra tout aussialarmée que son mari auquel elle ne ménagea pas les reproches.

– Tu es d’une négligence impardonnable,lui dit-elle sévèrement, il fallait insister pour qu’ont’emmène ! Il fallait, au moins, me prévenir. Et Miss Elsiequi ne m’a rien dit, qui est partie sans crier gare !

– Nous allons tâcher de la retrouver,murmura piteusement l’époux, ainsi pris à partie.

– Et comment ? répliquaMrs David avec aigreur. Elle est loin maintenant !Vraiment je ne sais pas pourquoi j’ai épousé un homme aussi peudébrouillard, aussi incapable !

Quand la colère de la dame fut un peu calmée,les deux époux tinrent conseil.

– D’abord, je t’accompagne, déclara Bettypéremptoirement, quand tu es seul, tu ne fais que des sottises. Ilfaut retrouver les deux misses coûte que coûte. Commence pardescendre au hall et tâche de savoir quelle direction a prise lavoiture. Je te rejoins dans une minute. Surtout n’oublie pas tonbrowning.

– Je vais d’abord interroger les boys del’étage, ils ont peut-être entendu Miss Elsie parler de l’endroitoù elle allait.

– Les boys ne t’apprendront rien.Naturellement Miss Elsie croit aller à Harrisburg, mais ceux quiont si habilement fabriqué la fausse lettre l’ont probablementemmenée dans une direction tout à fait différente.

Malgré cette objection, le Noir, très têtu deson naturel, suivit sa première idée. Bien lui en prit, car le boyde l’ascenseur affirma avoir entendu Miss Gladys déclarer qu’ellese rendait à la Pacific Bank. Il y avait même eu une discussion àce sujet entre les deux amies.

Peter David, on le sait, avait successivementexercé les métiers de prospecteur, de cow-boy et même de bandit, etde cette existence aventureuse en Louisiane et dans le Colorado, ilavait rapporté certains talents, qui, pour n’être pas trèsfréquemment utilisables, n’en offraient pas moins quelquesavantages.

À l’école de ces rastréros mexicains, capablesde suivre un homme à la piste sur n’importe quel terrain, le Noiravait appris à reconnaître les traces presque imperceptibles quelaisse un fugitif en marchant sur un gazon épais, sur la mousse,sur le roc, ou même sur des dalles de marbre ou de granitparfaitement polies.

Cette singulière faculté que les non-initiésprendraient pour de la divination, il allait essayer de la mettre àprofit pour retrouver les deux misses.

Il savait déjà que l’auto dont s’étaientservis les ravisseurs était une 60 H. P., de grand luxe, dont lacarrosserie était peinte en rouge cerise, il avait le signalementdu chauffeur ; enfin il avait appris qu’en quittant leGigantic Hotel Miss Elsie s’était rendue à la PacificBank.

C’était là qu’il fallait commencer par serendre, mais auparavant, le Noir étudia avec une attentionextraordinaire, l’endroit où avait stationné l’auto rouge. Lestraces laissées par les roues étaient encore assez nettes pourqu’on pût distinguer le quadrillage des pneus qui, d’une marquetrès récente, ne ressemblaient à aucun autre.

Ce ne fut qu’après avoir bien fixé dans samémoire le dessin de ce quadrillé, que Peter David alla dans lesremises du Gigantic Hotel chercher la voiture de ToddMarvel, il en vérifia soigneusement le réservoir à essence, lespneus et le coffre à outils avant de mettre le moteur enmarche.

Il venait de prendre place sur le siège etpestait déjà contre la lenteur de Betty lorsqu’il la vitparaître.

– Tu as été longtemps, grommela-t-il.

– Parce que j’ai heureusement un peu plusde tête que toi. Tu avais oublié le principal.

– Quoi donc ?

– Et parbleu ! Ne fallait-il pasprévenir Mr Todd Marvel ?

– C’est vrai !

– J’y ai pensé heureusement. Je viens delui expédier au bureau de l’hôtel un long télégramme.

– Tu as bien fait.

– Tu trouves ? Seulement, sans moi,tu oubliais la chose essentielle.

Le Noir courba la tête sous ce reprochependant que Betty s’installait tranquillement sur les confortablescoussins pneumatiques de la Rolls-Royce.

À la banque où Miss Gladys Barney était trèsconnue, Peter David put apprendre que la jeune fille avait encaisséune somme considérable ; elle était ensuite remontée avec sonamie dans une grande auto rouge qui s’était dirigée vers l’ouest dela ville.

Le renseignement ne fit qu’augmenter lescraintes des deux époux.

Il leur paraissait clair qu’on avait attiréMiss Gladys dans un traquenard pour la voler.

En face de la banque, la trace des pneus seretrouvait parfaitement visible. C’était cette trace qu’ils’agissait de suivre à travers la ville, et de discerner parmil’écheveau embrouillé des empreintes laissées par les roues desvéhicules de tout genre.

Ce tour de force n’était pas en réalité pourPeter David aussi difficile à réaliser qu’il le paraissait de primeabord.

Malgré son luxe, malgré ses maisons à vingt outrente étages, la ville de Chicago renferme encore beaucoup de ruesdont le sol même constitue tout le pavage. Là, les empreintesétaient très nettes.

En outre, l’encombrement même des véhiculesavait à plusieurs reprises forcé l’auto rouge à stationner. Làencore, si peu plastique que fût le pavage, Peter David arrivait ày discerner les empreintes du fameux quadrillé.

Enfin le Noir avait, dans l’écartement desroues – soigneusement mesuré par lui –, un autre point de repèretrès précieux.

En dépit de ces indices presque imperceptiblespour d’autres yeux que les siens, Peter David dut s’arrêter vingtfois pour ne pas perdre la bonne piste ; encore faillit-il laperdre à deux reprises différentes, et dût-il revenir sur ses paset sacrifier un temps précieux avant de la retrouver.

Pourtant, il ne se décourageait pas. Il savaitbien, qu’à mesure qu’il s’éloignait du centre de la ville et qu’ilse rapprochait des faubourgs, ses chances de succèsaugmentaient.

Chicago est le point d’aboutissement de vingtlignes ferrées, Peter approchait de la zone où les rails des voies,brutalement jetés en travers des rues, imposent des arrêts à touteespèce de véhicules.

Comme il l’avait prévu, il retrouva, cettefois très nettement imprimées sur le sol boueux les empreinteslaissées par l’auto rouge.

Quand il eut dépassé les faubourgs, il eut lacertitude que le ravisseur des deux jeunes filles n’avait puprendre qu’une seule direction, celle de l’Ouest, et que parconséquent il s’était rendu dans l’État de Wyoming. Maintenantqu’il tenait une piste sérieuse, il allait pouvoir regagner letemps perdu…

Il mit son moteur en quatrième vitesse et nes’occupa plus de vérifier les empreintes des roues.

À mesure qu’il avançait sa tâche devenait deplus en plus facile. Les routes carrossables très nombreuses auxapproches des villes sont rares et mal entretenues sitôt qu’on s’enéloigne.

Deux ou trois fois, à l’entrée d’un village oud’un ranch, Peter David fit halte pour questionner les gens dupays. Leurs réponses lui prouvèrent qu’il ne s’était pastrompé.

Deux heures auparavant, en effet, on avait vupasser une grande et luxueuse automobile dont la carrosserie étaitpeinte en rouge cerise et qui renfermait deux jeunes filles vêtuesavec élégance.

Malheureusement la nuit venait à grands pas.Lorsque le Noir atteignit la forêt de sapins que nous avonsdécrite, l’obscurité était complète et rendue encore plus épaissepar le feuillage des arbres.

Force fut au Noir de ralentir. Pour ne pasdonner l’éveil à ceux qu’il poursuivait, il n’osait allumer lespuissants phares électriques de la voiture, dont l’éclat auraitimmédiatement décelé sa présence.

Il avait cependant bon espoir ; dans lelointain, il distinguait une faible lumière et un secretpressentiment lui disait que les deux jeunes filles n’avaient pasdû aller plus loin.

En sortant de la forêt, il se trouva dans uneavenue parfaitement droite à l’extrémité de laquelle la lumièrequ’il avait entrevue lui apparut de nouveau plus distincte et plusrapprochée.

Il augmenta un peu sa vitesse. Il voyaitmaintenant à un quart de mille de lui se profiler de hautsbâtiments, dont les fenêtres étaient vivement éclairées.

Tout à coup, un choc très violent seproduisit. La voiture venait de heurter une grosse corde tendue entravers de la route, et avait été brutalement projetée contre untronc d’arbre.

Peter David gisait à terre le crânefendu ; Betty, presque aussi grièvement blessée, avait uneépaule démise et elle s’était coupée à la joue et au front avec deséclats de verre provenant d’une des glaces brisées.

Le feu avait pris au réservoir d’essence etles deux blessés toujours évanouis couraient grand risque d’êtrebrûlés vifs, lorsque plusieurs hommes, les mêmes qui avaient tendula corde, sortirent d’un taillis où ils s’étaient tenus cachés.

– En voilà deux qui ne nous dérangerontplus, fit un des hommes.

– Aussi, ajouta un autre, de quoi semêlent-ils ? Ça leur apprendra à s’occuper de ce qui ne lesregarde pas.

– Que faut-il en faire ? Ils doiventêtre en piteux état.

– Nous allons voir cela !

Le plus âgé des hommes, un maigre vieillard auteint basané avait tiré de sa poche une lampe électrique. Ilexamina successivement Betty et David et s’assura qu’ils étaientencore vivants.

– Ils sont blessés, déclara-t-il, maispas mortellement. Il faut les transporter dans la chambre qui donnesur la cour, puis Mr Ary Morlan nous dira ce qu’il faut enfaire.

Deux brancards furent improvisés à l’aide debranches d’arbres et les deux blessés furent emportés dansl’intérieur du bâtiment qu’on apercevait à l’extrémité del’avenue.

Auparavant, les bandits avaient éteint lecommencement d’incendie du réservoir d’essence.

Ils revinrent bientôt et, non sans peine,transportèrent les débris de l’auto dans la cour intérieure.

Un quart d’heure après, il ne restait plustrace de l’accident provoqué par les bandits.

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