L’Amérique mystérieuse – Todd Marvel Détective Milliardaire – Tome II

CHAPITRE IV – CAPTURE INTÉRESSANTE

Cette nuit-là, Todd Marvel ne dormit quequelques heures, et son sommeil fut troublé par des cauchemars, dussans doute à ses préoccupations.

Bien avant qu’il fît jour, n’arrivant pas à serendormir, il se décida à se lever ; une promenade dans lesbois, humides de rosée, calmerait ses nerfs fatigués, et peut-être,dans le silence des profondes avenues, dont le feuillage bruissantsemble parler, on ne sait quel vague et mélancolique langage d’untemps oublié, trouverait-il la bonne idée qu’il cherchait.

Après une douche glacée, il se sentitparfaitement dispos.

Il avait d’abord songé à réveiller Floridorpour l’emmener avec lui, mais il réfléchit qu’il serait crueld’arracher le brave Canadien aux douceurs du sommeil ; ilrésolut de sortir seul.

Il ferait une longue promenade par lessentiers qui conduisent à Garches et à Marnes-la-Coquette, et ilserait de retour pour le petit déjeuner.

Il venait de descendre les marches du perron,en faisant le moins de bruit possible pour ne réveiller aucun deshôtes de la villa, et il s’avançait vers la grille, déjà sous lecharme de cette tiède nuit de printemps, toute parfumée de la bonneodeur des jeunes feuillages et de la terre humide, lorsqu’il crutvoir une silhouette suspecte se détacher du fond ténébreux desmassifs.

Le milliardaire se dissimula derrière le troncd’un vieil orme, et regarda.

Au moment où il l’avait découvert, lemalfaiteur inconnu tournait le dos à la villa et – par-dessus lahaie qui séparait les deux propriétés – il semblait s’entretenir àdemi-voix avec une personne assise à la fenêtre du premier étage dela maison de M. Garsonnet.

Cette personne était une femme, et à la clartéindécise d’une veilleuse, Todd Marvel crut reconnaître la bonnerougeaude et méfiante, qui la veille l’avait introduit chez sonpropriétaire.

Le milliardaire était très intrigué.

– Que la bonne de M. Garsonnetprofite de cette belle nuit pour écouter les doux propos d’unamoureux, cela est tout naturel ; mais pourquoi donc son Roméoa-t-il jugé à propos de pénétrer chez moi par escalade au lieud’entrer directement chez sa belle ?

Pendant que Todd Marvel se posait cettequestion, il avait fait un mouvement involontaire, le sable avaitcrissé sous son pas.

C’en fut assez pour donner l’alarme aux deuxamoureux.

– Il y a quelqu’un qui nous espionne,balbutia une voix apeurée.

« Attention !

Instantanément, la lumière de la veilleuses’éteignit à la fenêtre du premier, et la silhouette fémininedisparut.

En même temps l’homme s’élançait avec agilitédans la direction du vieux mur couvert de lierre, qu’il avait sansdoute dû franchir pour pénétrer dans le parc.

Mais il avait compté sans Todd Marvel. Enquelques bonds celui-ci l’eût rattrapé et rudement saisi aucollet.

– Que faites-vous chez moi ? luidemanda-t-il sévèrement.

« Vous savez que je suis en droit de vousloger une balle dans la tête !

L’homme – un tout jeune homme, presque unadolescent – ne faisait pas la moindre résistance, ne se débattaitmême pas. Il semblait à demi mort de frayeur.

– Ah ça ! que faisiez-vousici ? répéta le milliardaire impatienté.

« Qui êtes-vous d’abord ?

« Tâchez de me répondre, ousinon !…

Le jeune homme se mit à sangloter.

– Heu ! heu ! balbutia-t-il, jene suis pas un malfaiteur… je n’avais pas de mauvaisesintentions !

– C’est ce que nous allonsvoir !

« Vous ne sortirez pas d’ici avant dem’avoir fourni des explications absolument nettes. Je verraiensuite s’il y a lieu d’envoyer chercher la police.

Le prisonnier ne répondit à ces menaces quepar un redoublement de larmes et de sanglots.

La perspective d’être livré à la justicesemblait l’avoir terrifié. Il avait perdu le peu de sang-froid quilui restait, et ne prononçait plus que des parolesincohérentes.

Il faisait pitié. Todd Marvel pensa qu’iln’avait certainement pas affaire à un malfaiteur de profession.

– Venez avec moi, lui dit-il, d’un tonplus doux.

Le prenant par le bras, il le conduisit sansqu’il fît la moindre résistance, jusqu’à un des petits salonssitués au rez-de-chaussée de la villa.

En entrant, Todd Marvel tourna le commutateuret put examiner en pleine lumière son prisonnier, qui affalé dansun fauteuil, paraissait plus mort que vif.

C’était un jeune homme d’une vingtained’années, à la mine honnête et naïve, aux vêtements propres,quoique un peu râpés, et qui paraissait être un employé de bureauou un commis de magasin.

Todd Marvel ne put s’empêcher de sourire.

Le bandit qu’il avait capturé ne paraissaitpas très redoutable.

– N’ayez pas peur, lui dit-il, avecbonté, si vous n’êtes pas un malfaiteur, je vous donne ma paroleque je vous laisserai partir d’ici tranquillement, mais je veuxsavoir qui vous êtes et ce que vous faisiez chez moi.

« Il me semble que c’est assez naturelaprès tout.

Et il ajouta :

– Vous faites la cour à la bonne deM. Garsonnet, vous avez trouvé commode d’escalader mon murpour lui parler.

« C’est du sans-gêne et del’indiscrétion, mais ce n’est pas un crime.

Un peu rassuré, le prisonnier avait essuyé seslarmes, et tout en paraissant très humilié de la situation où il setrouvait, il avait repris un peu de sang-froid.

– Je vous dirai tout, balbutia-t-il. Maisne m’envoyez pas en prison, ma mère mourrait de chagrin.

– Pourquoi n’avez-vous pas pénétrédirectement chez mon voisin au lieu de pénétrer chez moi ?

– Vous ne savez pas queM. Garsonnet, dont la chambre est heureusement située trèsloin de celle de Rosalie et donne sur l’autre façade de la villa,ne dort presque jamais.

« Il saute à bas de son lit au moindrebruit suspect, de plus, il a muni sa porte et les murailles de sonjardin de tout un système de fils de fer et de sonnettesélectriques qui font qu’on ne peut ni ouvrir une porte, ni sauterle mur, sans qu’il en soit averti par un carillon infernal.

« Voilà pourquoi je me suis permis depénétrer chez vous.

– Je comprends. Mais qui est-ceRosalie ? La bonne, sans doute.

« C’est votre petite amie ?

– Non, Monsieur, répondit le jeune homme,légèrement vexé.

« Rosalie est une brave fille, mais cen’est que la bonne de ma fiancée, Mlle SimoneGarsonnet.

– Je ne comprends plus !

« Rosalie fait sans doute voscommissions, porte vos billets doux à MademoiselleSimone ?

Le jeune homme eut un geste de surprise.

Il paraissait troublé, comme s’il eût hésité àcontinuer ses aveux.

– Mais, monsieur, dit-il enfin, et commeà contrecœur, vous n’êtes donc pas au courant ?

« Vous n’avez donc pas lu les journauxd’il y a un mois ? Il y a pourtant des confidences qu’il n’estguère dans mon rôle de vous faire !…

– Je ne suis au courant de rien, murmuraTodd Marvel, assez étonné.

– Vous n’avez pas appris le malheur qui afrappé M. Garsonnet ?

« Non vraiment, je ne puis pas vousraconter cela. Cela me crève le cœur !

– Ayez confiance ! répondit ToddMarvel, qui depuis quelques instants se sentait entraîné vers sonprisonnier par une secrète sympathie.

« À quoi bon ne pas montrer envers moiune entière franchise. Ne venez-vous pas de me dire que le fait adéjà paru dans les journaux ?

Le jeune homme baissa la tête avecaccablement.

– C’est vrai, après tout, murmura-t-il.Vous connaîtrez la vérité demain, si vous voulez.

« Je suis même tout à fait surpris quepersonne ne vous en ait parlé !

« Au fait, il vaut peut-être mieux que cesoit moi qui vous renseigne, qu’un indifférent qui serait sansdoute mal intentionné.

Il ajouta, comme faisant effort surlui-même :

– Ma fiancée est en prison ; elleest injustement accusée d’avoir empoisonné son oncle, et son pèreest en train de mourir du chagrin que lui a causé cet horribledrame.

« Le pauvre homme ne veut voir personne,et je suis obligé d’avoir recours à la brave Rosalie qui adore samaîtresse et qui veut bien consentir à me renseigner.

« Comprenez-vous maintenant pourquoi jeme suis introduit dans votre parc comme un voleur ? Moi,Michel Poliveau, dont le père est un commerçant parfaitementhonorable et qui vais passer dans un mois, avec d’excellentesnotes, mon troisième examen de pharmacie ! »

Le jeune homme avait parlé avec un tel accentde sincérité, dans un tel élan de chagrin et d’indignation, qu’ilne resta plus à Todd Marvel aucun doute sur son innocence.

Le milliardaire demeura quelque tempssilencieux.

Tout un travail se faisait dans son cerveau,il commençait à entrevoir, comme une lueur fugitive, cette« bonne idée » qu’il avait si longtemps et si vainementcherchée.

– Vous savez qui je suis ?demanda-t-il brusquement à Michel Poliveau.

– Mr Joe Johnson, le locataire deM. Garsonnet, je suppose ?

– Je pense que vous êtes discret, et queje puis vous faire connaître ma véritable personnalité ?

« Je me nomme Todd Marvel.

– Le célèbremilliardaire-détective ? balbutia Michel Poliveau, avec unestupeur respectueuse.

– C’est moi-même !

– Ah ! si vous vouliez vous occuperdu procès de la pauvre Simone !…

– C’est précisément là où je voulais envenir.

« Je suis tout disposé à prouverl’innocence de votre fiancée, mais c’est à une condition.

– Si cela dépend de moi !…

– Cela ne dépend malheureusement pas devous, mais bien de Monsieur Garsonnet.

– Oh ! si vous arrivez à établir queSimone n’a pas trempé dans le crime – et cela doit être facile pourvous – son père fera tout ce que vous voudrez !

– Avant tout, il faut que je vous poseune question. Répondez-moi en toute franchise : MademoiselleGarsonnet est-elle véritablement innocente du crime dont onl’accuse ?

Michel Poliveau s’était redressé, rouged’indignation.

– Si elle est innocente ?s’écria-t-il, mais je vous le jure sur ce que j’ai de plus sacré.D’ailleurs quand vous l’aurez vue et que vous serez au courant del’affaire…

– Je vous crois : je tâcherai deréussir.

– Oh ! alors le père de Simone seraentièrement à votre dévotion.

– Je ne lui demanderai riend’impossible.

« Tout ce que je désire, c’est qu’il medonne tous les renseignements qu’il possède sur l’incendie qui adétruit, il y a plus de vingt ans la villa qu’il habite.

– Vous ne vous êtes pas adressé àlui ?

– Il n’a rien voulu me dire !

– Cependant, il connaît l’affaire dansses moindres détails. Il nous en a parlé maintes fois.

– Je ne comprends guère la cause de sonsilence.

– Depuis l’emprisonnement de Simone, soncaractère a complètement changé, il est devenu méfiant,mélancolique, misanthrope, presque maniaque.

– Vous me conseillez d’aller letrouver ?

– Je suis sûr d’avance du succès. Ilacceptera votre proposition avec enthousiasme.

– Étant donné surtout, dit gravement ToddMarvel, que je ne lui demanderai rien avant que Mademoiselle Simonen’ait été mise en liberté.

Michel Poliveau exultait.

– Vous allez être notre sauveur !s’écria-t-il.

« Je commence à croire que c’est uneinspiration providentielle qui m’a poussé à escalader le mur declôture de votre parc !

« Pour ce qui est de moi, je me metsentièrement à votre disposition.

« Employez-moi comme vousl’entendrez.

« Tout à l’heure je vous ai peut-êtrefait l’effet d’un poltron, mais vous verrez que je sais être brave,quand il le faut…

Quand eut pris fin cette longue conversationentre le détective-milliardaire et le fiancé de Simone, il faisaitgrand jour.

Todd Marvel sonna pour avoir du thé et destartines, et força son nouvel ami, tout confus d’un pareil honneur,à prendre part à ce lunch.

Deux heures plus tard, Todd Marvel sonnait denouveau à la porte de M. Garsonnet.

Il resta enfermé avec le vieillard une grandepartie de la matinée.

Quand il sortit, il paraissait à la fois trèssatisfait et très ému.

Il monta aussitôt à la chambre qu’occupaitMiss Elsie, et la mit au courant des événements de la nuit.

Enfin, il tira de sa poche une petiteminiature, représentant le portrait d’une jeune femme d’une grandebeauté, et entouré d’un cercle d’or, rougi et noirci par l’actiondu feu.

– Voici tout ce que M. Garsonnet atrouvé dans les ruines, murmura-t-il d’une voix tremblanted’émotion.

« C’est le portrait de ma mère.

« C’est à vous que je le confie, ma chèreElsie.

Et comme la jeune fille, très troublée, elleaussi, demeurait silencieuse, et contemplait avec recueillement lestraits de la mystérieuse disparue.

– Soyez heureuse, Elsie, ajouta-t-il,d’ici peu, je le pressens, nous aurons fait un grand pas vers ladécouverte de la vérité.

– Je le souhaite de tout mon cœur,murmura la jeune fille, avec une certaine mélancolie.

« Je l’ai compris depuis longtemps, nousne pourrons être heureux que lorsque cette sanglante énigme auraété complètement éclaircie.

– Je le pense comme vous. Lapréoccupation de ce drame mystérieux, qui m’a privé de mes parents,a pesé comme un nuage menaçant sur toute ma jeunesse…

« Ç’a été pour moi une véritable hantise,et je sens que je n’aurai ni repos, ni bonheur, tant que je neserai pas débarrassé de ce cauchemar…

Le milliardaire reprit après un silence.

– Il y a dans cette affaire des côtésterriblement troublants. Il me semble que plus j’avance dans monenquête, plus le problème s’embrouille. Pourquoi, par exemple, desbandits comme Klaus Kristian et sa bande semblent-ils avoir unpuissant intérêt à ce que je demeure dans l’ignorance ? Enquoi cette affaire vieille de vingt ans peut-elle lesintéresser ?

– Que ne puis-je vous aider, vous êtreutile, balbutia Miss Elsie.

– Votre présence m’est infinimentprécieuse, reprit Todd Marvel, n’est-ce pas votre sourire qui meréconforte quand je me laisse aller au découragement ? etn’est-ce pas pour vous, pour que rien ne vienne plus tard troublernotre amour, que je me donne tant de soucis ?

Elsie ne répondit à son fiancé qu’en luitendant son front qu’il effleura d’un baiser.

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