L’Amérique mystérieuse – Todd Marvel Détective Milliardaire – Tome II

CHAPITRE III – LE RANCH DU POTEAU

L’État de Wyoming n’est pas seulement larégion des gisements pétrolifères, c’est aussi, par excellence, unpays d’élevage. Sur ses hauts plateaux, dans ses vallées, poussentdes herbes incomparables pour la nourriture et l’engraissement dubétail, entre autres l’alfalfa, ce foin naturel, à tige bleue, quisurpasse en qualité les célèbres fourrages du Kentucky. À l’époquedes Indiens, les bisons y pullulaient à l’état sauvage ;actuellement, on y trouve d’immenses troupeaux de bœufs et demoutons, bêtes de race, soigneusement sélectionnées par lesranchmen et qui toutes prennent le chemin de Chicago, où elles fontprime sur les marchés.

Propriétaire de quatre puits à pétrole,Mr Jack Randall possédait aussi plusieurs fermes en pleineprospérité, dans ce verdoyant pays de Wyoming, ombragé d’épaissesforêts, arrosé par des milliers de ruisseaux. Le ranch du Poteau, àtrois milles de Harrisburg, était une de ces propriétés. D’uneétendue de cinq cents hectares, entièrement clos de haies et depalissades, il était cité dans les environs comme un établissementmodèle.

Floridor apprit tous ces détails en prenant unmodeste lunch, dans un restaurant situé près de la gared’Harrisburg et fréquenté surtout par les cow-boys et les marchandsde bétail.

D’après un plan concerté d’avance, Todd Marvelet le Canadien s’étaient séparés en descendant du train. Tous deuxétaient partis, chacun dans une direction différente.

Le milliardaire auquel d’énormes lunettesjaunes à monture de corne, un pardessus noir et un col haut etrigide, donnaient un aspect suffisamment médical, s’était dirigévers l’Hôtel de Washington – le meilleur de la ville – oùil comptait se renseigner, en attendant qu’il allât visiter lemystérieux Benazy.

Coiffé d’un feutre à larges bords, chaussé debottes à gros clous, Floridor avec son pantalon renforcé de cuir etsoutenu par une ceinture rouge, offrait à s’y méprendre le type,très commun dans la région de ces robustes « meneurs deviande » employés à la conduite et à l’embarquement destroupeaux qui sont incessamment dirigés des prairies de l’Ouest,vers les abattoirs de Chicago.

Tout de suite les clients du restaurant où ilétait en train d’absorber des sandwiches arrosés de thé, lereconnurent pour un des leurs. Le hasard, en cette occasion, leservit mieux qu’il n’eût pu l’espérer.

Un vieillard au visage tanné par le soleil,aux mains robustes, couvertes de poils gris, l’interpella tout àcoup.

– Est-ce que tu travailles dans le paysmon garçon ? lui demanda-t-il.

– Non ! répondit le Canadien, jen’ai pas de place pour l’instant, j’étais employé aux étables, chezArmour, mais j’ai quitté, on n’est pas très bien payé et le travailest dur. Puis, à vrai dire, j’aime ma liberté, quand on a vécu dansla prairie, on ne peut pas s’accoutumer aux villes.

– Tu adores le grand air, je vois ça, fitle vieillard en riant.

– Puis je n’aime pas qu’on m’embête,répondit le Canadien sur le même ton.

La franchise d’allures de Floridor avaitdécidément gagné les sympathies de son interlocuteur.

– Écoute un peu, mon garçon, reprit-il,il y aurait peut-être moyen de s’arranger. Qu’est-ce que tu saisfaire ?

– Je sais très bien soigner les bêtes. Jeconnais les maladies des bœufs et des moutons, les pâtures, et jen’ai pas peur d’un cheval sauvage ou d’un taureau furieux quand ilfaut le marquer au fer rouge.

En cela, le Canadien disait l’exacte vérité,né dans une ferme des bords du lac de Winnipeg, il connaissait àfond la question de l’élevage.

– Tu es mon homme, reprit le vieillard,si deux cents dollars par mois te conviennent, c’est une affairefaite.

– Je ne chicanerai pas sur le prix, maisje ne veux pas entrer dans une petite exploitation. Je n’ai paspeur de la fatigue, mais il me faut de l’air et de l’espace.

– Tu en tiens décidément pour le grandair. Tu seras satisfait. Le ranch du Poteau est très vaste, avecdes bois, des prairies et des rivières et le travail n’est paspénible.

En entendant nommer le ranch du Poteau,Floridor n’avait pu réprimer un tressaillement. Il allait donc setrouver, du premier coup au cœur de la place ennemie.

– C’est entendu, dit-il vivement. C’estvous le patron ?

– Non, mais c’est tout comme. Il y avingt ans que je suis au ranch. J’ai la confiance deMr Benazy, comme j’avais celle de Mr Randall, quand ils’occupait de sa propriété, mais il y a plus d’un an que nous nel’avons vu. Moi je suis Ned Hopkins, un des plus anciens du pays.J’ai vu bâtir la ville d’Harrisburg.

Après une courte discussion, dans laquelleFloridor se montra très arrangeant, il fut définitivement embauchéet reçut séance tenante cinquante dollars à titre d’arrhes, puis,il prit place dans une charrette attelée d’un poney, aux côtésd’Hopkins et tous deux se dirigèrent vers le ranch du Poteau où leCanadien devait entrer immédiatement en fonction.

Sans avoir dans son enquête autant de chanceque Floridor, Todd Marvel, de son côté, avait recueilli quelquesrenseignements sur l’homme auquel il allait avoir affaire.

Malheureusement, ces renseignements étaientassez vagues : Mr Benazy, que les uns disaient Syrien,d’autres, Hindou d’origine, était âgé d’une quarantaine d’années etmarié à une femme de sa race. Il n’y avait guère plus d’un an,qu’il dirigeait l’exploitation et il y réussissait d’ailleursmerveilleusement. Il sortait peu, ne fréquentait personne, maispassait pour très généreux et très bon envers son personnel ;il était estimé dans le pays, enfin personne n’avait entendu direqu’il eût avec lui un parent âgé ou malade.

À l’Hôtel Washington, le milliardaires’était fait inscrire sous le nom du Dr Jarvis, voyageant pour sesaffaires. Il venait de finir de déjeuner, quand on lui remit à cenom, un billet que le Canadien avait jeté à la poste, avant dequitter les environs de la gare. Il ne contenait que cettephrasé : Tout va bien. Floridor avait donc réussi àpénétrer dans le ranch, c’était là un premier succès ;maintenant c’était au tour de Todd Marvel d’agir.

Après avoir étudié son itinéraire sur unecarte de la région, le milliardaire se mit en route, sans prévenirpersonne de la visite qu’il allait faire. Comme le temps étaitbeau, il résolut de faire la route à pied ; de cette façon, ilne mettrait aucun voiturier dans sa confidence.

Le paysage était très pittoresque et rappelaitcertains cantons de l’Écosse. Des bois de noirs sapins alternaientavec des collines couvertes de gazon, dans les vallons, arrosés parde nombreux petits ruisseaux, bordés de peupliers, de superbestroupeaux de bœufs et de moutons paissaient tranquillement. Lesroutes, empierrées avec un soin qu’on trouve rarement en Amérique,étaient séparées des prés et des champs par des haies bienentretenues et de solides palissades. Tout respirait l’ordre, lecalme et la prospérité.

Entourée d’un bois de chênes, la maisond’habitation du ranch était une spacieuse et confortable bâtisse àdeux étages, avec une terrasse à l’italienne. Elle s’élevait à unecertaine distance de la route dont elle était séparée par une hautemuraille couronnée de lierre d’Irlande à larges feuilles.

Todd Marvel eut un moment l’illusion de setrouver dans quelque paisible campagne du Vieux Monde.

Il sonna à une petite porte, un domestiquenoir vint lui ouvrir et lui demanda avec beaucoup de politesse cequ’il désirait.

– Je voudrais parler à Mr Benazy,répondit le milliardaire.

– Il est là, il vient justement derentrer, qui dois-je annoncer ?

– Dites-lui simplement que c’est ledocteur. Il m’attend.

– Je vais le prévenir. Veuillez vousdonner la peine d’entrer.

À la suite du Noir, Todd Marvel traversa unparterre orné de corbeilles de fleurs, que séparaient des alléessablées, ratissées avec soin. Blanchie à la chaux, la façade de lamaison disparaissait à moitié sous le feuillage des glycines et desclématites qui encadraient coquettement les fenêtres. Dans un coin,un jardinier à la physionomie débonnaire taillait des rosiers ensifflotant.

De ce décor de luxe rustique, il émanait uneatmosphère de sécurité, de bien-être et de gaieté tranquille quifit réfléchir le détective.

– Si je n’étais aussi sûr de mon fait, jecroirais m’être lourdement trompé. Ce n’est certes pas là un de cessinistres repaires où l’on séquestre les gens…

Il était entré dans un vestibule dallé demosaïque et décoré de statues japonaises, en bronze, de grandevaleur, où il dut attendre quelques minutes. Le Noir s’étaitéclipsé. Il revint bientôt, la mine souriante.

– Mr Benazy va vous recevoir,annonça-t-il, je vais vous conduire.

S’effaçant respectueusement, il ouvrit laporte d’un ascenseur dissimulé dans un renfoncement du vestibule, yfit monter Todd Marvel à côté duquel il prit place. L’appareils’arrêta au deuxième étage sur un palier où donnaient plusieursportes. Avec les mêmes façons obséquieuses, le Noir en ouvrit unequi accédait à un petit salon richement meublé.

– Mr Benazy sera ici dans uneminute.

Todd Marvel, machinalement, entra, s’assit surun divan et jeta un coup d’œil distrait sur l’ameublement. Ilétait, comme celui du vestibule, de style oriental. Les mursétaient tendus de soie écarlate, brodée de dragons d’or et defleurs chimériques ; les meubles d’ébène fleuris de nacreétaient de style japonais et, dans chaque angle, des armuresd’écaille aux masques hideux étaient dressées sur des piédestaux.Sur un guéridon, un plateau de laque du Coromandel supportait toutun attirail de fumeur d’opium, la pipe, la lampe et les longuesaiguilles d’argent. Près de la haute fenêtre qui éclairait lapièce, une bibliothèque renfermait une centaine de volumes anglaisou français richement reliés.

Enfin – ce qu’il était assez étonnant detrouver dans un salon – un buffet vitré était rempli de vaisselleet un vaste lit divan montrait que la pièce pouvait, à volonté, setransformer en chambre à coucher.

Todd Marvel venait de se faire cetteréflexion, lorsque tout à coup d’épais volets de fer intérieurementmatelassés se rabattirent automatiquement et la pièce se trouvaplongée dans les ténèbres.

D’un mouvement instinctif, le détective seprécipita vers la porte ; il la trouva fermée, et, au contactglacé du métal, il reconnut qu’elle était en fer ou en acier.

Il était pris au piège, dans lequel il étaitentré si imprudemment.

Une minute s’écoula pendant laquelle il erraen tâtonnant au hasard, se cognant à tous les meubles, puis lelustre électrique du plafond s’alluma. Le détective aperçut alors,avec une indicible satisfaction, un appareil téléphonique, placébien en vue, au centre de la pièce, sur un guéridon.

– Si habiles que soient mes adversaires,se dit-il avec un sang-froid parfait, ils ont commis une lourdefaute.

Sans plus attendre, il décrocha le récepteurde l’appareil, avec l’intention bien arrêtée d’aviser de sa bizarresituation le chef de la police d’Harrisburg.

– Allô !

– Allô ! Mr Todd Marvel,répondit dans l’appareil la voix d’Ary Morlan.

– Je suis Todd Marvel, répondit ledétective, en s’efforçant de dissimuler le dépit qu’ilressentait.

– Vous êtes vexé, reprit Ary Morlan avecbeaucoup de calme, c’est aisé à deviner, aussi pourquoi vousêtes-vous mêlé de mes affaires ? Maintenant, vous êtes à monentière discrétion.

– Ne croyez pas cela. J’ai des amis quisavent où je suis allé, et qui agiront, s’ils ne me voient pasrevenir.

– Ne comptez pas sur vos amis. VotreCanadien, qui a cru faire un coup de maître en s’introduisant dansle ranch, n’y a réussi que parce que je l’ai bien voulu. C’est parmon ordre, qu’on est allé le cueillir à la gare, dès son arrivée,vous m’entendez bien ? À l’heure qu’il est, bien qu’il ne s’endoute pas, il est, comme vous, entièrement en mon pouvoir.

– Que voulez-vous de moi ? demandaTodd Marvel exaspéré.

– Voici mes conditions : d’abordvous signerez pour trois millions de dollars de valeurs à mon ordre– il y a des traites en blanc sur le bureau – vous êtes très riche,c’est là une somme insignifiante pour vous. Ce n’est pas tout, vousprendrez l’engagement d’honneur de ne pas me dénoncer et de ne plusjamais vous mêler de ce qui me concerne. Je vous connais assez poursavoir que vous êtes homme à tenir votre parole, même donnée dansces conditions.

– Et si je refuse ? bégaya lemilliardaire, bouillant d’indignation.

– Ce sera tant pis pour vous, et aussipour deux jeunes misses auxquelles vous portez un grandintérêt.

Cette menace porta à son comble l’exaspérationde Todd Marvel.

– Je n’accepte pas vos conditions !s’écria-t-il d’une voix tonnante. Faites ce qu’il vousplaira ! Je ne m’abaisserai jamais devant un bandit tel quevous !

– Il suffit. Vous pourrez me téléphonerquand le jeûne et la solitude auront suffisamment modifié votremanière de voir. Je vous préviens seulement qu’alors, je seraidevenu beaucoup plus exigeant.

Ary Morlan avait raccroché le récepteur.Presque aussitôt, le lustre s’éteignit et Todd Marvel se trouvaplongé dans d’épaisses ténèbres.

 

Floridor avait du premier coup gagné lasympathie du vieil Hopkins. Celui-ci avait tenu à le mettrelui-même au courant de la besogne et avait reconnu avec plaisirqu’ils avaient tous deux les mêmes idées sur la façon de soigner lebétail. En parcourant à cheval toutes les parties de l’immensepropriété, ils avaient longuement causé ; c’est ainsi queFloridor fut mis au courant d’un fait qui lui donna fort àpenser.

– C’est curieux, dit le vieillard, qui nepouvait deviner la portée de ses paroles, on eût dit queMr Benazy pensait à toi, quand il m’a envoyé à la gare, pourembaucher le serviteur qui nous manquait. Il a déclaré qu’ilvoulait un Canadien jeune, robuste, enfin tout ton portrait.

– C’est singulier !

– N’est-ce pas ? Et le plus drôle,c’est que lorsqu’en rentrant je suis allé lui rendre compte de mamission, il était déjà renseigné.

– Quelqu’un nous aura entendus et le luiaura dit, murmura Floridor pris d’une vague inquiétude.

« Est-ce que j’aurais été déjà reconnu etsignalé ? se demanda-t-il.

En y réfléchissant, il pensa qu’il n’y avaitlà qu’un simple hasard et n’y songea plus. Il eut d’ailleursd’autres préoccupations.

Il avait espéré pouvoir s’échapper pourassister à l’arrivée de Todd Marvel afin de pouvoir lui prêtermain-forte au besoin, mais Hopkins l’emmena à l’autre extrémité dudomaine, très loin de la maison d’habitation. Ils ne rentrèrentqu’au coucher du soleil.

Assez mécontent, le Canadien partagea pourtantde bon appétit le repas des hommes du ranch, servi dans une longuesalle blanchie à la chaux, située au-dessous des greniers ; cerepas se composait uniquement d’une énorme tranche de bœuf rôti,entourée de pommes de terre bouillies et arrosée de petite bière.Ensuite, on montra au Canadien la chambre qui lui était destinée,une sorte de cellule aux murs nus, mais éclairée à l’électricité etmunie d’un appareil à douches.

– Je vais me coucher, déclara Hopkins quitombait de sommeil, mais tu peux aller faire un tour en ville. Ici,liberté complète, pourvu qu’on ait fait sa besogne.

Floridor ne se le fit pas dire deux fois ets’éclipsa, mais au lieu de prendre le chemin d’Harrisburg, il seglissa derrière les bâtiments d’exploitation et longea l’épaissehaie qui clôturait le bois de chênes, derrière lequel s’élevait lamaison d’habitation. Après avoir fait une centaine de pas, ilprofita d’une brèche pour franchir la haie et se trouva dans lebois.

Grâce au clair de lune, il y voyait assez pours’orienter. Il marcha droit à la maison dont la masse blanche luiapparaissait de loin par-dessus la cime des arbres.

Brusquement, il s’arrêta et tendit l’oreille.Les feuilles sèches du sentier bruissaient sous un pas alourdi,quelqu’un allait venir. Le Canadien se tapit derrière un gros troncet retint son souffle.

Dans la pénombre, il distingua la silhouetted’une femme chargée d’un lourd panier. Après une minuted’hésitation, il la suivit.

Elle s’arrêta bientôt à la porte d’une petiteconstruction, qui devait être une maison de garde, posa son panierà terre et tira une clef de sa poche.

Floridor put alors constater que le panierrenfermait un pain, des bouteilles, tous les éléments d’un soliderepas.

La femme pénétra dans la maisonnette enrefermant soigneusement la porte derrière elle. Elle ressortit cinqminutes plus tard. Le Canadien bondit sur elle, et, avant qu’elleeût eu le temps de jeter un cri, lui serra la gorge àl’étrangler.

L’inconnue se débattait avec une force queFloridor n’eût pas soupçonnée ; mais elle n’était pas de forceà lutter avec un tel colosse. Après une courte lutte, il réussit àla bâillonner avec son mouchoir de poche, puis, il lui lia lespieds et les mains. Alors, il ramassa la clef qui était tombée àterre et pénétra à son tour dans la maisonnette.

Là, un spectacle lamentable s’offrit à sesregards. Un vieillard aux traits creusés par la maladie, à la barbeinculte, était assis dans un fauteuil délabré, enveloppé dans unevieille pelisse de fourrure, en dépit de laquelle il semblaitgrelotter. À la vue du Canadien, le vieillard avait eu un gesteépouvanté.

– Ne me tuez pas ! bégaya-t-il.

– Mais non, dit Floridor, ému de pitié,ne craignez rien. Vous êtes Mr Jack Randall ?

– Hélas ! murmura le malheureux.

– Je suis venu pour vous délivrer…

– Vous ne me trompez pas, au moins ?Ce n’est pas un nouveau piège qui m’est tendu ? Si vraiment,vous êtes venu dans de bonnes intentions, dites-moi où je suis.

– Comment, répondit le Canadienstupéfait, mais vous ne le savez donc pas ? Vous êtes dansvotre ranch du Poteau.

– C’est que je suis venu ici, sans savoircomment… Il y a plus d’un an qu’on ne m’a laissé sortir. Et si voussaviez ce que j’ai souffert ! Ils m’ont torturé, empoisonnélentement. Ici je n’ai le droit de manger qu’après avoir signé sansles lire tous les papiers qu’on me présente… Hopkins est-iltoujours là ?

La réponse affirmative de Floridor amena unfaible sourire sur son visage flétri.

– Hopkins m’est très dévoué, fit-il, ilignorait que j’étais là, sûrement…

– Alors, hâtons-nous de le rejoindre, carnous ne sommes pas en sûreté, ici. Pouvez-vous marcher ?

Le vieillard voulut se lever, mais il était sifaible qu’il retomba dans son fauteuil.

– Cela ne fait rien, dit Floridor,sincèrement apitoyé. Je vais vous porter.

Et il prit Jack Randall dans ses bras sans lemoindre effort. Le malheureux d’une maigreur de squelette ne pesaitpas plus qu’un enfant.

En sortant de la maisonnette, le Canadien eutla surprise de ne plus retrouver sa prisonnière. Elle avait trouvémoyen de se débarrasser de ses liens et de prendre la fuite. Benazyallait être prévenu, il n’y avait pas un instant à perdre.

Malgré son fardeau, Floridor regagna encourant la brèche par laquelle il s’était introduit dans le bois.Des aboiements et des coups de feu qu’il entendait du côté de lamaison d’habitation lui firent encore hâter sa marche, jusqu’à cequ’il fût arrivé à la grande salle où quelques-uns des hommes duranch étaient demeurés à jouer aux cartes. Brisé par tantd’émotions, Jack Randall s’était évanoui, il fut confié aux soinsd’Hopkins qui, réveillé en sursaut, venait de descendre etdemeurait muet de stupeur et d’indignation en voyant dans quelpitoyable état se trouvait son vieux maître.

Un Noir – le même qui avait introduit ToddMarvel – avait assisté à cette scène, immobile dans un coin de lasalle ; quand il vit la tournure que prenaient les événements,il chercha à se faufiler du côté de la porte. Floridor, qui s’étaitaperçu de son manège, lui barra le passage.

– Où vas-tu ? lui demanda-t-il. Etd’abord que faisais-tu là ?

– Mr Benazy m’avait envoyé chercherle Canadien, qui est arrivé de ce matin. J’attendais qu’il soitrentré.

– Eh bien, le Canadien c’est moi. Tu asbien fait de rester. J’ai des questions à te poser. Est-il venuquelqu’un voir ton patron cet après-midi ?

– Non.

– Tu mens, reprit Floridor, en empoignantle Noir par une de ses larges oreilles. Allons parle, ou je prendsmon browning.

– Il est venu un médecin, balbutia leNoir consterné.

– Et il est reparti ? Tu ne répondspas ?

Floridor avait tiré de sa poche un browning degros calibre.

– Il n’est pas reparti, articula leNoir.

– Tu vas me conduire immédiatement où ilest, sans cela, gare à ta vilaine peau !

Sur l’ordre d’Hopkins, quatre solides cow-boysse joignirent au Canadien qui tenait toujours son Noir parl’oreille et la petite troupe coupant au plus court par le bois sedirigea vers l’habitation.

Ils ne rencontrèrent personne dans le bois,personne dans la maison dont les portes étaient grandes ouvertes.L’auto n’était plus sous le hangar, tout annonçait une fuiteprécipitée.

Le Noir indiqua sans se faire prier la chambreoù Todd Marvel était prisonnier et donna la clef qui ouvrait laporte de fer.

Ses sauveurs durent réveiller le milliardaire.Étendu sur le divan-lit, il dormait d’un profond sommeil.

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