L’Amérique mystérieuse – Todd Marvel Détective Milliardaire – Tome II

CHAPITRE III – LES CHASSEURS D’OR

Trois semaines s’étaient écoulées, depuis lesévénements que nous venons de raconter. Toby et Petit Dadd, campésdans un vallon abrupt des montagnes de la Sierra Madre, non loindes frontières de l’Arizona, étaient occupés à faire cuire leurdéjeuner qui se composait d’un plat de ces délicieux haricotsmexicains, qu’on appelle des frigeoles, et d’un morceau de lardfumé.

Ils ne ressemblaient plus en rien aux deuxvagabonds de grand chemin qui demandaient la bourse ou la vie auxvoyageurs. Grâce à l’argent de Mr Clapton, ils avaient revêtul’aspect d’honnêtes prospecteurs.

De solides souliers ferrés, de largespantalons, doublés de cuir, et d’immenses sombreros, les rendaientpareils de tout point à ces nombreux aventuriers, qui munis deconnaissances géologiques élémentaires, s’adonnent à la recherchedes filons de métaux précieux, dans ces régions désolées sans eauet sans arbres que l’on a si bien dénommées « no man’sland », les terres qui ne sont pas faites pour l’homme et oùil ne peut pas vivre.

Dadd et Toby s’étaient d’ailleurs pourvus detout l’attirail indispensable à ces sortes de recherches. Ilsavaient emmené deux mulets, dont l’un était chargé de vivres,farine, conserves, tasajo, viande séchée, sans oublier des bidonsde caña ; l’autre portait les outils, le lourd marteau, lapelle, le pic, les fleurets, les leviers de fer, et une petiteprovision de cartouches de dynamite.

Les deux bandits devenus prospecteurs étaientd’ailleurs en excellente santé, en dépit de privations de toutgenre, qu’ils avaient eu à essuyer ; le soleil de l’équateuravait bronzé leur teint, les longues marches dans la Sierra et letravail en plein air leur avaient élargi les poumons, durci lesmuscles, jamais ils ne s’étaient aussi bien portés.

Enfin, ils avaient été pris au charme de cettefièvre de la recherche que connaissent tous les prospecteurs. Ilsavaient connu les joies du mineur qui découvre dans le sable noirdu torrent, près des rocs de quartz ferrugineux, les premièrespaillettes, les premières couleurs qui ne l’amènerontpeut-être qu’à une poche insignifiante, ne contenant quequelques grammes d’or, mais qui peut-être aussi le conduiront àquelque gisement d’une richesse incalculable, capable de changer enun Vander-bilt ou en un Carnegie, le pauvre coureur du désert.

Dans ce vallon sauvage, bordé de falaisesabruptes, couronné de madronos, de lavandes et de grands yuccas auxhampes majestueuses, chargés de clochettes blanches, il ne poussaitque quelques maigres arbrisseaux, les mulets, faute d’une meilleurenourriture rongeaient des raquettes épineuses. De temps en temps,ils allaient se désaltérer aux minces filets d’eau qui suintaientdu sommet du roc et allaient un peu plus loin se perdre dans lessables noirs, bus par le soleil torride, avant d’avoir pu allerplus loin.

Pendant que Toby entretenait avec desbrindilles et des plantes desséchées le brasier allumé sous lamarmite où cuisaient les frigeoles, Petit Dadd, accroupi au bord duruisseau qui en hiver devait être un vrai torrent, se livrait aulavage des alluvions.

Armé de ce plat de fer, que les prospecteursappellent la « battée », et qu’il avait rempli de sableet d’eau, il l’agitait doucement, enlevant avec précaution lescailloux, puis rajoutant de l’eau qui peu à peu entraînait la terreet les parties les moins lourdes du sable. Au bout d’un certaintemps, il ne restait plus dans la battée qu’une couche noired’alluvions dans laquelle brillaient quelques poussières jaunes quiétaient des particules d’or infiniment petites.

– Des couleurs ! s’écriaDadd avec enthousiasme. Il y a certainement un filon à peu dedistance d’ici !

– Je donnerais quelque chose pour levoir, murmura Toby beaucoup plus sceptique. Tu viensmanger ?

– Non ! Je veux laver encore unebattée. Les couleurs deviennent plus nombreuses, je crois que nousallons trouver quelque chose.

– Fais ce que tu voudras, moi jemange ; hier on n’a déjà pas eu le temps de dîner.

Dadd finit par se laisser convaincre, maistout en dévorant goulûment sa portion, il consultait un petitbouquin crasseux qu’il avait tiré de sa poche et qui s’intitulait« Le manuel-guide du parfait prospecteur ».

En quelques minutes Dadd et Toby avaientabsorbé tout le contenu de la marmite ; ils se remirent autravail avec acharnement.

– Je vais faire ce que dit le livre,s’écria Dadd avec exaltation, il faut continuer à laver le sable enamont et en aval de l’endroit où nous avons déjà trouvé quelquechose. Sais-tu que depuis hier nous avons déjà ramassé pour près dedeux dollars d’or.

– C’est peu !

– Mais, animal, ce n’est qu’uneindication ! qui te dit qu’avant la fin de la journée nousn’allons pas mettre la main sur une pépite grosse comme matête.

– Moi je ne demande pas mieux, murmuraToby qui peu à peu se sentait gagné à son tour par la contagieusefièvre de l’or.

Ils travaillèrent trois heures avec une hâtefurieuse. Ils ne se parlaient pas, échangeant seulement de loin enloin quelques rares paroles. Aux couleurs avaient succédéde véritables paillettes, puis aux paillettes, de gros grains demétal.

Dans ces trois heures ils avaient entassé dansla boîte de fer-blanc, où ils déposaient leurs trouvailles, unpetit tas de poudre qui pouvait valoir une cinquantaine dedollars.

Ils étaient ivres de joie.

Ce fut bien autre chose quand Dadd, enremontant le ruisseau, atteignit un endroit où la roche étincelaitde points brillants. Il courut chercher la pioche.

Le quartz désagrégé par les pluies, cédait pargros morceaux qui, tous, paraissaient incrustés d’or, comme si onse fût amusé à enfoncer des clous d’or pur dans le cristalferrugineux, couleur de rouille.

Dadd et Toby tapaient à qui mieux mieux, commes’ils eussent voulu éventrer la montagne.

Sans plus attendre, Dadd voulait faire sauterà la dynamite tout un pan de rocher. Toby eut grand-peine à luifaire comprendre qu’il était plus sage de mettre d’abord en sûretétout l’or qui se trouvait à portée de leurs mains à la surface. Cen’était pas la peine d’attirer par le bruit d’une détonation lesgambusinos et les rôdeurs de frontières qui pouvaient se trouverdans le voisinage.

Comme pour montrer la justesse de cetteobservation, Toby finissait à peine de parler qu’une explosion sefit entendre dans le lointain. Cette explosion fut suivie d’uneseconde, d’une troisième, puis d’une quatrième et d’une infinitéd’autres.

Les deux prospecteurs se regardèrenteffarés ; ils étaient à la fois très inquiets et trèsmécontents.

– Qu’est-ce que cela veut dire ? fitDadd. S’il y a près d’ici un camp de mineurs nous sommesflambés !

– Ce ne serait pas drôle. Vois-tu quel’endroit où nous avons fait nos découvertes appartienne déjà àquelque société ?… J’ai eu du flair en te défendant de teservir de la dynamite.

– Je n’entends pas me laisservoler ! Nous allons commencer par arracher autant d’or quenous pourrons…

– Oui, mais s’ils nous surprennent enplein travail ?

– Je crois qu’avant tout il faut savoir àqui nous avons affaire. Allons en reconnaissance, et cela tout desuite.

Et comme les coups de feu continuaient à sefaire entendre de loin en loin, et arrivaient très nettement auxoreilles des deux amis, répercutés par les échos de lamontagne :

– Tu entends, fit Toby, je parie qu’ilsne sont pas à plus d’un demi-mille. Le plus curieux, c’est que cene sont pas des coups de mine, on dirait qu’on se sert d’un fusilde très gros calibre.

– Ceux qui s’en servent ne sont pasnombreux, répondit Dadd qui était un observateur très perspicace.Les coups sont espacés, comme s’il n’y avait qu’un seul homme etqu’un seul fusil.

– Tu as raison, je me demande ce que celapeut bien signifier. Si nous allions voir ?

– Allons-y !

Guidés par le bruit des détonations quicontinuaient à crépiter, Dadd et Toby franchirent une muraille derochers et se trouvèrent dans une vallée encore plus désolée etstérile que celle qu’ils venaient de quitter. Des blocs de granit,de quartz et de porphyre formaient des amoncellements chaotiquesque n’égayait aucune végétation. Le vallon s’ouvrait sur un vasteespace désertique qui, sans doute, se prolongeait jusqu’à l’OcéanPacifique et où poussaient seulement des cierges épineux et derares cactus. Mais les deux amis ne prêtèrent pas tout d’abordgrande attention au paysage.

Le spectacle qu’ils aperçurent en atteignantle sommet du défilé, qui commandait la vallée, était assezintéressant pour exciter leur étonnement.

Le visage en sueur, un gros homme vêtu decoutil blanc, était armé d’un de ces antiques tromblons fortemployés autrefois par les bandits espagnols et qu’on ne voit plusguère aujourd’hui que dans les musées. Le canon évasé en formed’entonnoir, pouvait recevoir toute une poignée de balles, et lacrosse assez courte permettait de résister plus aisément auformidable recul que produisait une pareille arme.

C’étaient les détonations du tromblon que Daddet Toby avaient entendues, mais le plus singulier, c’est que celuiqui en était armé continuait à fusiller consciencieusement lafaçade du rocher placé en face de lui, rechargeant aussitôt qu’ilavait tiré, et si absorbé par cette occupation, qu’il ne s’aperçutpas qu’il avait été vu.

Il était fort occupé à bourrer son arme avecune poudre brillante qu’il tirait d’un sac de cuir pendu à saceinture, lorsque Dadd poussa une exclamation de surprise.

– Mais c’est le docteur KlausKristian ! s’exclama-t-il. Lui que nous avons si longtemps etsi vainement cherché !…

En entendant prononcer son nom, le docteuravait lâché son tromblon et l’avait prestement remplacé par unbrowning.

– Haut les mains ! cria-t-il enmettant en joue Petit Dadd qui marchait le premier.

– Pas de blagues ! docteur, s’écriacelui-ci. Ne tuez pas votre plus dévoué collaborateur. Je suis doncbien changé que vous ne me reconnaissiez pas ?

– Ah ! c’est toi, fit KlausKristian, dont la physionomie se dérida un instant. Et quel estl’homme qui t’accompagne ?

– C’est encore une vieille connaissance.Ce pauvre Toby à qui il est arrivé une foule de malheurs et qui afait le voyage tout exprès pour se réconcilier avec vous.

– C’est bon, murmura le docteur avec unmauvais regard à l’adresse de Toby. Je veux bien lui pardonnerencore cette fois, pour t’être agréable, mais à l’avenir il faudraqu’il marche droit.

– Vous n’aurez qu’à vous louer de sondévouement.

– Mais comment as-tu pu faire pour meretrouver ? J’espérais pourtant n’avoir été suivi depersonne.

– Un simple hasard ! Vous savez quenous sommes prospecteurs, nous aussi. Puis j’avais eu de vosnouvelles à la Deutsche Natrona et je savais aussi par votrecorrespondant de Mexico que vous étiez en voyage du côté de larégion minière.

– Je suis très heureux de te rencontrer,je vais avoir besoin de toi, jamais mes opérations n’ont été siprospères. J’ai déjà pris des mesures pour me retirer au Brésil. Jecommence à être trop connu dans ce pays-ci. Je n’y suis pas trèsbien vu et ce sera encore pis dans quelque temps.

– Puis-je savoir pourquoi ?

– Sais-tu ce que j’étais en train defaire ?

– Non !

– Je suis en train d’exécuter uneopération que l’on appelle en termes techniques, saler oufusiller une mine. Ce rocher ne contient pas une parcellede minerai, alors, c’est bien simple j’y en mets. Ce tromblon estchargé de belle et bonne poudre d’or que j’incruste à la surface durocher.

« Dans quelque temps d’ici, desingénieurs officiels viendront, dresseront un rapport favorable surla quantité et la qualité du minerai, et une société à laquelle jevendrai ce terrain fort cher viendra installer dans ce désert sesbatteries de pilons, ses perforatrices, et ses cuves decyanuration.

– Mais on reconnaîtra bien vite lavérité.

– Cela n’a pas d’importance, j’auraiquitté le pays depuis longtemps. La société d’ailleurs n’y perdrarien ; elle se gardera bien de dire à ses actionnaires qu’iln’existe ici d’autre poudre d’or que la mienne. Elle revendra lesactions à une société anglaise ou française qui, elle-même, lesécoulera à de petits rentiers, à des policemen en retraite, à descurés de campagne, enfin à des gens ignorant le premier mot de laquestion.

Dadd eut un moment d’hésitation. Il sedemandait s’il devait révéler à Klaus Kristian la découverte dugisement bien réel qu’il venait de faire ; le dévouement etl’admiration qu’il avait pour le diabolique docteurl’emportèrent ; à la grande stupeur de celui-ci, il le mit aucourant de ses récents exploits de prospecteur, sans essayer derien lui cacher.

– Tu as bien fait de parler, réponditKlaus Kristian, car je suis précisément propriétaire de la mine quetu as trouvée. J’ai acheté tout dernièrement et payé augouvernement mexicain trois milles carrés de ce désert.

Et comme Dadd et Toby en entendant cettedéclaration avaient allongé la mine d’une façon significative.

– Rassurez-vous, d’ailleurs,ajouta-t-il ; je n’ai pas l’intention de vous faire dutort ; je suis riche, beaucoup plus riche que vous ne pouvezl’imaginer, et je gagnerai probablement beaucoup plus de dollars,avec mon placer qui n’existe pas, que vous avec le vôtre…

Après une discussion assez animée, on finitpar décider que le docteur, en qualité de propriétaire, seraitassocié pour un tiers aux bénéfices, et que dès le lendemain tousles trois se mettraient au travail et ne quitteraient l’endroit quequand les plus belles pépites seraient en sûreté à la banque de laville la plus voisine.

Cet arrangement fut du goût de tout le monde,et ce qu’il y a de surprenant, c’est qu’il fut fidèlement exécutéde part et d’autre.

Le gisement découvert par Dadd n’étaitd’ailleurs qu’une simple poche qui, tout en renfermant quelquesbeaux échantillons, ne pouvait être regardée comme un véritableplacer.

Néanmoins, après un dur travail qui seprolongea pendant trois semaines, chacun des associés se vit à latête d’une somme de cinquante mille dollars, ce qui pour Toby etpour Dadd représentait une véritable fortune.

Quand cette affaire fut réglée à lasatisfaction de tous, Dadd prit le train pour New York, où ledocteur l’envoyait en mission confidentielle.

Le jeune vagabond n’était plus reconnaissable,vêtu d’un habit de bonne coupe, le plastron de sa chemise orné degrosses perles, il avait une bague au doigt et brandissaitnonchalamment un jonc à pomme d’or. Il avait même fait la folie des’acheter un monocle. On l’eût pris pour un véritable petitmaître.

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